Actualité > À la une

À la une

[ 12 septembre 2022 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

La demande de précision des motifs du licenciement : le salarié est censé connaître la loi !

Aucune disposition n'impose à l'employeur d'informer le salarié de son droit de demander que les motifs de la lettre de licenciement lui soient précisés.

Soc. 29 juin 2022, FS-B, n° 20-22.220

L’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, relative à la prévisibilité et à la sécurisation des relations de travail, a modifié les règles relatives à la motivation de la lettre de licenciement. Jusqu’alors, la Cour de cassation considérait que l’imprécision de la lettre de licenciement équivalait à une absence de motivation et elle sanctionnait ce vice procédural sur le terrain de l’absence de justification : le salarié pouvait prétendre à des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (Soc. 29 nov. 1990, n° 88-44.308). Ainsi, invoquer simplement « des difficultés relationnelles », « un différend d’incompréhension », « une inaptitude » était jugés comme étant trop imprécis et partant, ouvrait droit aux salariés à des indemnités alors même que les faits étaient peut-être avérés. 

Souhaitant apporter davantage de sécurité juridique aux PME, les ordonnances Macron ont modifié les règles applicables afin d’organiser un possible dialogue entre l’employeur et le salarié sur les motifs de son licenciement, avec pour objectif affiché d’éviter le contentieux.

Désormais, l’article L. 1235-2 du code du travail offre une espèce de « seconde chance » à l’employeur. Il a la possibilité de préciser les motifs invoqués dans la lettre, soit de sa propre initiative, soit à la demande du salarié. La sanction a également été modifiée : « À défaut pour le salarié d’avoir formé auprès de l’employeur une demande [ de précision ], l’irrégularité que constitue une insuffisance de motivation de la lettre de licenciement ne prive pas, à elle seule, le licenciement de cause réelle et sérieuse et ouvre droit à une indemnité qui ne peut excéder un mois de salaire ». On peut donc en déduire qu’a contrario le licenciement reste sans cause réelle et sérieuse si le salarié a formulé une demande mais que l’employeur n’apporte toujours pas les précisions nécessaires. La carence du salarié a donc un enjeu important sur la sanction de l’imprécision de la lettre de licenciement. Encore faut-il que le salarié ait connaissance de cette règle particulière. Or le délai pour demander des précisions est bref : 15 jours à compter de la notification du licenciement Toute la question est alors de savoir si l’employeur a l’obligation d’informer le salarié qu’il a la faculté de demander des précisions. L’arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2022 apporte une réponse négative !  

En l’espèce, une salariée licenciée pour faute grave contestait la cause réelle et sérieuse de son licenciement, invoquant notamment l’imprécision des motifs indiqués dans la lettre de licenciement. La Cour d’appel avait écarté l’argument, estimant les motifs invoqués suffisamment précis et matériellement vérifiables, mais en relevant par ailleurs que la salariée n’avait demandé aucune précision. Dans son pourvoi, la salariée faisait alors valoir que l’employeur ne l’avait pas informée de son droit à demander des précisions. Selon elle, sa carence (elle n'a pas demandé de précision) serait annihilée par la propre carence de l’employeur (il ne l’a pas informée de son droit à demander des précisions). La Cour de cassation aurait pu se contenter d’indiquer que la Cour d’appel ayant jugé la motivation de la lettre suffisamment précise, aucune indemnité n’était due à la salariée. Pourtant, elle fait le choix d’ajouter « qu’aucune disposition n'impose à l’employeur d’informer le salarié de son droit de demander que les motifs de la lettre de licenciement soient précisés ».

Plusieurs arguments plaidaient pour cette solution. En premier lieu, ni la loi ni les règlements pris pour son application n’évoquent une quelconque obligation d’information à la charge de l’employeur. Le Conseil d’État avait été saisi lors de l’adoption des articles R. 1232-13 et s. par des syndicats qui critiquaient l’incompétence négative du pouvoir réglementaire. Ils estimaient que le décret aurait dû prévoir que la lettre de licenciement devait désormais comprendre une clause informative sur le droit du salarié de demander des précisions. La Haute juridiction administrative avait écarté l’argument (CE, 6 mai 2019, n° 417299). Par ailleurs, le législateur a également prévu que des modèles de lettre de licenciement soient proposés aux employeurs. On relèvera que les modèles édictés par le décret 2017-1820 du 29 décembre 2017 mentionnent les modalités de la demande de précision des motifs du licenciement. Cette référence faisait sans doute écho à l’exigence posée par l’article L. 1232-6 du code du travail qui indiquait que « ces modèles rappellent les droits et obligations de chaque partie ». Mais cette dernière disposition a été abrogée par la loi du 29 mars 2018 et si les modèles n’ont certes pas été modifiés, ils n’ont toutefois aucune valeur contraignante. Restait donc uniquement l’obligation de loyauté contractuelle. La Cour de cassation a déjà déduit de l’obligation d’exécuter le contrat de bonne foi une obligation d’adaptation, une obligation de reclassement… Elle aurait pu faire découler de l’article L. 1222-1 du code du travail une obligation d’information à la charge de l’employeur sur les droits du salarié licencié. Si l’objectif consiste à éviter les contentieux, il serait en effet utile que le salarié connaisse cette faculté pour mieux comprendre les raisons de son licenciement et mesurer l’intérêt de le contester devant le Conseil des prud’hommes. Mais l’argument n’a pas été invoqué. Le salarié est donc censé connaître la loi… Espérons que le conseiller du salarié, qui participe à l’entretien de licenciement, pense à lui rappeler…

Références :

■ Soc. 29 nov. 1990, n° 88-44.308 : D. 1991. 3 ; Dr. soc. 1991. 99, note J. Savatier

■ CE, 6 mai 2019, n° 417299 

■ A. Fabre, Répertoire de droit du travail, Contrat de travail à durée indéterminée : rupture - licenciement - droit commun

■ Y. Pagnerre, Chronique « Précisions » sur la précision de la lettre de licenciement RJS 05/2018

 

Auteur :Chantal Mathieu


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr