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[ 22 octobre 2013 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

La confirmation d’un accès limité des citoyens à la Cour de justice de l’Union européenne

Mots-clefs : Recours en annulation, Renvoi préjudiciel en validité, Exception d’illégalité, Charte des droits fondamentaux l’UE, Droit au recours effectif, Arrêt Plaumann

Le droit à un recours effectif est affirmé par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Cet article n’impose pas toutefois, selon le juge de l’Union, la possibilité d’intenter, de manière inconditionnelle, un recours en annulation devant la CJUE. La Cour conserve ainsi son interprétation stricte de l’article 263, alinéa 4, du TFUE, issue de l’arrêt Plaumann de 1963, exigeant que le requérant soit individuellement concerné pour que le recours en annulation soit recevable contre un acte de portée générale adoptée par les institutions de l’Union. La Cour justifie cette approche par le système juridictionnel complet de l’Union, qui repose non seulement sur les voies de droit de l’Union, mais également sur celles des États membres, garantissant un contrôle effectif de légalité des actes de l’Union.

Le recours en annulation visé à l’article 263 Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) permet de contester la légalité d’un acte de l’Union dès lors qu’il a été adopté par une institution, un organe ou organisme de l’Union et que cet acte fait grief.

Si le recours n’est pas en lui-même spécifique au système de l’Union, l’alinéa 4 de cet article réserve aux particuliers l’accès à ce recours à la condition qu’il soit directement et individuellement concerné par l’acte. Ces deux conditions ont été interprétées de manière très stricte par la Cour de justice, dans l’arrêt Plaumann du 15 juillet 1963. Dans cet arrêt la Cour de justice a jugé que les particuliers sont individuellement concernés s’ils sont atteints « en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait les individualise d'une manière analogue à celle du destinataire ». Cette approche conduit à exclure de manière quasi systématique la recevabilité d’un recours exercée par un particulier contre un acte de l’Union de portée générale, principalement les directives et les règlements.

Le Tribunal de l’Union européenne (précédemment le Tribunal de première instance des Communautés européennes) avait voulu remettre en cause cette jurisprudence sur le fondement de la Charte des droits fondamentaux alors non contraignante, dans l’arrêt Jégo-Quéré du 3 mai 2002. La Cour a, dans le cadre du pourvoi annulé l’arrêt du Tribunal conservant sa jurisprudence antérieure, le 1er avril 2004. L’arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapariit Kanatami e.a., ici rapporté, a été une nouvelle occasion de revenir sur cette jurisprudence alors que le traité de Lisbonne a rendu contraignante la Charte des droits fondamentaux de l’UE.

À l’origine de ce contentieux, l’adoption par le Parlement européen et le Conseil du règlement (CE) n°1007/2009 autorisant la mise sur le marché intérieur de l’Union des produits dérivés du phoque, uniquement si les produits sont issus de chasses traditionnellement pratiquées par les communautés inuit et indigène à des fins de subsistance. Face à ce règlement, une association inuit notamment, le requérant, et d’autres ont souhaité saisir le Tribunal de l’Union européenne pour contester la légalité de ce texte. Le Tribunal a rejeté le recours comme étant irrecevable, les requérants ne remplissant pas les conditions de l’intérêt à agir. Dans le cadre du pourvoi, la Cour de justice a confirmé l’arrêt du Tribunal revenant sur les conditions de la recevabilité du recours en annulation pour les particuliers au regard du traité de Lisbonne et surtout sur la compatibilité de son interprétation avec l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

La Cour de justice a développé ses arguments au regard des moyens soulevés.

▪ La première précision est liée au contenu de la notion d’acte réglementaire. Cette notion est devenue importante avec le traité de Lisbonne. En effet une modification a été apportée par ce traité à l’article 263, alinéa 4. Il y est précisé que dorénavant pour les actes règlementaires ne faisant pas l’objet de mesures d’exécution, le requérant doit seulement démontrer qu’il est directement concerné par l’acte en cause. Le requérant a alors cherché à démontrer que le règlement en cause était un acte réglementaire. Or, en droit de l’Union, la notion d’acte réglementaire s’oppose à celle d’acte législatif à partir de la procédure utilisée pour l’adoption du texte. Ainsi un acte ne peut être qualifié de législatif au sein de l’ordre juridique de l’Union que s’il est adopté notamment au terme de la procédure législative ordinaire (TFUE, art. 289). C’est le cas du règlement en cause qui a été adopté au terme de cette procédure. Dès lors, l’acte ne peut être règlementaire et exige en conséquence que le particulier démontre qu’il est directement et individuellement concerné par le règlement.

