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Droit européen et de l'Union européenne
La difficile règle du jeu
Mots-clefs : Jeux en ligne, Concession, Autorisation, Monopole, Libre prestation de services, Restriction, Justification, Discrimination, Examen d’office
La coexistence d’un monopole et d’une ouverture à la concurrence selon les jeux en ligne est compatible avec la libre prestation de services à la condition que le monopole soit contrôlé effectivement par l’État afin de garantir les objectifs d’ordre public et de lutte contre l’addiction avancés par l’État. En revanche, il n’est pas possible d’instaurer un régime restrictif quant à l’accès aux concessions pour exercer l’activité de jeux en ligne, notamment en limitant l’accès aux seuls opérateurs déjà présent sur le territoire national.
L’accès aux jeux en ligne demeure un fort vecteur de contentieux tant les États cherchent à contrôler, voire à favoriser certains opérateurs économiques résidents aux dépens des entreprises exerçant depuis un autre État. La législation hongroise en constitue une nouvelle illustration. Cependant certaines particularités du régime juridique en vigueur ont offert à la Cour de justice la possibilité de préciser les exigences du droit de l’Union en matière de libre prestation de services.
A l’origine des faits, se trouve une société britannique, Sporting Odds, possédant une autorisation pour organiser des jeux de hasard en ligne, dont des jeux de casino au sein du Royaume-Uni. Elle intervient avec cette même autorisation en Hongrie, alors même qu’elle aurait dû obtenir préalablement une concession et une autorisation conformément aux exigences de la législation hongroise. Dans ces conditions, les autorités hongroises lui ont infligé une amende d’environ 11 000 euros. La société a contesté la décision et saisit le juge qui s’est interrogé très largement sur la portée des règles hongroise au regard du droit de l’Union.
Ainsi de nombreuses questions préjudicielles ont été posées, dont les principales visaient à déterminer si la législation hongroise exigeant l’obtention d’une concession et une autorisation était conforme à la libre prestation de services. L’une des difficultés provenait en réalité de l’existence en Hongrie d’un système dual avec l’existence d’un monopole pour les paris sportifs et hippiques et une ouverture à la concurrence pour les jeux de hasard et casino. Dans ce dernier cas, les conditions requises étaient particulièrement contraignantes
La réponse ne faisait en réalité que peu de doutes sur l’existence d’une restriction, la Cour s’étant largement prononcée sur la notion de restriction pour les jeux en ligne.
Celle-ci résultait en l’espèce de l’exigence même d’une autorisation qui ne peut être délivrée qu’à des opérateurs économiques ayant déjà obtenu une concession sur le territoire national. Il apparaît dès lors qu’il y a non seulement une restriction, en raison de l’autorisation limitant le nombre d’opérateurs, mais en outre il y a une discrimination indirecte puisqu’il faut obligatoirement exploiter préalablement un casino sur le territoire hongrois au travers d’une concession.
Ainsi cette condition impose d’établir préalablement une activité stable et continue sur le territoire hongrois ce qui rend impossible la prestation de services depuis un autre État membre. La restriction est particulièrement caractérisée.
Enfin la Cour rappelle les exigences en matière d’autorisation, celle-ci doit être fondée sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance par les opérateurs. Or l’attribution des concessions relève de deux procédures, l’une liée à un appel à la concurrence initié par le ministre de l’économie, l’autre d’une offre spontanée faite par l’opérateur économique dès lors que ce dernier peut être qualifié de fiable. Pour être reconnu comme fiable, il faut avoir exercé une activité de jeux en Hongrie pendant dix années, ce qui introduit clairement une discrimination incompatible avec le droit de l’Union qui n’est pas compensée par l’existence d’une procédure d’appel à la concurrence, celle-ci n’ayant jamais été mise en œuvre. La Cour raisonne une nouvelle fois non pas au regard des facultés offertes par la norme, mais à partir de sa mise en œuvre.
Cependant, au-delà de la restriction, c’était le système dual qui était également examiné. La Cour de justice retient qu’un système dual est compatible avec le droit de l’Union et plus précisément la libre prestation de services. La Cour rappelle qu’en l’absence d’harmonisation concernant ce secteur d’activité et en raison de divergences d’ordre moral, culturel et religieux, les États disposent d’une marge d’appréciation pour encadrer ce secteur au regard des objectifs qu’ils souhaitent protéger. Néanmoins pour être valide, la législation doit être nécessaire et proportionnée. La Cour de justice pose alors le principe que la divergence des régimes juridiques selon les jeux en ligne n’est pas incompatible avec le droit de l’Union.
Ainsi il peut exister des régimes juridiques plus contraignants que d’autres selon les jeux, notamment par l’instauration d’un monopole. Cependant, le maintien du monopole ne peut être compatible que si les objectifs liés à son instauration sont réellement protégés, comme la lutte contre l’addiction aux jeux. La Cour reprend ici les exigences classiques de sa jurisprudence quant à la cohérence de la législation, c’est-à-dire que cette dernière doit permettre une protection systématique et cohérente de l’objectif fixé. Cette cohérence passe par un contrôle effectif de ce monopole par l’État.
En l’espèce, la Hongrie invoque des objectifs de santé publique, d’ordre public et des raisons impérieuses d’intérêt général dont la protection du consommateur et la lutte contre la fraude aussi bien pour le monopole que pour les concessions. Tous ces objectifs sont reconnus par les traités et la jurisprudence. A l’inverse la Cour précise qu’un État ne pourrait justifier d’une restriction si l’objectif est de maximiser les recettes du Trésor public. En revanche que la législation mise en place ait indirectement des conséquences positives pour le Trésor public n’entraînent pas une incompatibilité des mesures prises. La Cour indique également que l’ouverture à des opérateurs privés entraînant une expansion de l’offre n’est pas nécessairement incompatible avec l’objectif de lutter contre l’addiction et de protéger le consommateur, dès lors que l’exploitation est finalement mieux encadrée. Cependant au moment de la mise en œuvre de la législation, il faut que des risques réels soient identifiés en lien avec les objectifs fixés.
Parallèlement, la Cour indique que la procédure nationale peut tout à fait faire reposer sur les parties la charge de la preuve, le droit de l’Union n’imposant pas aux États de confier aux juges un examen d’office des mesures restreignant les libertés fondamentales et notamment l’examen de leur proportionnalité.
En outre, la Cour confirme qu’il revient à l’État ayant mis en œuvre une mesure restrictive d’apporter les preuves tenant aux objectifs afin de légitimer la mesure. Cependant l’État n’a pas l’obligation de fournir des études des effets des mesures adoptées.
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