Actualité > À la une
À la une

Procédure pénale
La Cour des comptes alerte sur l’insuffisance des peines alternatives face à leurs objectifs
Les alternatives pénales à l’incarcération, parfois perçues comme une véritable « auberge espagnole » du système judiciaire (L. Aubert, Systématisme pénal et alternatives aux poursuites en France : une politique pénale en trompe-l'œil, Droit et société, p.17-33) peinent à remplir leurs objectifs.
Rapport public thématique mars 2025 de la Cour des comptes sur l’évaluation du TIG et du DDSE
En mars 2025, la Cour des comptes a publié un rapport détaillant une évaluation des peines alternatives que sont le travail d’intérêt général (TIG) et la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE). Mises en place pour répondre à la surpopulation carcérale et favoriser la réinsertion des condamnés, elles mobilisent un large éventail d’acteurs judiciaires et administratifs. Cette organisation complexe, loin d’être simplifiée par la succession des réformes en la matière, soulève des questions sur leur efficacité réelle dans le système judiciaire français. L’évaluation de la Cour des comptes a pour objectif de mesurer leur impact en fonction des objectifs fixés par l’article 130-1 du Code pénal : sanctionner, favoriser l’insertion ou la réinsertion, et prévenir la récidive.
■ Encourager les alternatives face à une peine de prison décriée
Longtemps considérée comme la réponse pénale par excellence, l’emprisonnement a occupé une place centrale dans le droit pénal français, porté dès 1791 par Louis Michel Lepelletier de Saint-Fargeau, qui affirmait que « l’un des plus ardents désirs de l’homme, c’est d’être libre : la perte de sa liberté sera le premier caractère de sa peine » (Le Pelletier de Saint-Fargeau, Rapport sur le projet du Code pénal, présenté à l'Assemblée nationale, au nom des comités de Constitution et de législation criminelle, par M. Le Pelletier de Saint-Fargeau (Imprimé par ordre de l'Assemblée nationale, 1791)). Historiquement perçue comme une prima ratio, c’est-à-dire une peine de référence face à la délinquance, la prison s’est progressivement imposée et banalisée au fil des siècles, au point d’être qualifiée par le juge de Vabres d’institution ancrée dans une longue tradition répressive (H. Donnedieu de Vabres, Traité élémentaire de droit criminel et de législation pénale comparée, Sirey, 1943). Cependant, cette hégémonie a été remise en cause par la suite, notamment pour son effet criminogène, dénoncé par de nombreux auteurs tels que Michel Foucault (M. Foucault, Surveiller et punir, nrf, Gallimard, 1975). En effet, les chiffres de la Cour des comptes illustrent l’échec relatif de l’incarcération à prévenir la récidive : 59 % des sortants de prison récidivent dans les quatre ans, et 33 % dès la première année, un taux stable depuis vingt ans. Cet échec est particulièrement marqué pour les courtes peines, qui entraînent souvent une désocialisation sans réelle réinsertion. De plus, la crise carcérale s’aggrave, avec un taux d’occupation record de 128,5 % en novembre 2024, atteignant même 150 % dans certaines maisons d’arrêt (V. Ministère de la justice, Statistique des établissements et des personnes écrouées en France, 1er décembre 2024). Cette surpopulation entraîne insécurité, dégradation des conditions de détention et coûts élevés, estimés à 141,99 € par jour et par détenu. Face à ces constats, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme appelle à mettre en œuvre une politique pénale cohérente présentant la privation de liberté comme une mesure de dernier recours (CNCDH, Avis sur les alternatives à la détention, 2006).
