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[ 29 mars 2016 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

La Cour européenne des droits de l’Homme compétente pour interpréter le droit de l’Union

Mots-clefs : Média, Diffamation, Droit d’accès à un Tribunal, Droit de l’Union, Interprétation, Directive, Lien de rattachement

La Cour européenne des droits de l’Homme se reconnait une nouvelle fois compétente pour interpréter des actes de droit dérivé de l’Union européenne afin de déterminer si un État a manqué à ses obligations découlant de la Convention européenne des droits de l’Homme.

En l’espèce, la Suède s’était retranchée derrière le contenu d’une directive pour écarter sa compétence juridictionnelle face à une plainte en diffamation d’un requérant suédois visant une émission diffusée par satellite depuis le Royaume-Uni. La Cour de Strasbourg interprétant la directive l’écarte de l’application au contentieux et s’appuyant sur son interprétation du règlement communautaire de Bruxelles 1, elle juge que la Suède a violé l’article 6, paragraphe 1 de la Convention sur le droit à l’accès effectif à un tribunal.

La Cour européenne des droits de l’Homme est parfois confrontée au droit de l’Union européenne. Si cette confrontation est le plus souvent la résultante d’une plainte pour violation des droits fondamentaux par le droit dérivé de l’Union européenne, il arrive également que le droit de l’Union soit appréhendé pour déterminer la portée des obligations des États membres et leurs éventuelles incidences sur les droits fondamentaux. Dans cette dernière situation, la validité du droit de l’Union n’est pas en cause, la Cour de Strasbourg se retrouve cependant à interpréter une disposition de droit dérivé afin de trancher le contentieux. Cette interprétation est réalisée en s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), dans les limites des prises de position existantes, la Cour de Strasbourg ne se plaçant pas dans une situation d’opposition frontale avec les juges de l’Union. Toutefois, le fait même de pratiquer une interprétation du droit de l’Union écorne la jurisprudence de la CJUE qui rappelle régulièrement sa compétence exclusive en matière d’interprétation du droit de l’Union (avis 2/13 du 18 déc. 2014). Cependant, il n’existe en l’état aucun mécanisme de renvoi entre les deux juridictions, l’Union européenne n’étant toujours pas membre de la Convention européenne des droits de l’Homme, la Cour de justice s’étant opposé à cette adhésion dans son avis 2/13. 

En l’espèce, l’interprétation du droit de l’Union a permis de trancher la question de l’application d’une directive au litige, ouvrant la voie à la reconnaissance d’une violation par la Suède de l’article 6, paragraphe 1 de la Convention. A l’origine des faits, il y a un requérant suédois qui a fait l’objet, selon lui, d’une diffamation aggravée à la suite d’une diffusion en direct en Suède d’une émission télévisée en octobre 2006. Dans cette émission, il était accusé, entre autres, d’appartenir à la criminalité organisée opérant dans les secteurs des médias et de la publicité. Cependant si l’émission a bien été diffusée en Suède en langue suédoise, celle-ci avait été transmise par satellite depuis le Royaume-Uni, la société responsable du contenu ayant son siège à Londres. Aussi les juridictions suédoises se sont déclarées incompétentes, estimant que les décisions concernant le contenu de l’émission n’avaient pas été prises en Suède. En conséquence, le requérant devait saisir une juridiction au Royaume-Uni. Contestant la décision de la Cour d’appel suédoise, il a demandé qu’une question préjudicielle en interprétation soit posée CJUE, sur le fondement de l’article 267 TFUE, sur le contenu du règlement Bruxelles I. Cette demande fut rejetée par la Cour suprême suédoise. Il a alors saisi la Cour européenne des droits de l’homme en arguant principalement de la violation de l’article 6, paragraphe 1 de la Convention EDH.

La Cour cherche à déterminer l’exacte portée à la fois du règlement Bruxelles 1, mais également celle de la directive services de médias audiovisuels (directive n° 2010/13/UE du 10 mars 2010), utilisée comme moyen de défense par la Suède, afin de savoir si ces deux actes précisent les compétences juridictionnelles en cas de contentieux sur la diffusion d’une émission de télévision. La Cour écarte dans un premier temps l’application de la directive services médias estimant que si celle-ci revient sur les compétences juridictionnelles lorsqu’un contentieux résulte notamment de l’enregistrement, du respect de l’ordre public, cette directive ne se prononce pas en revanche sur les hypothèses de diffamation et d’indemnisation. Lorsqu’elle vise l’atteinte à l’honneur, elle n’envisage que le droit de réponse. La Cour s’appuie d’ailleurs expressément sur la jurisprudence de la CJUE pour appréhender au mieux l’interprétation de cette directive. En conséquence, la directive n’empêchait pas la Suède de se déclarer compétente.

Concernant le règlement de Bruxelles I, la Cour considère à sa lecture que les juridictions suédoises comme celles du Royaume-Uni peuvent être compétentes, notamment pour les juridictions suédoises, ceci est la conséquence du lieu de domicile du requérant. La Cour précise toutefois, au sens de la Convention, que la compétence des juridictions suédoises ne peut être écartée au regard des liens de rattachement de l’émission avec la Suède. Le contenu porte sur la société suédoise, elle a été produite en Suède et diffusée en suédois, et seulement en direct en Suède au cours d’une émission connaissant une véritable notoriété en Suède. Enfin l’émission était parrainée par des annonceurs suédois. Aussi la Cour signifie-t-elle à la Suède qu’elle avait l’obligation de garantir au requérant un droit d’accès effectif à un tribunal conformément à l’article 6, paragraphe 1 de la Convention.

CEDH 29 mars 2016, Arlewin c/ Suède, n° 22302/10 

Références

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 6, § 1.

« Droit à un procès équitable.  1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »

■ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

Article 267

« La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel:

a) sur l'interprétation des traités,

b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union.

Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.

Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.

Si une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale concernant une personne détenue, la Cour statue dans les plus brefs délais. »

 

Auteur :V. B.

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