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[ 4 février 2025 ] Imprimer

Droit de la consommation

La finalité professionnelle d’un compte courant se détermine à la date de son ouverture

La vocation professionnelle d'un compte courant, qui rend inapplicables les dispositions régissant le crédit à la consommation, s'apprécie à la date de la convention d'ouverture, peu important les conditions ultérieures dans lesquelles le titulaire du compte l'utilise, dès lors que les parties n'en ont pas modifié la destination contractuelle.

Civ. 1re, 18 déc. 2024, n° 23-20.785

Pour déterminer l’application du droit de la consommation, la qualité des parties au contrat – professionnel/consommateur ou non-professionnel - est essentielle au point que l’inégalité économique et technique que celle-ci traduit et qui imprime la relation contractuelle justifierait à elle seule la mise en œuvre de ce droit spécial, par essence protecteur du consommateur. La décision rapportée invite à nuancer la prévalence de ce critère : sans remettre en cause sa pertinence, elle l’affine en précisant que le but du contrat compte parfois davantage que la qualité de ceux qui l’ont conclu. En effet, en raison de leur finalité, les prêts destinés à financer une activité professionnelle ne peuvent bénéficier des dispositions protectrices du code de la consommation. Or, la destination professionnelle d’un prêt, qui exclut donc l’application du Code de la consommation, s’apprécie à la date de conclusion du contrat, peu important que la convention ait ultérieurement, au stade de son exécution, perdu cette vocation et changé de nature en raison de l’utilisation extraprofessionnelle des fonds prêtés par le titulaire du compte. Telle est la précision apportée par la présente décision au domaine d’application des règles spéciales applicables au prêt à la consommation. 

Au cas d’espèce, le 7 janvier 1998, une banque avait ouvert un compte courant, intitulé « professions libérales », pour les besoins de l’activité de l’un de ses clients, étant précisé que l’objet professionnel de cette ouverture de compte était expressément stipulé dans la convention. Par deux avenants à cette convention de compte, datant des 4 mars 2004 et 10 août 2007, la banque avait en outre consenti à l’emprunteur deux autorisations de découvert. Le 13 avril 2016, la banque avait dénoncé cette facilité de trésorerie, ainsi que la convention de compte courant, puis adressé à l'emprunteur une mise en demeure de payer, restée infructueuse. Après une nouvelle mise en demeure puis la notification d'un accord pour rééchelonner la dette de l’emprunteur, la banque, faute de règlement, avait assigné ce dernier en paiement par acte du 31 janvier 2019. L'emprunteur lui avait alors opposé la prescription de son action, en application de l’ancien article L. 137-2 du Code de la consommation (devenu C. consom., art. L. 218-2), qui prévoit un délai biennal de prescription de l’action du professionnel pour les biens et services fournis au consommateur. La cour d’appel rejeta cette fin de non-recevoir fondée sur la prescription de l'action en paiement de la banque : après avoir constaté que la convention de compte courant, ainsi que les deux avenants conclus en relation à cette convention, poursuivaient une finalité professionnelle expressément stipulée dans le contrat, elle a jugé inapplicables les dispositions du code de la consommation, privant ainsi l’emprunteur du droit de se prévaloir de la prescription biennale. Devant la Cour de cassation, ce dernier soutenait que pour exclure l'application des dispositions régissant le crédit à la consommation, la vocation professionnelle d'une convention de compte courant doit se déduire de l'utilisation professionnelle effective du compte par le titulaire, au stade de l’exécution du contrat ; or en l’espèce, depuis le 1er janvier 2002, date à laquelle il avait commencé à exercer son activité au sein d'une société civile professionnelle d'avocats, l’emprunteur affirmait ne plus utiliser le compte litigieux à des fins professionnelles : la convention de compte courant ayant ainsi perdu sa vocation professionnelle, les règles applicables au crédit à la consommation, notamment celles relatives à la prescription, redevenaient donc applicables. Pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation rappelle les termes clairs de l’article L. 311-3, 3°, du Code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n°93-949 du 27 juillet 1993, qui exclut du champ d’application des dispositions relatives au crédit à la consommation les prêts, contrats et opérations de crédit destinés à financer les besoins d’une activité professionnelle. Elle en déduit que les dispositions régissant le crédit à la consommation ne sont pas applicables à la convention de compte courant à vocation professionnelle, ni aux facilités de trésorerie qui y sont expressément rattachées par avenants. Elle ajoute enfin une précision déterminante de l’application ou de l’exclusion du droit spécial, tenant au moment d’appréciation de la destination de la convention : la vocation professionnelle d'un compte courant s'apprécie à la date de conclusion de la convention d'ouverture de compte, peu important les conditions ultérieures dans lesquelles le titulaire l'utilise, dès lors que les parties n'en ont pas modifié la destination contractuelle. Or l’arrêt d’appel a d’abord constaté que par la convention initiale, l’emprunteur, exerçant la profession d'avocat, avait demandé l'ouverture d'un compte courant à son nom intitulé « professions libérales », auquel fut adjoint deux actes sous seing privé intitulés « avenants à la convention de compte courant » par lesquels la banque lui avait consenti des facilités de trésorerie commerciale. Il a ensuite relevé qu'il résultait de la simple lecture de la convention de compte courant que celle-ci avait été conclue dans un cadre professionnel et eu égard à l'activité libérale exercée par l'emprunteur, de même que les deux facilités de trésorerie, liées à l'existence de la convention de compte courant professionnel ouvert au nom de l'emprunteur. L’arrêt a en outre ajouté que le contrat initial comme ses avenants ne faisaient aucune référence aux dispositions du Code de la consommation. La motivation des juges du fond se comprend ici au regard de la présomption judiciaire consistant à admettre que le contrat de crédit qui ne sert pas directement à financer l’activité professionnelle de l’emprunteur est présumé avoir été conclu à titre non professionnel (v. en ce sens, CJUE, 3 sept. 2015, aff. n° C-110/14 ; à propos d’un avocat ayant souscrit un prêt dont les termes ne prévoyaient pas expressément qu’il était destiné à financer son activité professionnelle, et à ce titre considéré comme un consommateur ; v. aussi, Civ. 1re, 27 mai 2003, n° 01-03.781). Pour écarter l’application du droit de la consommation et en particulier, son bref délai de prescription, la jurisprudence a ainsi fait ressortir la nécessité de prévoir une stipulation expresse en ce sens dans le contrat : comme rappelé en l’espèce, le but professionnel du crédit doit être précisé dans le contrat pour renverser la présomption et ainsi, empêcher l’emprunteur d’opposer au prêteur la prescription biennale de son action en paiement. La destination professionnelle du prêt excluait donc l’application au litige du droit spécial de la consommation et soumettait l’action de la banque au délai quinquennal de droit commun prévu à l’article 2224 du Code civil, en l’espèce non expiré.