Face à ces constats, depuis 1975, le législateur a progressivement développé des alternatives à l’incarcération pour atténuer ses effets délétères, notamment la surpopulation carcérale et les obstacles à la réinsertion. Parmi ces mesures, deux peines majeures ont été instaurées : le travail d’intérêt général (TIG) et la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE). Créé en 1983, le TIG est une peine imposant au condamné d’exécuter un travail non rémunéré au sein d’une structure d’accueil. Il vise avant tout à favoriser la réinsertion sociale tout en instaurant une dimension réparatrice à la sanction. Pour renforcer son efficacité et diversifier les missions proposées, l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle des personnes placées sous-main de justice (Atigip) a été créée en 2018. Aujourd’hui, un réseau de 77 référents territoriaux assure l’extension et le suivi du dispositif. À ces côtés, la DDSE, mise en place en 1997 et généralisée en 2005, constitue une alternative à l’incarcération qui limite les ruptures sociales liées à la détention grâce au port d’un bracelet électronique, le condamné voyant ses déplacements strictement encadrés par des plages horaires définies. En 2024, environ 20 000 personnes étaient placées sous DDSE, principalement dans le cadre d’aménagements de peine.
Les peines alternatives comme le TIG et la DDSE offrent plusieurs avantages. Elles limitent les effets désocialisant de l’emprisonnement (Sur ce point v. le concept de « labelling » de H. Becker, Outsiders : Studies in the Sociology of Deviance, 1963) et permettent une individualisation plus fine des sanctions, principe à valeur constitutionnelle (Cons. const., 22 juill. 2005, n° 2005-520 DC, S. Nicot, Revue française de droit constitutionnel, 2005, p.165-175). Par ailleurs, elles représentent un coût nettement inférieur pour l’État : 1 862 € pour un TIG contre 2 788 € pour une DDSE, là où l’incarcération engendre des dépenses bien plus élevées. Ces peines ont connu une expansion massive, avec une hausse impressionnante de 580% (L. Aubert, Systématisme pénal et alternatives aux poursuites en France : une politique pénale en trompe-l'œil, préc.).
Malgré ces avantages, la Cour des comptes constate que ces alternatives n’ont pas résolu tous les problèmes. Le TIG et la DDSE ne parviennent pas à remplir pleinement leur rôle.
■ Des peines alternatives en perte de crédibilité
Le Chapitre I du rapport de la Cour des comptes (pages 29-63) souligne deux écueils majeurs : le manque de crédibilité et les difficultés d’application. L’utilisation de ces peines est marquée par une grande inégalité. Les TIG ont chuté de 21 % entre 2014 et 2023, en raison notamment de l’essor des alternatives aux poursuites (36 % des affaires poursuivables en 2022), qui détournent les primo-délinquants, et des procédures rapides telles que les ordonnances pénales (1 % de TIG) et la composition pénale (un cas sur quinze). En revanche, les DDSE ont connu une forte augmentation (+32 % depuis 2020), représentant un tiers des peines fermes en 2023, mais sont perçues davantage comme un palliatif à la surpopulation carcérale que comme une véritable sanction, sans parvenir à réduire le nombre des 78 000 incarcérations annuelles. La réforme opérée par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui interdit les peines de moins d’un mois et impose des aménagements pour celles de moins de six mois (C. pén., art. 132-19), se trouve confrontée à une application incertaine et hésitante de la part des juges. Cela est principalement dû à des outils inadaptés : des enquêtes sociales trop rapides (utiles dans seulement 19 % des cas), des logiciels obsolètes (CASSIOPÉE et APPI) et un dialogue insuffisant entre le parquet, les SPIP (Services Pénitentiaires d'Insertion et de Probation), et les avocats, qui ne sont pas suffisamment formés à l'exécution des peines. Cette absence de coordination et d’une réponse réfléchie, en raison de l'urgence (89 % des réponses pénales en 2022), freine l’application des peines alternatives.
Les problèmes de mise en œuvre sont encore plus marqués : les TIG s’étendent sur 16 mois (100 heures de travail), avec un contrôle insuffisant – les tuteurs ne consacrant que 9,6 heures pour 100 heures de travail – et les CPIP (conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation) sont trop distants. Quant aux DDSE, bien qu’elles soient plus rapides (12 jours en moyenne), elles sont souvent confrontées à une gestion chaotique des 8 000 alarmes quotidiennes, ce qui érode leur crédibilité auprès des magistrats (82-90 % préférant la DDSE à l’incarcération, mais pas le TIG) et des victimes, qui les perçoivent comme un symbole de laxisme.
Ainsi, la Cour des comptes met en lumière une réforme ambitieuse mais entravée par des inerties systémiques : surcharge de travail, mais aussi manque de coordination et de ressources. TIG et DDSE en restent à un statut de substituts inefficaces, bien loin des objectifs transformateurs de la réforme de 2019. Cette situation reflète les limites d’une justice débordée, encore prisonnière de ses anciens réflexes, et offre un miroir de l’impuissance face aux défis d’une véritable réforme pénale.
■ Une réinsertion espérée mais inachevée
Le chapitre II (p. 63-91) évalue la capacité du travail d’intérêt général (TIG) et de la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE) à répondre aux objectifs d’insertion sociale et professionnelle définis par l’article 130-1 du Code pénal, révélant des ambitions freinées par des obstacles structurels. Ces mesures, conçues pour éviter la désocialisation liée à l’emprisonnement, ciblent des publics fragilisés avec des profils marqués par des difficultés d’emploi (61 % des tigistes au chômage contre 35 % des DDSE), de logement (36 % des tigistes propriétaires ou locataires contre 48 % des DDSE, avec une prévalence de situations précaires comme le CHRS) et de santé (42 % des DDSE avec addictions contre 30 % des tigistes). Le TIG, en imposant des contraintes professionnelles dans des structures publiques, et la DDSE, en préservant les liens familiaux via des sorties autorisées, offrent des opportunités d’insertion, mais leur mise en œuvre reste inégale : la durée moyenne des TIG (16 mois) est sous-exploitée, et la DDSE, bien que d’une durée moyenne de 4,3 mois, devient difficilement supportable au-delà de six mois. Cependant, l’accompagnement s’avère insuffisant, avec seulement 2,2 rendez-vous pour les TIG (un tous les six mois) et deux pour les DDSE (un tous les deux à trois mois), retardés en moyenne de 72 jours pour le premier contact, ce qui limite l’orientation vers des partenaires (33 % pour les TIG, 27 % pour les DDSE) et les effets sur l’emploi (74 % des tigistes restent inactifs). L’accès aux dispositifs d’aide de droit commun, bien que garanti par la loi du 23 mars 2019, est entravé par la saturation des services (notamment outre-mer et à Nantes), les refus de prise en charge pour manque de consentement, et un financement irrégulier, malgré 6 001 places d’hébergement et 9 858 inscriptions à France Travail en 2021. Des initiatives prometteuses, comme les partenariats avec France Travail (6 M€ annuels) ou des associations, et des modèles étrangers (logements temporaires au Royaume-Uni, maisons de transition au Canada) suggèrent des pistes, mais leur portée reste limitée par l’absence de stratégie globale et d’évaluation. Ce diagnostic souligne la nécessité d’investir dans une caractérisation précise des publics, de renforcer l’accompagnement avec des ressources humaines adaptées (travailleurs sociaux, éducateurs) et de structurer les dispositifs d’aide pour transformer ces peines en véritables leviers de réinsertion, dans un contexte où la surpopulation carcérale continue de polariser les priorités.
■ Une prévention de la récidive encore incertaine
Dans ses pages 91 à 125, la Cour des comptes évalue l’efficacité du travail d’intérêt général (TIG) et de la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE) dans la prévention de la récidive, un objectif central des peines alternatives selon l’article 130-1 du Code pénal, mais met en lumière un manque criant de données et d’évaluations rigoureuses. La récidive, massive en France (33 % des sortants de prison récidivent en un an, 59 % en quatre ans, stable sur vingt ans), reste mal documentée, avec une absence de suivi pour la DDSE depuis deux décennies et des études rares et fragiles sur le TIG (ex. 58 % de récidive à cinq ans en 1996 contre 72 % pour la prison, mais biaisée). Les analyses économétriques de la Cour révèlent un taux de récidive élevé après un TIG (60 % à cinq ans, 67 % à dix ans), proche de l’emprisonnement ferme (64 %) une fois corrigé des profils à risque (jeunes de 27 ans en moyenne, 90 % français, précarité), sans effet significatif sur la prévention, bien que moins de nouvelles condamnations à la prison (40 % contre 59 %) et une moindre gravité soient observés. En revanche, la DDSE, étudiée sur les cohortes 2016-2017, montre une récidive plus faible (47 % à trois ans contre 56 % pour une sortie « sèche »), avec un effet causal de -8 à -13,5 points après correction des biais (meilleure insertion sociale des bénéficiaires), malgré des incertitudes liées à sa massification récente et un suivi moins rigoureux. Les magistrats restent circonspects (efficacité perçue du TIG à 1,3/4 pendant, 2/4 après), soulignant l’urgence d’améliorer les outils statistiques du ministère de la Justice et de confirmer ces résultats sur des données actualisées, pour adapter ces mesures aux profils des condamnés et maximiser leur potentiel préventif face à une réponse pénale globalement défaillante.
