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[ 4 mai 2020 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

La discrimination indirecte au secours des femmes en congé parental à temps partiel.

Une salariée en congé parental à temps partiel, licenciée pour motif économique, peut-elle voir son indemnité de licenciement amputée en raison de la réduction de son temps de travail ?Après avoir posé une question préjudicielle, la Cour de cassation entérine la réponse délivrée le 8 mai 2019 par la Cour du Luxembourg : le droit français étant contraire à l’article 157 de traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, il doit être écarté et la salariée, victime de discrimination indirecte en raison du sexe, peut prétendre à l’avantage dont elle a été injustement privée par le droit national. 

L’arrêt de la Cour de cassation dans l’affaire Praxair était attendu et devrait contraindre le législateur à modifier le Code du travail prochainement. 

En l’espèce une salariée opte pour un congé parental à temps partiel sous la forme d’une réduction d’un cinquième de sa durée du travail. Pendant cette période, elle fait l’objet d’un licenciement pour motif économique et accepte le congé de reclassement de 9 mois qui lui est proposé. Après avoir quitté définitivement l’entreprise, elle saisit le conseil des prud’hommes et conteste d’une part la méthode de calcul de son allocation de congé de reclassement et d’autre part le montant de l’indemnité de licenciement. En effet, ces deux indemnités tiennent compte du fait qu’elle était à temps partiel dans les mois précédents (C. trav., anc. art. L. 3123-13 et R. 1233-32). Or, selon la salariée, si elle n’avait pas été en congé parental, elle aurait travaillé à temps complet et le montant de ses indemnités aurait été plus conséquent. Elle invoquait donc l’accord-cadre européen sur le congé parental pour obtenir un calcul d’indemnité sur la base d’un temps complet et ainsi neutraliser la période à temps partiel.

Dans un arrêt du 11 juillet 2018 (n° 16-27.825) la Cour de cassation avait décidé de poser une question préjudicielle à la CJUE sur la conformité du droit français au regard du risque de discrimination indirecte en raison du sexe puisque ce sont essentiellement des femmes qui prennent un congé parental d’éducation. La Cour de Justice y avait répondu le 8 mai 2019 (C-486/18) et son raisonnement est repris par la Chambre sociale dans son arrêt du 18 mars 2020. 

Les deux indemnités étant des rémunérations au sens européen, le principe d’égalité entre les sexes prévu par l’article 157 du TFUE s’applique. Par ailleurs, ces deux indemnités découlent de la relation de travail et non pas du congé parental. Par conséquent, au regard de ces avantages, la salariée à temps complet prenant un congé parental est dans une situation comparable à un salarié à temps complet ne prenant pas ce congé. Or le droit français ne les traite pas de la même manière puisque celui qui a pris un congé parental aura une indemnité de licenciement ou de reclassement plus faible qu’un salarié ne prenant pas de congé. Comme 96 % des travailleurs qui prennent un congé parental sont des femmes, la différence, neutre en apparence du point de vue du sexe, affecte en réalité majoritairement les femmes. Sauf à établir que cette législation est justifiée par des raisons objectives et pertinentes, la discrimination indirecte est établie. 

Reste la question la plus délicate : comment faire prévaloir le droit européen sur le droit français ? Invoquer la directive européenne reprenant l’accord-cadre européen sur le congé à temps partiel mène à une impasse : une directive n’a pas d’effet horizontal direct et il est ici impossible d’interpréter les textes français à la lumière de la directive pour lui faire jouer un effet utile puisque cela implique une lecture contra-legem. C’est pourquoi la Cour de cassation vise dans son arrêt l’article 157 du TFUE. Les traités ont une valeur supérieure à la loi et sont parfois directement applicables dans les relations entre particuliers. Tel est le cas de l’interdiction des discriminations en raison du sexe en matière de rémunération. Or depuis longtemps (CJCE 8 avr. 1976, Defresne, C-43/75), la CJUE exige du juge national non seulement qu’il écarte le texte national contraire mais surtout qu’il accorde l’avantage en cause à la victime, sans attendre une quelconque intervention du législateur en ce sens. L’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse qui avait refusé d’accorder un supplément d’indemnité à la salariée est donc logiquement cassé. 

