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[ 26 octobre 2017 ] Imprimer

Droit des biens

La concubine possesseur de travaux

Mots-clefs : Biens, Immeuble, Accession artificielle, Construction sur le terrain d’autrui, Domaine, Relations des parties, Rapports entre concubins, Application, Conditions

Une concubine ayant concouru de manière suffisante bien que non exclusive à la construction d’un ouvrage sur le terrain de son ancien compagnon est en droit de demander le remboursement des sommes empruntées pour sa participation.

Un couple vivant en concubinage avait fait édifier, en 1982, une maison d’habitation sur un terrain dont seul le concubin était propriétaire. Le couple avait, dans cette perspective, souscrit deux emprunts pour le financement du gros oeuvre, le reste des travaux devant être effectué par les concubins eux-mêmes avec l’aide de leur famille. Le couple s’étant séparé en 2010, la concubine avait assigné son ancien compagnon en paiement d’une somme correspondant à sa participation au remboursement des emprunts souscrits pour l’édification de la maison et à la réalisation des travaux complémentaires, ainsi qu’en restitution de divers objets. Pour rejeter sa demande, la cour d’appel retint que bien que l’article 555 du Code civil, relatif aux constructions sur le terrain d’autrui, soit susceptible de s’appliquer aux rapports entre concubins, encore faut-il que ceux-ci puissent être considérés comme de véritables tiers au sens de cette disposition, à savoir que l’un d’eux ait réalisé les plantations, constructions et ouvrages avec des matériaux lui appartenant sur le fonds appartenant à l’autre concubin, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, la concubine n’ayant su établir sa participation financière à la construction litigieuse, que ce soit par la production de factures ou par des justificatifs de prélèvements réalisés sur le compte commun du couple, ce dernier n’ayant été ouvert qu’en fin d’année 1991, soit des années après l’engagement des travaux de construction. Cette décision est cassée par la troisième chambre civile au motif, d’une part, que la demanderesse avait bien produit au soutien de sa demande des relevés du compte-joint ouvert avec son ancien compagnon non pas en 1991, comme l’avaient à tort considéré les premiers juges, mais dès 1984 et, d’autre part, que l’indemnisation de celui qui a concouru à la construction d’un ouvrage sur le terrain d’autrui, telle que l’hypothèse en est prévue par l’article 555 du Code civil, n’est pas subordonnée au caractère exclusif de sa participation.

Les personnes auxquelles les dispositions de l’article 555 du Code civil, relatif aux constructions érigées sur le terrain d’autrui, sont susceptibles de s’appliquer, ne sont pas précisément déterminées par la loi. Mais selon la jurisprudence, le texte est applicable à toute personne qui, n'étant pas propriétaire du fonds, a contribué à la réalisation d’ouvrages effectués sur ce fonds sous la réserve qu'elle ne soit pas tenue, vis-à-vis du propriétaire du sol, d'une obligation contractuelle de construire ni que les constructions aient été faites en exécution des stipulations du contrat (Cass. req. 7 mai 1895). En effet, les dispositions de l’article 555 régissent exclusivement le cas où le constructeur n’est pas, avec le propriétaire du sol, dans les liens d’un contrat se référant aux ouvrages élevés (Civ. 3e, 6 nov. 1970, n° 69-11.900) car dès lors qu’une convention est intervenue entre le propriétaire du sol et le constructeur, deviennent seules applicables les clauses et conditions de cette convention. 

En outre, la jurisprudence est également venue préciser, concernant la qualité des parties, que l’article 555 n’est applicable que dans les rapports du propriétaire du sol et du possesseur des travaux, et que ce texte est alors susceptible de régir les relations entre concubin(Civ. 3e, 2 oct. 2002, n° 01-00.002) ou entre époux séparés de biens (Civ. 1re, 22 avr. 1981, n° 80-11.944. Civ. 3e, 27 mars 2002, n° 00-18.201), c’est-à-dire dans tous les cas où les membres du couple demeurent des tiers dans leurs rapports patrimoniaux, à la condition, cependant, que le membre du couple prétendant, comme en l’espèce, au remboursement des sommes empruntées pour construire sur le terrain de l’autre et à l’indemnisation de sa participation aux travaux en qualité de tiers évincé puisse être véritablement prétendre à la qualité de possesseur de travaux. Ainsi les juges apprécient-ils cette qualité in concreto, selon le degré de participation financière et matérielle du concubin qui se prétend possesseur des travaux. En effet, les règles précitées peuvent être jugées inapplicables dans le cas où le concubin n’a pas contribué suffisamment aux travaux nécessaires à l’édification de ladite construction ou qu’il n’a jamais financé seul certains d’entre eux. Dans cette hypothèse, les juges peuvent alors estimer que le concubin ne pouvant se prévaloir de la qualité de possesseur des travaux, il ne peut être considéré comme un tiers (Pau, 31 janv. 2011, n° 08/04582). Cela étant, ce n’était pas l’hypothèse de l’espèce, la troisième chambre civile relevant, pour contredire l’analyse des juges du fond, l’alimentation par l’ancienne concubine d’un compte-joint anciennement ouvert, faisant preuve d’un véritable cofinancement des matériaux qu’attestaient les justificatifs versés par celle-ci de prélèvements réalisés sur ledit compte, outre sa participation personnelle, physique et financière, à la réalisation de certains travaux, en sorte que la demanderesse pouvait bien revêtir la qualité de tiers possesseur de travaux, la Cour écartant l’exigence du caractère exclusif de la participation du tiers, peu important que celle-ci ait été soutenue par d’autres, en l’occurrence, par certains membres de la famille du couple.

Civ. 3e, 5 oct. 2017, n° 16-20.946

Références

■ Cass. req. 7 mai 1895 : D1895, 1, p. 319.

■ Civ. 3e, 6 nov. 1970, n° 69-11.900 P, D. 1971.395.

■ Civ. 3e, 2 oct. 2002, n° 01-00.002: AJDI 2002. 803 ; RTD civ. 2003. 271, obs. J. Hauser.

■ Civ. 1re, 22 avr. 1981, n° 80-11.944 P : D. 1981. 396. 

■ Civ. 3e, 27 mars 2002, n° 00-18.201 P : RDI 2002. 384, obs. M. Bruschi.

 

 Pau, 31 janv. 2011, n° 08/04582 : D. 2012. 971, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau.

 

 

 

Auteur :M. H.

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