Approuvant l’analyse des juges du fond, la Cour confirme ainsi que lorsqu’un prêt est destiné à financer une activité professionnelle, cette finalité assignée au crédit est exclusive de la prescription biennale applicable au seul consommateur (Civ. 1re, 20 mai 2020, n° 19-13.461 ; Civ. 1re, 12 oct. 2016, n° 15-19.670). Elle précise également que la finalité professionnelle de la convention devant être appréciée lors de la conclusion du contrat, peu importe l’utilisation des fonds prêtés après cette date. Ainsi que l’ont retenu les juges du fond, dès lors que la convention de compte courant et les deux accords de découvert avaient une vocation professionnelle, le fait que postérieurement à l'ouverture de ce compte, l'emprunteur se soit associé avec d'autres avocats au sein d'une société civile professionnelle devait être considéré comme une circonstance indifférente à l’exclusion du droit de la consommation, aucun texte d'ordre public n'interdisant à un avocat de conserver un compte professionnel dans cette situation. La vocation professionnelle de la convention s’appréciant à la date de sa conclusion, c'est donc sans avoir à rechercher l'utilisation effective qui avait été faite de ce compte courant professionnel après son ouverture que la cour d'appel a décidé que les dispositions du code de la consommation n'étaient pas applicables. La seule réserve prévue, mais en l’espèce non retenue, tenant dans la modification contractuelle expresse de la destination du prêt. 

Références :

■ CJUE, 3 sept. 2015, aff. n° C-110/14 : D. 2015. 1767 ; ibid. 2016. 617, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud

■ Civ. 1re, 27 mai 2003, n° 01-03.781

■ Civ. 1re, 20 mai 2020, n° 19-13.461 DAE, 8 juill. 2020, note Merryl Hervieu ; D. 2020. 1101 ; ibid. 2190, chron. S. Robin-Raschel, X. Serrier, V. Champ, S. Vitse, C. Azar, E. Buat-Ménard, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ; ibid. 2021. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; ibid. 1890, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RDI 2020. 670, obs. J. Bruttin ; Rev. prat. rec. 2020. 18, chron. O. Salati ; ibid. 2021. 39, chron. R. Bouniol

■ Civ. 1re, 12 oct. 2016, n° 15-19.670

 

Auteur :Merryl Hervieu


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