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[ 8 avril 2020 ] Imprimer

Droit des obligations

La conciliation avant l’exécution

La clause de conciliation préalable à la saisine du juge s’oppose également à l’émission directe d’un titre exécutoire de plein droit par l’un des contractants.

Si la clause de conciliation préalable fait obstacle à la saisine du juge, elle s'oppose également à ce qu’une personne morale de droit public émette directement un titre exécutoire à l’égard de son cocontractant pour le règlement de sommes dues en exécution des obligations contractuelles de celui-ci. Tel est l’enseignement de la décision rapportée.

Un office public de l'habitat (OPH) avait conclu avec une société d'habitation à loyer modéré une convention « de management » de société. Cette convention stipulait qu’« en cas de désaccord sur son exécution, les parties conviennent de faire appel à un conciliateur choisi d'un commun accord. Si le désaccord persiste, c'est le tribunal de grande instance du Mans qui sera compétent pour juger du différend ». A l’effet d’obtenir le paiement de sommes qu’il considérait lui être dues, l’OHP avais émis un titre exécutoire à l'encontre de la société débitrice, qui en avait contesté le bien-fondé. 

La cour d’appel rejeta la demande de l’établissement public au motif que le titre de recettes ne pouvait être exécuté à l’encontre de la société, « faute de respect de la clause de conciliation préalable stipulée dans la convention ».

Devant la Cour de cassation, l’émetteur du titre soutenait qu’une telle clause ne s'impose aux parties que comme préalable à la saisine du juge, mais non à l'émission par un établissement public d'un titre de recettes individuel exécutoire, qui ne suppose ni désaccord ni litige. 

La Cour de cassation rejette le pourvoi : « Après avoir constaté que l'OPH avait, sans recourir préalablement à un conciliateur choisi d'un commun accord, adressé à la société une facture (…), puis émis un titre exécutoire, et que la société avait contesté son bien-fondé en formant un recours gracieux en annulation, la cour d'appel a retenu à bon droit (…) que, si la stipulation contractuelle subordonnant la saisine du juge à la mise en œuvre d'une procédure préalable de conciliation faisait obstacle à ce que la société saisisse directement le juge d'une contestation, elle s'opposait également à ce que l'OPH émette directement un titre exécutoire pour le règlement de sommes correspondant à l'exécution du contrat (…) ».

Permettant au créancier qui en est muni de poursuivre l’exécution forcée de sa créance sur les biens de son débiteur ayant refusé de s’en acquitter, à la condition que celle-ci soit certaine et exigible, le titre exécutoire a la caractéristique essentielle d’être revêtu de la formule exécutoire, à l’instar de celle attachée aux décisions de justice. C’est dire qu’au titre exécutoire s’attachent les mêmes effets qu’un jugement. L’intérêt majeur qu’il présente donc pour le créancier doit néanmoins être tempéré par le fait que la loi dresse une liste assez brève et surtout limitative des titres pouvant être ainsi qualifiés (C. proc. civ. ex., art. L. 111-3). Les plus connus sont ceux que constituent les décisions de justice, lorsque celles-ci ont force exécutoire (C. proc. civ. ex., art. L. 111-3, 1°), c’est-à-dire à même d’être mises à exécution forcée soit parce qu’elles ne sont plus susceptibles de faire l’objet d’un recours suspensif d’exécution (on dit alors qu’elles passent en force de chose jugée), soit parce qu’elles sont assorties de l’exécution provisoire. 

Ceux que cette affaire mettait en cause le sont certainement moins : il s’agit des titres « délivrés par les personnes morales de droit public qualifiés comme telle par la loi » (C. proc. civ. ex., art. L. 111-3, 6°), tel que celui émis par le demandeur au pourvoi en sa qualité d’établissement public local, de même que le sont tous ceux produits par les collectivités et établissements publics locaux, auxquels un décret du 19 août 1966 (V. désormais CGCT, art. R. 2342-4) a conféré un privilège exorbitant du droit commun pour le recouvrement de leurs créances, rendant exécutoires tous les titres de recettes, quelle que soit leur nature, émis par ces personnes publiques. Ce privilège est néanmoins, et étonnamment, relatif : contrairement à ce qu’avait récemment jugé la deuxième chambre civile (Civ. 2e, 21 mars 2019, n° 18-14.773), la première chambre civile affirme ici que la clause de conciliation préalable fait obstacle à l’émission du titre exécutoire au même titre qu’elle s’oppose à la saisine du juge. Ce qui fait traditionnellement la force du titre exécutoire, celle de pouvoir produire les mêmes effets qu’une décision de justice, devient, face à ce type de clauses précisément stipulées en faveur d’un règlement amiable du litige, une faiblesse. 

La portée de cette décision doit être appréciée avec prudence ; en effet, dans l’arrêt précité (et v. déjà, à propos d’une clause de médiation, Civ. 2e , 22 juin 2017, n° 16-11.975), la Cour avait jugé, concernant un commandement de payer valant saisie immobilière, qu’en l'absence de stipulation expresse en ce sens, une clause de conciliation préalable ne pouvait faire obstacle à l'accomplissement d'une mesure d'exécution forcée ; or dans cette affaire, la clause de conciliation litigieuse n'ayant pas prévu expressément son application à l'occasion de la mise en œuvre d'une mesure d'exécution forcée, elle n’aurait pas dû s’opposer à la délivrance d'un commandement de payer. 

Partant, de deux choses l’une : soit la Cour entend revenir sur la position qu’elle avait précédemment adoptée dans son arrêt précédent qu’elle avait choisi, contrairement à celui rapporté, de ne pas publier, soit la divergence de ces deux solutions repose sur une considération plus technique, tenant au caractère exécutoire de plein droit des titres de recette émis par les collectivités et les établissements publics locaux (LPF, art. L. 252 A), qui sont ainsi dispensés de l'obligation incombant en principe à tout créancier de faire valider la créance par le juge compétent avant de procéder à toute mesure d'exécution forcée.

Civ. 1re, 11 mars 2020, n° 18-26.789

Références

■ Civ. 2e, 21 mars 2019, n° 18-14.773

■ Civ. 2e, 22 juin 2017, n° 16-11.975 P : D. 2017. 1369 ; ibid. 1868, chron. E. de Leiris, N. Touati, O. Becuwe, G. Hénon et N. Palle ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero ; ibid. 1223, obs. A. Leborgne ; RTD civ. 2017. 653, obs. H. Barbier ; ibid. 2018. 478, obs. P. Théry

 

Auteur :Merryl Hervieu

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