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[ 9 décembre 2014 ] Imprimer

Droit des obligations

La force majeure n’est pas une entrave à la résolution du contrat !

Mots-clefs : Contrat synallagmatique, Inexécution, Force majeure, Résolution judiciaire

La résolution d'un contrat synallagmatique peut être prononcée en cas d'inexécution par l'une des parties de ses obligations, quel que soit le motif qui a empêché cette partie de remplir ses engagements et alors même que cet empêchement résulterait de la force majeure.

Par acte notarié, une SCI avait acquis diverses parcelles dans une commune, l’épouse de son gérant la propriété de parcelles voisines et la commune celle d’autres parcelles jouxtant les précédentes. Aux termes de cet acte, une des parcelles appartenant à la commune était décrite comme comportant une maison qui servait au logement du desservant de l'église et destinée à y établir le presbytère.

À la suite du départ du dernier ecclésiastique, la commune avait décidé de louer le bâtiment à des fins sociales et, dans cette perspective, avait édifié un hangar adjacent, desservi par une route goudronnée traversant une bande de terre située sur l’une des parcelles appartenant à la SCI. Le gérant de celle-ci, ainsi que son épouse, avaient alors assigné la commune en résolution de la vente conclue antérieurement.

Pour rejeter leur demande, la cour d’appel retint que si l'acte de vente stipulait que la maison vendue, abritant alors le logement du desservant, était destinée à y établir définitivement le presbytère, cette obligation d'affectation avait perdu son objet pour des raisons extérieures à la volonté de la commune et que celle-ci se trouvant confrontée à la nécessité d'adapter l'obligation initialement stipulée aux réalités actuelles, il ne pouvait lui être fait grief de ne plus loger un ecclésiastique ni de louer à des particuliers le presbytère laissé vacant.

Au visa de l’article 1184 du Code civil, cette décision est censurée par la Cour au motif que la résolution d'un contrat synallagmatique peut être prononcée en cas d'inexécution par l'une des parties de ses obligations, quel que soit le motif qui a empêché cette partie de remplir ses engagements et alors même que cet empêchement résulterait de la force majeure.

Ignorant la distinction doctrinale entre résolution judiciaire et théorie des risques, la seconde rendant la première inutile dès lors que l’extinction des obligations qu’elle justifie prive d’intérêt la demande en résolution du contrat qui les contient, la jurisprudence accepte de prononcer la résolution du contrat même lorsque la cause de l’inexécution repose sur une cause étrangère au débiteur de l’obligation (Civ. 1re, 27 févr. 1967 Com. 1er févr. 1978).

Sur ce point, la jurisprudence est constante. Il n’est pas question de refuser de prononcer la résolution judiciaire du contrat, sur le fondement de l’article 1184 du Code civil, au seul motif que l’inexécution, non fautive, ne peut être reprochée au débiteur poursuivi (Civ. 1re, 2 juin 1982 : « (...) Attendu qu'il résulte de ce texte que la résolution d'un contrat synallagmatique peut être prononcée en cas d'inexécution par l'une des parties de ses obligations, même si cette inexécution n'est pas fautive et quel que soit le motif qui a empêché cette partie de remplir ses engagements, alors même que cet empêchement résulterait du fait d'un tiers ou de la force majeure (...) »).

La cause de l’inexécution est finalement indifférente (Civ. 1re, 12 mars 1985 : « conformément à l'article 1184 du Code civil, la résolution d'un contrat synallagmatique peut être prononcée lorsque l'une des parties, pour quelque cause que ce soit, ne satisfait pas à son engagement »). Cette indifférence peut se comprendre à plusieurs titres.

Une raison historique peut, tout d’abord, être avancée. Dès avant la codification civile, l’impossibilité d’exécuter le contrat justifiait déjà, pour certains auteurs, sa résolution (V. Domat, « L'inexécution de la part d'un des contractants peut donner lieu à résolution, soit qu'il ne puisse, soit qu'il ne veuille exécuter son engagement », Lois civiles, t. I, 1, 11 ; J.-E. Labbé, Nouvelle revue historique de droit, 1888, p. 377).

Ensuite, un argument de texte peut également soutenir la position de la Cour de cassation, l’article 1184 du Code civil n’établissant pas de distinction entre inexécution fautive et inexécution fortuite ; s’il résulte du texte que le créancier peut obliger son cocontractant à l'exécution « lorsqu'elle est possible », la disposition ne fait que signifier que lorsqu’elle ne l’est pas, seule la résolution, à l’exclusion de l’exécution forcée, peut être demandée. L’absence de faute du débiteur justifie néanmoins le refus de le condamner, dans cette hypothèse, au versement de dommages-intérêts.

Une raison pratique fonde, enfin, la solution : en dissociant la question de la résolution de la théorie des risques, les juges préservent ainsi leur liberté de refuser l’anéantissement du contrat lorsque les circonstances, comme le caractère partiel ou la faible gravité de l’inexécution, les invitent à le sauver ; c’est ainsi qu’ils préfèrent parfois suspendre l’exécution du contrat plutôt que le résoudre (Civ., 7 févr. 1934 Civ. 1re, 24 févr. 1981 Com. 18 mai 1949).

Si pour toutes ces raisons, la recevabilité de l’action en résolution pour inexécution, même causée par la force majeure, se comprend, elle a néanmoins été parfois refusée au motif de son inutilité (Com. 28 avr. 1982 : « une demande de résolution judiciaire en cas d'impossibilité d'exécution n'est pas nécessaire »).

Différentes, ces positions se rejoignent par leur objectif, celui de protéger les intérêts du créancier, soit en lui garantissant le droit de pouvoir obtenir la résolution du contrat lorsque son cocontractant se trouve dans l’impossibilité de l’exécuter, soit en le dispensant d’agir en justice pour faire constater une telle impossibilité d’exécution.

Civ. 1re, 13 nov. 2014, n°13-24.633

Références

Y. Lequette, Fr. Terré, Ph. Simler, Droit civil, Les obligations, 11e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2013, n°642 s.

 Article 1184 du Code civil

« La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement.

Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts.

La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances. »

 Civ. 1re, 27 févr. 1967, D. 1967. 413.

 Com. 1er févr. 1978Bull. civ. IV, n° 48.

■ Civ. 1re, 2 juin 1982, n° 81-10.158.

■ Civ. 1re, 12 mars 1985, n° 84-10.169.

■ Civ. 7 févr. 1934, DH 1934. 165.

 Civ. 1re, 24 févr. 1981 D. 1982. 479, note D. Martin.

 Com. 18 mai 1949, Bull. civ. 1949, n° 206.

■ Com. 28 avr. 1982Bull. civ. IV, n° 145.

 

Auteur :M. H.

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