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[ 5 janvier 2015 ] Imprimer

Droit de la famille

La déclaration judiciaire d’abandon doit être conforme à l’intérêt de l’enfant

Mots-clefs : Enfant judiciairement abandonné, Déclaration d’abandon, Conditions, Appréciation des juges, Prise en considération de l’intérêt de l’enfant

Il résulte de l’article 350 du Code civil que, même lorsque les conditions d’application de ce texte sont réunies, l’intérêt de l’enfant peut justifier le rejet d’une requête aux fins de déclaration d’abandon.

Un président de conseil général présente une requête en déclaration judiciaire d’abandon d’un enfant qu’un juge avait confié, à l’âge d’un an et demi, aux services de l’Aide sociale à l’enfance (ASE). La cour d’appel rejette sa demande au motif qu’aucun élément ne permet d’établir qu’y accéder serait conforme à l’intérêt de l’enfant.

Au soutien de son pourvoi en cassation, le demandeur reproche à la cour d’appel d’avoir statué par un motif inopérant en réduisant la finalité de la déclaration judiciaire d’abandon à l’adoption de l’enfant, jugée inopportune, alors que celle-ci poursuit tout autant le but de lui conférer le statut de pupille de l’État.

Il lui reproche également son refus d’appliquer l’article 350 du Code civil qui fonde l’obligation du juge, s’il constate que les parents d’un enfant s’en sont manifestement désintéressés pendant l’année qui a précédé l’introduction de la demande, d’en prononcer l’abandon judiciaire, sans avoir, en outre, à rechercher si celui-ci est conforme à l’intérêt de l’enfant.

Le rejet du pourvoi était attendu dans la mesure où la jurisprudence admet depuis longtemps, comme le rappelle la Cour, « que l’intérêt de l’enfant doit être pris en considération par le juge, même lorsque les conditions d’application de l’article 350 du code civil sont réunies ».

La cour d’appel avait relevé :

– d’une part, que la déclaration judiciaire d’abandon ayant pour effet de rendre l’enfant adoptable, celui-ci risquait d’être confronté à une séparation douloureuse avec sa famille d’accueil, après avoir connu celle d’avec sa famille d’origine, dès lors qu’il n’existait aucun projet d’adoption par son assistante maternelle, avec laquelle il vivait depuis son plus jeune âge ;

– d’autre part, que le mineur, perturbé et angoissé depuis le début de la procédure, ne l’acceptait pas plus qu’il ne la comprenait ;

– enfin, que l’article 377, alinéa 2, du Code civil permettait à l’Aide sociale à l’enfance de se faire déléguer en tout ou partie l’exercice de l’autorité parentale.

En conséquence de telles constatations, la cour d’appel en avait souverainement et justement déduit que la déclaration judiciaire d’abandon sollicitée n’était pas conforme à l’intérêt de l’enfant. 

Avant sa modification par la loi n°96-604 du 5 juillet 1996 relative à l’adoption, l'article 350 du Code civil laissait le juge libre de déclarer un enfant abandonné même dans le cas où l’ensemble des conditions légales se trouvaient réunies – désintérêt manifeste et volontaire des parents depuis au moins un an. Le tribunal de grande instance disposait ainsi d'un pouvoir d'appréciation en opportunité, et l'intérêt de l'enfant pouvait déjà motiver son refus de déclarer l’abandon (Civ. 1re, 6 janv. 1981).

Pour vaincre les réticences des juges, hésitant souvent à prononcer l’abandon de l’enfant qui, devenant adoptable, serait alors susceptible d’être séparé de sa famille d’origine, la loi précitée a modifié les termes du premier alinéa de l’article 350 pour retirer au juge tout pouvoir d'appréciation quant à l'opportunité de prononcer l'abandon de l'enfant. Ainsi, depuis cette loi, les juges ont l’obligation, et non plus la simple faculté, de déclarer l'abandon de l’enfant lorsque les conditions en sont réunies.

Cela étant, les juges ont, en dépit de cette nouvelle rigueur légale, continué d’exiger la prise en compte de l'intérêt de l'enfant, que ce soit pour accorder ou pour rejeter la demande de déclaration d’abandon (Paris, 23 juin 1998 - 7 oct. 1997 – Nîmes, 23 avr. 1998 ). Cette prise de liberté est remarquable à la lecture de l'article 350 du Code civil, qui ne fait référence à l'intérêt de l'enfant qu'en son quatrième alinéa, concernant la possibilité de ne pas prononcer l'abandon judiciaire de l’enfant si un membre de sa famille a demandé à en assumer la charge.

Elle est néanmoins tempérée. En effet, l’intérêt de l’enfant ne peut à lui seul justifier la déclaration judiciaire d’abandon (Civ. 1re, 16 juill. 1992 : « le seul fait que l'abandon soit conforme à l'intérêt de l'enfant n'est pas un élément suffisant pour permettre de le déclarer judiciairement abandonné »).

