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[ 7 février 2024 ] Imprimer

Droit des obligations

La convention d’occupation précaire n’est pas un bail

Une convention d’occupation précaire n’étant pas un bail, le propriétaire du local n’est pas soumis à l’obligation de délivrance prévue par l’article 1719 du Code civil.

Civ. 3e, 11 janv. 2024, n° 22-16.974

L’inscription de la jouissance dans le temps compte parmi les éléments constitutifs du bail. En effet, l’article 1709 du Code civil dispose que la jouissance de la chose est conférée « pendant un certain temps ». Outre la prohibition des baux perpétuels, la précision signifie surtout que le bail implique une stabilité dans le temps : le locataire sait pour combien de temps il reçoit la jouissance de la chose louée ou, si le bail est à durée indéterminée, il ne peut être rompu sans préavis préalable. C’est ce qui différencie le bail d’un autre type de convention : la convention d’occupation précaire. 

En l’espèce, l’occupant à titre précaire d’un local de stockage avait subi un dégât des eaux puis assigné le propriétaire en indemnisation de son préjudice. Au visa de l’article 1147 (dans sa rédaction antérieure à la réforme du droit des contrats issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 févr. 2016) et de l’article 1719 du Code civil, la cour d’appel avait condamné le propriétaire au motif que les infiltrations constatées caractérisaient un manquement à son obligation de délivrance. Ce faisant, la cour d’appel avait assimilé la convention d’occupation précaire à un bail, ce qu’elle n’est pas. La cassation était donc inévitable. Rappelant qu’une convention d'occupation précaire n'est pas un bail (v. déjà, Civ. 3e, 19 nov. 2014, n° 13-20.089 ; D. 2015.1615, obs. M.-P. Dumont-Lefrand), la Cour juge que l'occupant à titre précaire ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 1719 du Code civil mettant à la charge du bailleur une obligation de délivrance des locaux loués, mais doit établir un manquement de son cocontractant à ses obligations contractuelles.

Convention d’occupation précaire : distinction avec le bail - La convention d’occupation précaire est un contrat par lequel les parties manifestent leur volonté de reconnaître à l’occupant un droit de jouissance précaire, moyennant une contrepartie financière. Ainsi cette convention a-t-elle tous les aspects du bail, excepté sa stabilité : elle se rapproche du contrat de bail par la mise à disposition d’une chose moyennant rémunération, mais s’en distingue par la précarité de la convention. Ce n’est donc pas la durée de la convention mais son instabilité qui est déterminante. Selon une formulation classique, la convention d’occupation précaire « se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l’occupation des lieux n’est autorisée qu’à raison des circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties » (Civ. 3e, 29 avr. 2009, n° 08-13.308 ; Civ. 3e, 15 oct. 2014, n° 13-20.085, jurisprudence reprise, concernant les baux commerciaux, à l’article L. 145-5-1 du Code de commerce, issu de la loi Pinel n° 2014-626 du 18 juin 2014). La volonté des parties ne permet ainsi pas, à elle seule, de conclure une convention d’occupation précaire. Elle doit être liée à un motif dont le juge vérifie la légitimité et qui doit exister au jour de la conclusion du contrat. C’est notamment le caractère provisoire et difficilement prévisible de la durée pendant laquelle la jouissance du bien peut être conférée au tiers qui permettront de justifier le recours à une telle convention : cela correspondra le plus souvent à une situation d’attente (avant démolition, avant utilisation pour un but prédéfini, etc.). En outre, parmi les raisons permettant de recourir à une convention d’occupation précaire se trouve l’inclusion du bien dans le domaine public (seule une convention précaire, alors qualifiée d’ « amodiation », peut en effet être conférée sur de tels biens qui doivent rester à la disposition des autorités publiques).

Régime de la convention d’occupation précaire : la prévalence de la loi des parties – La qualification de convention d’occupation précaire écarte donc les règles relatives au bail, d’habitation ou commercial. La Cour rappelle ici que la convention d’occupation précaire n’étant pas un bail, les dispositions de droit commun relatives au contrat de louage ne s’appliquent pas, notamment l’article 1719 du Code civil qui fonde l’obligation du bailleur « de délivrer la chose louée et d’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée ». Si ces obligations s’imposent naturellement dans un bail, « sans qu’il soit besoin d’une stipulation particulière », a contrario, dans une convention d’occupation précaire, les obligations de délivrance et d’entretien de la chose louée ne s’imposent que si les parties les ont expressément prévues par une clause spécifique. Soustraite au régime du bail, la convention d’occupation précaire est alors exclusivement régie par les prévisions contractuelles des parties. Toutefois, l’arrêt conduit à s’interroger sur les contours exacts de ce contenu obligationnel. En l’espèce, c’était sous l’angle de la responsabilité contractuelle du propriétaire que la question se posait. Si le préjudice matériel de l’occupant résultant des infiltrations était sans aucun doute établi, il ne suffisait pas à engager la responsabilité du propriétaire, soustrait à l’obligation de délivrance et de jouissance paisible incombant au seul bailleur : la convention précaire n’étant pas un bail, la seule existence d’un dégât matériel ne pouvait suffire à établir un manquement contractuel imputable au propriétaire. Ainsi que le souligne la Cour, outre l’existence d’un préjudice, l’occupant à titre précaire doit, pour en obtenir la réparation, « établir un manquement du cocontractant à ses obligations contractuelles », ce qui suppose de déterminer les obligations préalablement contractées par le propriétaire. En affirmant que « la convention d’occupation précaire n’est régie que par les prévisions contractuelles des parties », la Cour semble limiter le champ de leurs obligations respectives à celles expressément prévues par la convention. Or la pratique montre que ces conventions, généralement rédigées sous la plume du propriétaire, ne contiennent pour l’essentiel que des obligations à la charge de l’occupant. Faute de pouvoir se référer au régime du bail pour combler cette lacune, peut-on se référer aux règles contractuelles générales ? Une réponse positive semble s’inférer des termes de l’article 1105 du Code civil, dont il résulte que la convention d’occupation précaire demeure soumise au droit commun des obligations.

Régime de la convention d’occupation précaire : application résiduelle du droit commun des obligations - Outre les prévisions contractuelles des parties, qui peuvent être imprécises ou lacunaires, les règles issues du droit commun des contrats sont susceptibles d’être exploitées pour définir le régime applicable à la convention d’occupation précaire. Ainsi, l’article 1163 du Code civil précise que l’objet de l’obligation est une prestation qui doit être « possible » au moment de la formation du contrat, de même qu’en matière de bail, il convient que l’usage de la chose conférée par le bailleur soit possible. En l’espèce, l’objet de la convention d’occupation précaire était un local de stockage. De plus, l’article 1166 du Code civil dispose que « (l)orsque la qualité de la prestation n’est pas déterminée ou déterminable en vertu du contrat, le débiteur doit offrir une prestation de qualité conforme aux attentes légitimes des parties en considération de sa nature, des usages et du montant de la contrepartie ». Au cas d’espèce, l’humidité n’étant pas compatible avec l’usage de stockage contractuellement convenu, il était logique d’admettre que l’occupant était en droit d’attendre que le local restât sec, de même qu’un locataire est, en vertu de l’article 1719, en droit de retirer de la chose délivrée la jouissance convenue. L’usage de stockage étant entré dans le champ contractuel, l’obligation essentielle du propriétaire, au sens de l’article 1170 du Code civil, était donc bien de fournir un local propre à cet usage de stockage. Par conséquent, même si le régime du bail n’était pas en l’espèce applicable, le propriétaire demeurait tenu de mettre à la disposition de l’occupant un local adapté à l’usage de stockage expressément stipulé dans la convention. Cependant, s’il avait sans doute rempli cette obligation ab initio, sans quoi l’occupant n’aurait pas signé la convention, le propriétaire ne l’avait pas, ensuite, respecté. Mais au stade de l’exécution de la convention, le recours au droit commun se révèle insuffisant. En effet, il est difficile de retenir que, tout en étant soustrait aux obligations d’un bailleur, le propriétaire est obligé d’entretenir le bien en état de servir à l’usage pour lequel il est occupé, pendant toute la durée de la convention. L’occupation du local est par nature précaire et le montant de la redevance qui tient compte de cette précarité doit rester modique. Cette modicité est sans doute incompatible avec une obligation d’entretien continue du local, à laquelle seul un preneur pourrait donc prétendre. 

Compte tenu de la précarité caractéristique de cette convention, ni les règles propres au bail ni le droit commun du contrat ne pouvaient donc, en l’espèce, venir au secours de l’occupant. 

Références :

■ Civ. 3e, 19 nov. 2014, n° 13-20.089 D. 2014. 2408 ; ibid. 2015. 1615, obs. M.-P. Dumont-Lefrand

■ Civ. 3e, 29 avr. 2009, n° 08-13.308 : D. 2009. 1354, obs. Y. Rouquet ; RTD com. 2009. 529, obs. F. Kendérian

■ Civ. 3e, 15 oct. 2014, n° 13-20.085 : D. 2014. 2110, obs. Y. Rouquet

 

 

Auteur :Merryl Hervieu


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