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Droit européen et de l'Union européenne
La conventionalité de l’interdiction du droit de vote
Mots-clefs : Citoyen européen, Parlement européen, Droit de vote, Loi pénale plus douce, Rétroactivité, Interdiction générale et indéfinie
La Cour de justice de l’Union européenne reconnait la possibilité pour un État de prononcer une peine d’interdiction générale et indéfinie dans le temps du droit de vote au regard des articles 39, paragraphe 2, visant le droit de vote aux élections du Parlement européen, et 52, paragraphe 1 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, concernant les conditions de la limitation d’un droit. La législation nationale est compatible dès lors qu’elle est limitée à certaines infractions graves et qu’il existe une procédure pour réévaluer la situation individuelle du condamné.
Le droit de vote aux élections du Parlement européen constitue un droit pour tout citoyen de l’Union conformément à l’article 14, paragraphe 3 du traité sur l’Union européenne (TUE) et l’article 39, paragraphe 2 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (Charte). Cette expression de la démocratie européenne se heurte nécessairement à des dispositions nationales prévoyant des sanctions liées à l’interdiction d’exercer les droits civils et politiques. Or, l’interdiction du droit des votes des condamnés est un sujet épineux en Europe depuis la décision adoptée par la Cour européenne des droits de l’Homme, condamnant le Royaume-Uni pour avoir imposé aux détenus une restriction automatique et indifférenciée du droit de vote. Le premier arrêt était l'affaire Hirst contre Royaume-Uni (CEDH, gr. ch., 6 oct. 2005, n° 74025/01), confirmé dernièrement par l’arrêt du 10 février 2015, McHugh et autres contre Royaume-Uni (CEDH, 10 févr. 2015, n° 51987/08).
La Cour de justice, dans l’arrêt présenté en l’espèce, adopte une position très différente, sans doute plus apte à apaiser le courroux britannique contre les juridictions européennes, à tout au moins celle de l’Union, en plein débat sur le Brexit (terme utilisé à propos de l’éventuelle sortie du Royaume-Uni de l’UE). Pourtant l’affaire posait de nombreuses difficultés en raison de l’adoption d’une loi pénale plus douce dont n’avait pas bénéficié le requérant et du caractère indéfini de la sanction.
Le contentieux résulte d’une condamnation du requérant, le 30 mars 1988, pour crime lequel n’est pas précisé dans les faits. La condamnation de douze ans a entraîné automatiquement une interdiction générale et indéfinie d’exercer son droit de vote notamment. Or, les conditions de ce type de condamnation ont été modifiées lors de l’adoption du Code pénal de 1994, l’interdiction d’exercer ses droits civiques devenant une peine accessoire, dont la durée ne peut excéder dix ans. Ainsi, en droit français, seule une personne à laquelle les tribunaux ont interdit le droit de vote et d'élection perd sa capacité électorale pendant le délai fixé par le jugement. Dès lors une personne détenue n’est pas privée de droit de vote, sauf décision judiciaire en ce sens. La nouvelle loi est plus douce et le requérant conteste en conséquence sa condamnation qui a été maintenue et a entraîné sa radiation des listes électorales en 2012 de la commune de Lesparre-Médoc.
Avant de se prononcer sur le fond, la Cour de justice est revenue sur la question de sa compétence, afin de déterminer si la situation en cause pouvait être saisie par les dispositions de la Charte. La Cour applique sa jurisprudence constante, interprétant largement l’article 51, paragraphe 1er de la Charte. La Charte est ainsi applicable chaque fois qu’il y a mise en œuvre du droit de l’Union mais également que la situation est régie par le droit de l’Union. C’est le cas en l’espèce puisque l’interdiction du droit de vote fait directement échec avec le droit de vote accordé aux citoyens pour les élections du Parlement européen.
Sur le fond, la Cour reprend sa grille de lecture traditionnelle, issue de l’article 52, paragraphe 1er de la Charte, rappelant que des limitations peuvent être apportées à l’exercice des droits. Elle examine alors si les limitations en cause sont prévues par la loi, tout en respectant le contenu essentiel du droit en cause. Elle recherche également si l’atteinte est proportionnée et répond à un objectif d’intérêt général.
En l’espèce, il s’agit d’une limite figurant dans le Code électoral et le Code pénal. La première condition est réalisée. La deuxième condition est également respectée, selon la Cour, étant donné que l’interdiction n’est pas généralisée, mais restreinte à certaines condamnations. La troisième est aussi respectée, la cour jugeant que cette interdiction n’est applicable qu’aux crimes, passibles d’une sanction supérieure à cinq ans (C. pén., art. 131-26). Surtout la Cour insiste sur le fait que la situation personnelle du condamné peut être réévaluée. Cet élément est déterminant au regard du raisonnement.
La Cour écarte la problématique de la loi pénale plus douce et ainsi la violation de l’article 49, paragraphe 1er de la Charte estimant que la condamnation était définitive au moment de la modification du Code pénal et que le requérant n’avait pas à en bénéficier. Cependant cette position de la Cour semble renforcée une nouvelle fois par la faculté d’obtenir le relèvement de cette condamnation, empêchant que celle-ci soit obligatoirement indéfinie, ce qui aurait posé de manière plus épineuse le problème de la proportionnalité.
La Cour de justice s’est ainsi démarquée de la Cour européenne des droits de l’homme, même si la situation n’était pas totalement identique en raison de l’existence déterminante d’une procédure de réévaluation en France contrairement au Royaume-Uni.
Références
■ Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
Article 39, § 2
« Droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen.
… 2. Les membres du Parlement européen sont élus au suffrage universel direct, libre et secret. »
Article 49, § 1er
« Principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou le droit international. De même, il n’est inflige aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit une peine plus légère, celle-ci doit être appliquée. »
Article 51, § 1er
« Champ d’application. 1. Les dispositions de la présente Charte s’adressent aux institutions et organes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l’application, conformément à leurs compétences respectives. »
Article 52, § 1er
« Portée des droits garantis. 1. Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. »
■ Traité sur l’Union européenne
Article 14, § 3
« 3. Les membres du Parlement européen sont élus au suffrage universel direct, libre et secret, pour un mandat de cinq ans. »
■ Code pénal
Article 131-26
« L'interdiction des droits civiques, civils et de famille porte sur :
1° Le droit de vote ;
2° L'éligibilité ;
3° Le droit d'exercer une fonction juridictionnelle ou d'être expert devant une juridiction, de représenter ou d'assister une partie devant la justice ;
4° Le droit de témoigner en justice autrement que pour y faire de simples déclarations ;
5° Le droit d'être tuteur ou curateur ; cette interdiction n'exclut pas le droit, après avis conforme du juge des tutelles, le conseil de famille entendu, d'être tuteur ou curateur de ses propres enfants.
L'interdiction des droits civiques, civils et de famille ne peut excéder une durée de dix ans en cas de condamnation pour crime et une durée de cinq ans en cas de condamnation pour délit.
La juridiction peut prononcer l'interdiction de tout ou partie de ces droits.
L'interdiction du droit de vote ou l'inéligibilité prononcées en application du présent article emportent interdiction ou incapacité d'exercer une fonction publique. »
■ CEDH, gr. ch., 6 oct. 2005, Hirst c/ Royaume-Uni, n° 74025/01.
■ CEDH 10 févr. 2015, McHugh et autres c/ Royaume-Uni, n° 51987/08.
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