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[ 8 octobre 2012 ] Imprimer

Droit des obligations

La force obligatoire des usages professionnels

Mots-clefs : Usages professionnels, Force obligatoire, Conditions

Parmi les usages établis par la chambre des notaires, seuls ceux figurant dans le règlement approuvé par le ministère de la Justice ont force obligatoire.

Une chambre régionale de discipline notariale prononce à l'encontre d'un notaire une peine de censure, en sanction de faits commis en 2009, constitutifs d'infractions aux règles professionnelles et de comportement contraire à l'intérêt de la profession. Il lui était reproché de ne pas avoir tenu compte d’une circulaire du conseil régional des notaires prévoyant d'exiger des clients un chèque de banque pour tout versement supérieur ou égal à 15 000 euros. La cour d'appel confirme cette décision : le notaire a commis une infraction aux règles professionnelles puisqu’il n’a pas respecté la circulaire en cause, qui avait force obligatoire dès lors qu’elle poursuivait l’objectif d’une bonne administration du service notarial. Le notaire forme un pourvoi ; outre la critique de la procédure, qui n’appelle pas d’observations particulières, il conteste la sanction. Selon l’auteur du pourvoi, la condition d’approbation par le ministère de la Justice, pourtant requise par le texte applicable (l’art. 4, 1° de l’ordonnance n° 45-2590 du 2 nov. 1945 relative au statut du notariat), pour conférer valeur obligatoire aux usages de la profession, a été, à tort, ignorée par les juges du fond. La première chambre civile devait donc préciser le domaine des usages de la profession notariale ayant force obligatoire. Au visa de l’article 4, 1° de l’ordonnance précitée, la Cour de cassation censure les juges du fond : selon ce texte, seuls les usages mentionnés au règlement approuvé par le ministre de la Justice ont force obligatoire.

Les usages professionnels sont très nombreux. Le constat ne date pas d’hier. Il se fonde à la fois sur la tendance naturelle des groupes professionnels à définir leurs propres règles et sur la diversification croissante des secteurs économiques. Ainsi, parmi les diverses règles formant le droit coutumier, les usages professionnels sont-ils les plus fréquemment rencontrés et consacrés par la jurisprudence. Mais encore convient-il de mesurer la force obligatoire et contraignante de ces règles. C’est l’intérêt de cet arrêt que de préciser cette force, à propos des usages propres à la profession notariale. La Haute cour délimite ici le domaine des usages ayant force obligatoire, excluant ceux qui ne figurent pas dans le règlement approuvé par le ministère de la Justice. La précision est remarquable par ce qu’elle suggère : il conviendrait donc de distinguer les normes de conduite professionnelle non homologuées de celles approuvées par l’autorité étatique. Cette distinction avait déjà été proposée par la doctrine pour nourrir et clarifier le débat relatif à la prise en compte, par le juge, des règles déontologiques dans l’appréciation de la faute civile reprochée à un professionnel, à l’appui d’une action en responsabilité civile (Civ. 1re, 18 mars 1997 Com. 29 avr. 1997). Il était notamment reproché à la chambre commerciale, favorable à cette prise en compte, un certain excès par l’obligation faite aux juges de caractériser la faute civile d’un professionnel en cas de manquement avéré à une règle déontologique. Elle était critiquée pour une raison propre à la hiérarchie des sources du droit, qui soutient également la solution ici rendue : les codes de déontologie et plus généralement, les usages et les normes techniques professionnels n’émanant ni du législateur ni d’une autorité étatique, mais des professionnels ou de leurs représentants, c’est-à-dire de personnes privées. Contraindre le juge à s’incliner devant le prétendu pouvoir normatif de ces organismes professionnels procéderait d’une méconnaissance flagrante de la hiérarchie des sources instituées, qui ne pourrait conduire qu’à des dérives corporatistes (v. G. Viney). La Haute cour relève mais tempère la critique : si ces considérations restent, sans doute, exactes pour les normes non homologuées, elles perdent, en revanche, de leur pertinence pour les normes approuvées, notamment par l’autorité ministérielle. La solution pourrait alors être étendue, dans le secteur économique et financier, aux codes homologués par les ministres concernés (v. not. à propos de l’Autorité de contrôle prudentielP.-G. Marly).

Le juge confirme ainsi son rôle de contribution à la normativité des règles de conduite privées, dont la violation ne mérite donc d’être sanctionnée que lorsqu’elles sont assorties du sceau étatique. L’autonomie des sources privées du droit est encore loin d’être gagnée…

Civ. 1re, 20 sept. 2012, n° 11-16.402

Références

■ Autorité de contrôle prudentiel

[Droit commercial/Droit financier]

« Autorité administrative indépendante depuis le 9 mars 2010 qui réalise la fusion des autorités d’agrément et de contrôle de la banque (Commission bancaire, Comité des établissements de crédit) et de l’assurance (Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles, Comité des entreprises d’assurance). Elle veille à la préservation de la stabilité du système financier et à la protection des clients, assurés, adhérents et bénéficiaires des personnes soumises à son contrôle. Dans l’accomplissement de ses missions, elle prend en compte les objectifs de stabilité financière dans l’ensemble de l’Espace économique européen et de mise en œuvre convergente des dispositions nationales et communautaires en tenant compte des bonnes pratiques et recommandations issues des dispositifs de supervision communautaires. Elle coopère avec les autorités compétentes des autres États. En particulier, au sein de l’Espace économique européen, elle apporte son concours aux structures de supervision des groupes transfrontaliers. L’Autorité est en outre compétente pour examiner les politiques de rémunération des salariés des banques et prestataires de services d’investissement. »

Source : S. Guinchard, T. Debard, Lexique des termes juridiques 201320e éd., Dalloz, 2013.

 Article 4 de l’ordonnance n° 45-2590 du 2 nov. 1945 relative au statut du notariat

« La chambre des notaires a pour attributions :

1° D'établir, en ce qui concerne les usages de la profession et les rapports des notaires tant entre eux qu'avec la clientèle, un règlement qui sera soumis à l'approbation du garde des sceaux, ministre de la justice ;

2° De dénoncer les infractions disciplinaires dont elle a connaissance ;

3° De prévenir ou de concilier tous différends d'ordre professionnel entre notaires du département, de trancher, en cas de non-conciliation, ces litiges par des décisions qui seront exécutoires immédiatement ;

4° D'examiner toutes réclamations de la part des tiers contre les notaires à l'occasion de l'exercice de leur profession ;

5° De vérifier la tenue de la comptabilité, ainsi que l'organisation et le fonctionnement des offices de notaires de la compagnie ;

6° De donner son avis, lorsqu'elle en est requise :

a) Sur les actions en dommages-intérêts intentées contre les notaires en raison d'actes de leurs fonctions ;

b) Sur les difficultés concernant le règlement des honoraires et vacations des notaires, ainsi que sur tous différends soumis à cet égard au tribunal de grande instance ;

7° De délivrer ou de refuser par une décision motivée tous certificats de bonnes moeurs et capacité à elles demandés par les aspirants aux fonctions de notaire ;

8° De recevoir en dépôt les états des minutes dépendant des études de notaires supprimées ;

9° De préparer le budget de la compagnie et d'en proposer le vote à l'assemblée générale, de gérer la bourse commune et de poursuivre le recouvrement des cotisations ;

10° De vérifier le respect par les notaires de leurs obligations prévues par le chapitre Ier du titre VI du livre V du code monétaire et financier en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme et de se faire communiquer, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État, les documents relatifs au respect de ces obligations.

La chambre des notaires, siégeant en comité mixte, est chargée d'assurer dans le département les décisions prises en matière d'œuvres sociales par le conseil supérieur et le conseil régional siégeant tous deux en comité mixte. 

La chambre des notaires est chargée en outre d'assurer dans le département l'exécution des décisions prises par le conseil supérieur et le conseil régional. »

 Civ. 1re, 18 mars 1997, n°95-12.576.

 Com. 29 avr. 1997, n°94-21.424 ; D. 1997. 459, obs. Serra ; RTD civ. 1998. 218, note Libchaber  G. Viney, JCP G 1997. I. 4068, n°5, obs. G. Viney.

 Banque et droit 2011, n°136, p. 58, note P.-G. Marly.

 

Auteur :M. H.

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