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Droit des obligations
La construction sans permis est un vice caché
Le fait pour le vendeur de dissimuler à l’acheteur que le bien est édifié sans permis de construire constitue un vice caché dans la mesure où le droit de l’urbanisme interdit dans ce cas la reconstruction à l’identique du bien.
Civ. 3e, 10 juin 2021, n° 20-11.902
Dissimuler l’impossibilité de reconstruire à l’identique un bien initialement vicié par l’irrégularité de son édification constitue un vice caché. Tel est l’enseignement de la décision rapportée.
Après avoir acheté un fonds de commerce pour y exercer son activité, un restaurateur avait découvert que le bâtiment abritant son restaurant avait été en grande partie édifié sans permis de construire. Les propriétaires vendeurs, parfaitement informés du dépassement de surface qu’allait générer la construction de certaines parties du fonds par rapport à la surface maximale autorisée par le plan communal d’occupation des sols applicable à l’immeuble, avaient même été condamnés pénalement pour ces faits. Une fois ces faits connus, le restaurateur avait assigné les cédants en indemnisation sur le fondement de la garantie des vices cachés (sur l’applicabilité de la garantie de droit commun des vices cachés au vendeur d’un fonds de commerce, v. Civ. 1re, 3 juill. 1996, n° 94-16.196).
La cour d’appel accueillit sa demande au motif que même en cas de destruction fortuite de l’ouvrage édifié sans autorisation, l’acheteur serait en tout état de cause dans l’impossibilité de le reconstruire à l’identique : en effet si l’article L 111-15 du Code de l’urbanisme autorise la reconstruction à l’identique dans un délai de 10 ans des bâtiments détruits ou démolis, cette disposition ne concerne que les constructions régulièrement édifiées, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, en raison de la méconnaissance des prescriptions du POS applicables. Dès lors, l’impossibilité de reconstruire à l’identique le bâtiment litigieux entraînait celle pour le restaurateur d’exploiter le fonds acquis et en diminuait tellement l’usage que ce dernier n’en aurait donné qu’un moindre prix s’il avait été informé de ces faits : ainsi le vice caché était-il caractérisé.
Devant la Cour de cassation, les cédants prétendaient d’une part que le fait que le juge pénal n’ait pas ordonné la démolition des extensions réalisées sans permis avait eu pour effet de régulariser celles-ci et, d’autre part, que l’éventuelle impossibilité de reconstruction du bien résultait de son incompatibilité avec les normes d’urbanisme considérées et non pas de l’irrégularité initiale de la construction.
La Cour de cassation devait donc répondre à la question de savoir si l’impossibilité de reconstruire un immeuble initialement construit sans permis mais dont le juge n’a pas ordonné la démolition constituait un vice caché.
À cette question, la troisième chambre civile répond par l’affirmative et rejette le pourvoi : elle approuve l’analyse de la cour d’appel qui avait retenu que l’irrégularité de la construction litigieuse empêchait, au regard du droit de l’urbanisme, de le reconstruire à l’identique, ce dont elle a souverainement déduit que cette impossibilité, dissimulée à l’acheteur lors de la vente, diminuait tellement l’usage du bien en cas de destruction fortuite de celui-ci que l’acheteur n’en aurait donné qu’un moindre prix s’il avait su qu’il avait été irrégulièrement édifié, en sorte que cette dissimulation du caractère illicite du bien bâti était constitutive d’un vice caché.
La décision rapportée rappelle trois critères essentiels à la caractérisation d’un vice caché : son caractère occulte, participant de la notion même de « vice caché » ; son antériorité à la vente et enfin, son atteinte à l’usage du bien.
