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Droit de la responsabilité civile
La compensation forfaitaire du handicap jugée conforme à la Convention européenne des droits de l’homme
Mots-clefs : Responsabilité médicale, Diagnostic prénatal, Handicap, Indemnisation, Mécanisme de compensation, Conventionalité
Le mécanisme de compensation du handicap tel que prévu par l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles est conforme à l’article 1er du protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, dès lors que le dommage est survenu postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002.
Lorsque par sa faute, un médecin manque de déceler le handicap d’un fœtus pendant la grossesse de sa mère, la Cour de cassation avait, dans la célèbre affaire Perruche, reconnu la possibilité pour l’enfant comme pour ses parents de demander l’indemnisation des préjudices résultant d’une telle erreur de diagnostic. La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé mit fin à cette jurisprudence en excluant du champ de la responsabilité civile l’indemnisation des préjudices subis, qui font désormais l’objet d’une compensation forfaitaire organisée par la solidarité nationale.
Déclarée expressément rétroactive par le législateur, cette loi fut par la suite complétée par celle la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Le nouvel article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) qui en résulta fut déclaré expressément rétroactif par le législateur, ce qui entraîna la condamnation de la France par la CEDH.
Aux termes d’un contrôle de proportionnalité entre l’intérêt général poursuivi par le législateur et le droit des justiciables au respect de leurs biens, la Cour européenne jugea que l’application de la loi aux victimes ayant introduit une action en réparation avant sa date d’entrée en vigueur serait contraire à l’article 1er du protocole n°1 de la Conv. EDH. En effet, le juge, notamment européen, fait dépendre l’admission de la rétroactivité de la loi nouvelle d’une double condition :
– d’une part, la rétroactivité de la loi, dès lors qu’elle a pour objectif d’influer sur le dénouement judiciaire d’un litige, doit être justifiée par un impérieux motif d’intérêt général (CEDH 28 oct. 1999, Zielinski et Pradal et Gonzalez et Autres c/ France. Et dans l’ordre interne, v. Ass. plén. 24 janv. 2003) ;
– d’autre part, l’atteinte causée par la rétroactivité de la loi aux droits des justiciables doit être proportionnée au motif impérieux d’intérêt général poursuivi ; et s’il résulte d’une disposition rétroactive une atteinte au droit des justiciables au respect de leurs biens (protocole n° 1, art. 1er), celle-ci doit être proportionnée au motif d’intérêt général qu’elle permet d’atteindre (CEDH 14 févr. 2006, Lecarpentier c/ France).
Or, la CEDH (6 oct. 2005, Draon c/ France), puis la Cour de cassation (Civ. 1re, 8 juill. 2008), ont à ce titre condamné l’application immédiate de la loi « anti-Perruche », celle-ci ne respectant pas l’équilibre nécessaire entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs de protection du droit au respect des biens. En effet, l’application rétroactive de la loi aurait eu pour effet de priver les requérants d’une créance de réparation intégrale (assimilée à un bien) telle qu’elle avait été reconnue par la jurisprudence Perruche, et de les obliger ainsi à se satisfaire d’une compensation forfaitaire très inférieure. Ainsi la première chambre civile refusa-t-elle d’appliquer le nouveau texte aux victimes de dommages survenus antérieurement à son entrée en vigueur, et ce quelle que soit la date d’introduction de la demande en justice.
Dans la décision rapportée, l’obstacle que les parents devaient lever tenait précisément à la date de naissance de leur enfant handicapé (5 février 2005). Agissant en son nom, ils avaient vu leur demande d'indemnisation jugée à ce titre irrecevable.
Au soutien de leur pourvoi, ils firent alors valoir que la privation d'un droit de créance en réparation dépend du juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit au respect des biens, de sorte que ne pouvait être prohibée l'action en responsabilité de leur enfant au profit d’un mécanisme de compensation forfaitaire du handicap sans rapport raisonnable avec une créance de réparation intégrale, ce que la CEDH, au nom des principes généraux du droit posés par cette juridiction en matière de réparation patrimoniale, condamnerait.
Prolongeant sa jurisprudence antérieure, la Cour rejette logiquement le pourvoi, le dommage étant survenu postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, soit à une date où une réparation intégrale ne pouvait légitimement plus être espérée par les requérants.
En conséquence, la Cour considère que la réparation issue du mécanisme de compensation actuel procède d’un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit au respect des biens. En somme, c’est parce que le dommage est survenu postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 que la conformité de l’article L. 114-5 du CASF à la Conv. EDH, plus particulièrement à l’article 1er de son protocole n° 1, a pu être consacrée.
Enfin, la Cour rappelle la règle de faveur posée par la loi du 11 février 2005 au profit des médecins selon laquelle l’engagement de leur responsabilité suppose une faute caractérisée de leur part (CASF, art. L. 114-5, al. 3) ; or en l'espèce, aucune faute de ce type ne pouvait être retenue à l'encontre du praticien, sa faute, née du silence observé sur le retard de croissance diagnostiqué et d’un manque d’investigations pour en déterminer la cause, ne revêtant cependant pas les exigences « d’intensité et d’évidence » requis par le texte.
Civ. 1re, 14 nov. 2013, n°12-21.576
Références
■ Ass. plén. 17 nov. 2000, n°99-13.701 ; D. 2001. 332, note D. Mazeaud ; RTD civ. 2001. 103, obs. J. Hauser.
■ Ass. plén. 24 janv. 2003, n°01-41.757 et n°01-40.967.
■ Civ. 1re, 8 juill. 2008, n° 07-12.159, D. 2008. 2765, note S. Porchy-Simon ; RDSS 2008. 975, obs. P. Hennion-Jacquet.
■ CEDH 28 oct. 1999, Zielinski et Pradal et Gonzalez et Autres c/ France, nos 24846/94 et 34165/96 à 34173/96.
■ CEDH 14 févr. 2006, Lecarpentier et autre c/ France, n°67847/01.
■ CEDH 6 oct. 2005, Draon c/ France, n°1513/03.
■ Article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles
« Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance.
La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer.
Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. »
■ Article 1er du Protocole n°1 - Protection de la propriété
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
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