▪ La deuxième précision repose sur le raisonnement de la Cour de justice qui s’appuie une nouvelle fois sur la jurisprudence Plaumann. La Cour réaffirme ainsi son interprétation restrictive concernant la condition exigeant que le requérant individuellement concerné par l’acte. La Cour précise que le règlement pose une interdiction, de certains produits dérivés de phoque, formulée de manière à s’appliquer indistinctement à tous les opérateurs économiques, ce qui exclut l’individualisation des requérants.

▪ La troisième précision est liée à la compatibilité de l’approche de la jurisprudence de la Cour de justice avec l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux. La Cour écarte l’incompatibilité, soulevant la capacité des requérants à pouvoir contester la légalité d’un acte de portée générale par d’autres voies de recours, que ce soit l’exception d’illégalité et le renvoi préjudiciel en validité (TFUE, art. 267). La Cour de justice réaffirme ainsi la complémentarité des voies de droit de l’Union et celles des États membres. La Cour reprend, à cette occasion, l’article 19 TUE rappelant la particularité du système juridictionnel de l’Union qui ne dépend pas uniquement des voies de droit devant la Cour de justice de l’Union européenne. Dès lors, l’accès au recours en annulation n’est pas indispensable, étant donné qu’il ne prive pas le particulier d’une véritable protection juridictionnelle. Dès lors, la Cour peut en déduire que l’article 47 de la Charte n’exige pas un accès au recours en annulation et que la Charte n’a pas eu pour objet de modifier le système du contrôle juridictionnel issu du traité de Lisbonne.

Parallèlement, la Cour précise que si les États membres disposent d’une autonomie procédurale, ils doivent garantir l’accès au juge et ouvrir les voies de droit interne à la protection des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union. Cependant, cette obligation pesant sur les États membres n’implique pas qu’ils ouvrent une voie de droit spécifique permettant de contester à titre principal un acte de l’Union de portée générale.

La Charte n’a en conséquence pas eu d’incidence sur la jurisprudence de la Cour de justice, qui considère que le système actuel apporte les garanties suffisantes en matière de droit au recours effectif. Il sera intéressant, une fois l’adhésion à la Conv. EDH effective, d’examiner si la Cour européenne des droits de l’homme a la même approche du système juridictionnel de l’Union. La procédure d’adhésion de l’Union européenne à la Conv. EDH est actuellement en cours, elle fait l’objet de négociations. Cette adhésion est devenue possible au regard de l’article 6, paragraphe 2 TUE, les institutions de l’Union et le Conseil de l’Europe souhaitant renforcer la protection des droits fondamentaux par ce biais.

CJUE 3 oct. 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e. a., C-583/11P

Références

 CJUE 15 juillet 1963, Plaumannn°25/62.

■ TPIUE 3 mai 2002, Jégo-Quéré et Cie SA c/ Commission,T-177/01

■ Article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne - Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial

« Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter.

Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l'effectivité de l'accès à la justice. »

■ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

Article 263 (ex-article 230 TCE)

« La Cour de justice de l'Union européenne contrôle la légalité des actes législatifs, des actes du Conseil, de la Commission et de la Banque centrale européenne, autres que les recommandations et les avis, et des actes du Parlement européen et du Conseil européen destinés à produire des effets juridiques à l'égard des tiers. Elle contrôle aussi la légalité des actes des organes ou organismes de l'Union destinés à produire des effets juridiques à l'égard des tiers. 

À cet effet, la Cour est compétente pour se prononcer sur les recours pour incompétence, violation des formes substantielles, violation des traités ou de toute règle de droit relative à leur application, ou détournement de pouvoir, formés par un État membre, le Parlement européen, le Conseil ou la Commission. 