En définitive, le TIG et la DDSE ne parviennent pas pleinement à remplir leur rôle de sanctions efficaces et de leviers de réinsertion pour les condamnés. Plusieurs facteurs contribuent à ce constat, parmi lesquels l’insuffisance des moyens humains au sein des Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (SPIP) et les modalités de suivi trop limitées. Bien que les réformes de 2019 aient instauré des alternatives à la détention, la faible mobilisation des SPIP à plusieurs niveaux reste un frein majeur à l’efficacité de ces mesures. Les effectifs insuffisants, le manque de coordination entre les acteurs judiciaires et la lenteur dans l'exécution des peines entravent leur portée. L’évolution du profil des condamnés, de plus en plus marqué par des récidives et des fragilités sociales, nécessite une réévaluation de l’approche des SPIP et une réorganisation de leurs pratiques. Pour que les TIG et la DDSE deviennent des sanctions réellement dissuasives et efficaces, il est impératif de renforcer l’accompagnement et le contrôle, tant au stade du prononcé qu’à celui de l’exécution. Une mobilisation accrue des SPIP à travers des interactions plus poussées avec les juridictions, un suivi plus rigoureux et un accompagnement précoce vers la réinsertion seraient des mesures-clés pour atteindre les objectifs de réinsertion et de réduction de la récidive. L’instauration de pratiques exemplaires observées à l’étranger, comme des visites à domicile régulières et un suivi plus individualisé, pourrait grandement améliorer l’efficience des peines alternatives en France. Si ces réformes sont menées avec un réinvestissement des moyens humains et matériels, elles pourraient offrir une alternative plus humaine et plus effective à la détention, en adéquation avec les objectifs de réinsertion des condamnés.
Références :
■ Cons. const., 22 juill. 2005, n° 2005-520 DC : S. Nicot, Revue française de droit constitutionnel, 2005, p.165-175
■ L. Aubert, Systématisme pénal et alternatives aux poursuites en France : une politique pénale en trompe-l'œil, Droit et société, p.17-33
■ Louis Michel Lepelletier de Saint-Fargeau, Rapport sur le projet du Code pénal, présenté à l'Assemblée nationale, au nom des comités de Constitution et de législation criminelle, par M. Le Pelletier de Saint-Fargeau, Imprimé par ordre de l'Assemblée nationale, 1791
■ H. Donnedieu de Vabres, Traité élémentaire de droit criminel et de législation pénale comparée, Sirey, 1943
■ M. Foucault, Surveiller et punir, nrf, Gallimard, 1975
■ CNCDH, Avis sur les alternatives à la détention, 2006
■ H. Becker, Outsiders : Studies in the Sociology of Deviance, 1963
Autres À la une
-
[ 18 avril 2025 ]
Vacances printanières !
-
Procédure pénale
[ 17 avril 2025 ]
Recours contre un placement à l’isolement : le juge judiciaire davantage tortue que lièvre ?
-
Droit constitutionnel
[ 16 avril 2025 ]
QPC/élu local/ peine complémentaire d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire/procédure de démission d’office
-
Droit des obligations
[ 15 avril 2025 ]
Relation commerciale établie : rappel des critères de qualification et d’évaluation du préjudice réparable
-
Droit des obligations
[ 14 avril 2025 ]
Contrat de franchise : le projet du franchisé de créer une activité concurrente à celle du franchiseur n’emporte pas violation de la clause de non-concurrence
- >> Toutes les actualités À la une