Le désintérêt manifeste et volontaire, lequel doit être exprimé par les deux parents (Civ. 1re, 6 mai 2003) depuis au moins un an, doit impérativement être établi. Mais cette preuve, nécessaire, n’est pas suffisante.

C'est là qu’intervient l’intérêt de l'enfant, qui peut légitimer le rejet de la requête en déclaration d’abandon même si les conditions légales sont remplies. Le besoin de stabilité de l’enfant, qu’il soit d’ordre affectif ou géographique, est, comme en l’espèce, souvent avancé pour justifier le refus de le rendre adoptable par l’effet de la déclaration, alors qu’un tel projet d’adoption se révèle inopportun (Civ. 1re, 6 janv. 1981, préc. – Civ. 1re, 6 mars 1985).

Plus généralement, toute circonstance permettant de mesurer l’intérêt de l’enfant à le déclarer abandonné est prise en compte ; ainsi, en l’espèce, l’anxiété causée à l’enfant par la procédure et la possibilité légale d’opérer, au profit du service départemental de l’ASE, une délégation partielle d’autorité parentale ont également influencé les juges dans leur décision de refus de déclarer judiciairement l’abandon de l’enfant. 

Civ. 1re, 3 déc. 2014, n°13-24.268

 

Références

■ Civ. 1re, 6 janv. 1981, n°79-15.746, D. 1981. 495, note P. Raynaud.

■ Paris, 23 juin 1998, JurisData n° 1998-022080 - 7 oct. 1997, JurisData n° 1997-023966 ;  Nîmes, 23 avr. 1998, JurisData n° 1998-030701.

 Civ. 1re, 16 juill. 1992Bull. civ. I, n° 230.

■ Civ. 1re, 6 mai 2003, n°01-10.849, Defrénois 2003. 1493, obs. Massip.

■ Civ. 1re, 6 mars 1985, n°83-17.320, D. 1986. Jur. 193, note J. M.

■ Code civil

Article 350

« L'enfant recueilli par un particulier, un établissement ou un service de l'aide sociale à l'enfance, dont les parents se sont manifestement désintéressés pendant l'année qui précède l'introduction de la demande en déclaration d'abandon, est déclaré abandonné par le tribunal de grande instance sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa. La demande en déclaration d'abandon est obligatoirement transmise par le particulier, l'établissement ou le service de l'aide sociale à l'enfance qui a recueilli l'enfant à l'expiration du délai d'un an dès lors que les parents se sont manifestement désintéressés de l'enfant.

Sont considérés comme s'étant manifestement désintéressés de leur enfant les parents qui n'ont pas entretenu avec lui les relations nécessaires au maintien de liens affectifs.

La simple rétractation du consentement à l'adoption, la demande de nouvelles ou l'intention exprimée mais non suivie d'effet de reprendre l'enfant n'est pas une marque d'intérêt suffisante pour motiver de plein droit le rejet d'une demande en déclaration d'abandon. Ces démarches n'interrompent pas le délai figurant au premier alinéa.

L'abandon n'est pas déclaré si, au cours du délai prévu au premier alinéa du présent article, un membre de la famille a demandé à assumer la charge de l'enfant et si cette demande est jugée conforme à l'intérêt de ce dernier.

Lorsqu'il déclare l'enfant abandonné, le tribunal délègue par la même décision les droits d'autorité parentale sur l'enfant au service de l'aide sociale à l'enfance, à l'établissement ou au particulier qui a recueilli l'enfant ou à qui ce dernier a été confié.

La tierce opposition n'est recevable qu'en cas de dol, de fraude ou d'erreur sur l'identité de l'enfant. »

Article 377

« Les père et mère, ensemble ou séparément, peuvent, lorsque les circonstances l'exigent, saisir le juge en vue de voir déléguer tout ou partie de l'exercice de leur autorité parentale à un tiers, membre de la famille, proche digne de confiance, établissement agréé pour le recueil des enfants ou service départemental de l'aide sociale à l'enfance.

En cas de désintérêt manifeste ou si les parents sont dans l'impossibilité d'exercer tout ou partie de l'autorité parentale, le particulier, l'établissement ou le service départemental de l'aide sociale à l'enfance qui a recueilli l'enfant ou un membre de la famille peut également saisir le juge aux fins de se faire déléguer totalement ou partiellement l'exercice de l'autorité parentale.

Dans tous les cas visés au présent article, les deux parents doivent être appelés à l'instance. Lorsque l'enfant concerné fait l'objet d'une mesure d'assistance éducative, la délégation ne peut intervenir qu'après avis du juge des enfants. »


 

 

Auteur :M. H.

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