■ Tout d’abord, l’apparence du vice à la date de la vente exclut la garantie du vendeur (C. civ., art. 1642) : en effet, il est de jurisprudence constante que le vendeur n’est pas tenu à garantie lorsque l’acheteur a eu connaissance, au moment de la vente, du vice dont la chose vendue était affectée (Civ. 1re, 13 mai 1981, n° 80-10.876 ; Civ. 3e, 30 janv. 2008, n° 07-10.133). Et si l’acheteur professionnel est en principe présumé en avoir eu connaissance (Civ. 1re, 18 déc. 1962), cette présomption simple ne joue pas en cas de vice indécelable, défini comme celui dont l’acheteur ne pouvait se convaincre lui-même, sauf à procéder à des investigations allant au-delà de son devoir élémentaire de vérification de l’état du bien : imperceptible même par un acheteur professionnel, un tel défaut constitue un vice caché, par essence occulte. Dans l’arrêt commenté, l’acheteur ignorait le caractère illicite des constructions et les condamnations pénales qui en ont résulté, l’investigation que supposait l’accès à ces éléments d’information extrinsèques au bien lui-même au moment de la vente justifiant de considérer son ignorance comme légitime et de qualifier en conséquence le vice de construction allégué d’indécelable.
■ Ensuite, le critère tiré de l’antériorité du vice à la vente suppose d’établir que le défaut allégué existait, même en germe, antérieurement à la date de sa conclusion ou à celle de la livraison de la chose vendue (Com. 9 févr. 1965, n° 59-11.825). Or en l’espèce, cette condition d’antériorité était de toute évidence remplie, la construction sans permis ayant été réalisée près d’une vingtaine d’années avant la date de cession du fonds de commerce.
■ Enfin, l’atteinte à l’usage du bien vicié était également caractérisée, le défaut caché de la chose devant rendre impossible l’usage auquel on la destine ou compromettre son utilisation à un point tel que si l’acheteur en avait connu l’existence, il ne l’aurait point acquise, sauf à un moindre prix. En l’espèce, les juges ont retenu sans difficulté une telle atteinte, dans les termes de l’article 1641 du Code civil : la construction litigieuse ayant été irrégulièrement édifiée, cette illicéité, que l’absence de démolition ordonnée en temps utile par un juge ne suffisait à chasser, interdisait toute reconstruction du bien. Dans ce cas d’espèce, le bien vicié se révélait impropre à l’usage auquel l’acquéreur la destinait (sur cette notion dite d’usage convenu, v. Civ. 1re, 24 nov. 1993, n° 92-11.085) et diminuait tellement son usage, en cas de réalisation du risque de destruction fortuite, que l’acheteur n’en aurait donné qu’un moindre prix s’il avait connu le vice affectant le bien acquis.
Son action indemnitaire, autonome des actions rédhibitoire et estimatoire, devait donc être accueillie au titre de la garantie des vices cachés. Malgré l’absence d’actualité du préjudice, le risque de destruction fortuite du fonds renvoyant à un préjudice futur, la Cour caractérise néanmoins un vice caché réparable dès lors que l’impossibilité de reconstruire empêcherait en tout état de cause la poursuite de l’exploitation du commerce.
NB : À noter que le vice caché a été, au contraire, écarté, s’agissant d’une maison construite sans autorisation, au motif que le défaut de permis ne la rendait pas impropre à sa destination et ne présentait pas de désordre (v. Civ. 3e, 15 mars 2018, n° 17-11.850).
Références :
■ Civ. 1re, 3 juill. 1996, n° 94-16.196 P
■ Civ. 1re, 13 mai 1981, n° 80-10.876 P
■ Civ. 3ème, 30 janv. 2008, n° 07-10.133 P: D. 2008. 546 ; ibid. 2390, obs. F. G. Trébulle
■ Com., 9 févr. 1965, n ° 59-11.825 P
■ Civ. 1re, 24 nov. 1993, n° 92-11.085 P: D. 1994. 12 ; RTD com. 1994. 342, obs. B. Bouloc
■ Civ. 3ème, 15 mars 2018, n° 17-11.850: AJDI 2018. 459
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