La Cour est compétente, dans les mêmes conditions, pour se prononcer sur les recours formés par la Cour des comptes, par la Banque centrale européenne et par le Comité des régions qui tendent à la sauvegarde des prérogatives de ceux-ci.

Toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d'exécution. Les actes créant les organes et organismes de l'Union peuvent prévoir des conditions et modalités particulières concernant les recours formés par des personnes physiques ou morales contre des actes de ces organes ou organismes destinés à produire des effets juridiques à leur égard.

Les recours prévus au présent article doivent être formés dans un délai de deux mois à compter, suivant le cas, de la publication de l'acte, de sa notification au requérant ou, à défaut, du jour où celui-ci en a eu connaissance. »

Article 267 - (ex-article 234 TCE)

« La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel: 

a) sur l'interprétation des traités, 

b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union. 

Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question. 

Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.

Si une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale concernant une personne détenue, la Cour statue dans les plus brefs délais. »

Article 277 - (ex-article 241 TCE) 

« Nonobstant l'expiration du délai prévu à l'article 263, sixième alinéa, toute partie peut, à l'occasion d'un litige mettant en cause un acte de portée générale adopté par une institution, un organe ou un organisme de l'Union, se prévaloir des moyens prévus à l'article 263, deuxième alinéa, pour invoquer devant la Cour de justice de l'Union européenne l'inapplicabilité de cet acte. »

Article 289

« 1. La procédure législative ordinaire consiste en l'adoption d'un règlement, d'une directive ou d'une décision conjointement par le Parlement européen et le Conseil, sur proposition de la Commission. Cette procédure est définie à l'article 294.

2. Dans les cas spécifiques prévus par les traités, l'adoption d'un règlement, d'une directive ou d'une décision par le Parlement européen avec la participation du Conseil ou par celui-ci avec la participation du Parlement européen constitue une procédure législative spéciale.

3. Les actes juridiques adoptés par procédure législative constituent des actes législatifs.

4. Dans les cas spécifiques prévus par les traités, les actes législatifs peuvent être adoptés sur initiative d'un groupe d'États membres ou du Parlement européen, sur recommandation de la Banque centrale européenne ou sur demande de la Cour de justice ou de la Banque européenne d'investissement. »

■ Traité sur l’Union européenne

Article 6

« 1. L'Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu'adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités. 

Les dispositions de la Charte n'étendent en aucune manière les compétences de l'Union telles que définies dans les traités. 

Les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte sont interprétés conformément aux dispositions générales du titre VII de la Charte régissant l'interprétation et l'application de celle-ci et en prenant dûment en considération les explications visées dans la Charte, qui indiquent les sources de ces dispositions. 

2. L'Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Cette adhésion ne modifie pas les compétences de l'Union telles qu'elles sont définies dans les traités.

3. Les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l'Union en tant que principes généraux. »

Article 19

« 1. La Cour de justice de l'Union européenne comprend la Cour de justice, le Tribunal et des tribunaux spécialisés. Elle assure le respect du droit dans l'interprétation et l'application des traités. 

Les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l'Union. 

2. La Cour de justice est composée d'un juge par État membre. Elle est assistée d'avocats généraux. 

Le Tribunal compte au moins un juge par État membre. 

Les juges et les avocats généraux de la Cour de justice et les juges du Tribunal sont choisis parmi des personnalités offrant toutes garanties d'indépendance et réunissant les conditions visées aux articles 253 et 254 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Ils sont nommés d'un commun accord par les gouvernements des États membres pour six ans. Les juges et les avocats généraux sortants peuvent être nommés de nouveau. 

3. La Cour de justice de l'Union européenne statue conformément aux traités: 

a) sur les recours formés par un État membre, une institution ou des personnes physiques ou morales; 

b) à titre préjudiciel, à la demande des juridictions nationales, sur l'interprétation du droit de l'Union ou sur la validité d'actes adoptés par les institutions; 

c) dans les autres cas prévus par les traités. »

 

Auteur :V. B.


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