La Cour de cassation tend actuellement à mobiliser la discrimination indirecte pour mieux protéger les femmes qui optent pour un congé parental d’éducation. Ainsi, dans un arrêt du 14 novembre 2019 (n° 18-15.682), en s’appuyant sur l’arrêt Praxair de la CJUE, elle a créé une véritable présomption de discrimination à l’égard des femmes qui ne retrouvent pas leur précédent emploi à l’issue de leur congé, contraignant l’employeur à expliquer ses choix de gestion. La solution adoptée dans l’arrêt commenté du 20 mars 2020 est pertinente mais on peut néanmoins se demander jusqu’où la référence statistique selon laquelle 96 % des salariés en congé parental sont des femmes peut jouer pour les protéger. Il faut en effet rappeler que la CJUE n’est pas nécessairement hostile à des différences entre salariés à temps plein et des salariés en congé parental. (CJUE, gr. ch., 4 oct. 2018, C-12/17 sur l’absence d’assimilation du congé parental à du travail effectif pour l’acquisition de droit à congés payés ou CJUE 16 juill. 2009, C-537/07 pour un calcul prorata temporis de l’acquisition de droit à pension d’invalidité). Par ailleurs, par un autre arrêt du même jour (Soc. 18 mars 2020, n° 18-20.614), la chambre sociale a estimé qu’une salariée en congé parental ne peut pas exiger le maintien d’un bonus dès lors que celui-ci présente un caractère discrétionnaire…solution pour le moins discutable.

Soc. 18 mars 2020, n° 16-27.825

Références :

■ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

Art. 157. « 1. Chaque État membre assure l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur. 

« 2. Aux fins du présent article, on entend par rémunération, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier. L'égalité de rémunération, sans discrimination fondée sur le sexe, implique: 

« a) que la rémunération accordée pour un même travail payé à la tâche soit établie sur la base d'une même unité de mesure;

« b) que la rémunération accordée pour un travail payé au temps soit la même pour un même poste de travail. 

« 3. Le Parlement européen et le Conseil, statuant selon la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité économique et social, adoptent des mesures visant à assurer l'application du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière d'emploi et de travail, y compris le principe de l'égalité des rémunérations pour un même travail ou un travail de même valeur. 

« 4. Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, le principe de l'égalité de traitement n'empêche pas un État membre de maintenir ou d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle. »

■ Soc. 11 juill. 2018, n° 16-27.825 P : D. 2018. 1557 ; RTD civ. 2019. 67, obs. P. Deumier ; RTD eur. 2019. 416, obs. A. Jeauneau

■ CJUE 8 mai 2019, Praxair, C-486/18 : AJDA 2019. 1641, chron. H. Cassagnabère, P. Bonneville, C. Gänser et S. Markarian ; RTD eur. 2019. 693, obs. S. Robin-Olivier

■ CJCE 8 avr. 1976Defresne, C-43/75

■ Soc. 14 nov. 2019, n° 18-15.682 P : D. 2019. 2254 ; RDT 2020. 195, obs. M. Mercat-Bruns

■ CJUE, gr. ch., 4 oct. 2018, C-12/17 : RTD eur. 2019. 401, obs. F. Benoît-Rohmer

■ CJUE 16 juill. 2009, C-537/07 

■ Soc. 18 mars 2020, n° 18-20.614 P

■ A. Gardin, Régime du congé parental à temps partiel : l’égalité entre les travailleurs féminins et masculins au renfort de la protection des droits acquis, RJS 8-9/19, p. 602

■ S. Laulom, Congé parental et discrimination indirecte liée au sexe, SSL, 23 déc. 2019.

■ C. Mathieu, L’obligation de réemploi de la salariée en congé parental à l’épreuve de la discrimination, Dr. ouvrier, mars 2020, p. 117.

■ H. Nasom-Tissandier, Discrimination en raison du sexe et congé parental, Juris. sociale Lamy, n° 489

 

Auteur :Chantal Mathieu


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