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Droit européen et de l'Union européenne
La France condamnée pour défaut d'impartialité de la Cour de cassation
Mots-clefs : Cour de cassation, Impartialité, art. 6 §1 Conv. EDH, Prise illégale d'intérêt
S'étant déjà prononcée sur la réalité de l'infraction de prise illégale d'intérêts reprochée aux requérants lors d'un premier pourvoi, il existait des raisons objectives de craindre que la Cour de cassation ait fait preuve d'un parti pris ou de préjugés quant à la décision qu'elle devait rendre lors du second pourvoi.
Deux ressortissants français — un président de conseil général et le dirigeant d'une société qui s'était vue attribuer un marché —, furent mis en examen notamment pour prise illégale d'intérêts et complicité de ce délit. Ils furent condamnés en première instance, puis relaxés en cause d'appel, à la suite de quoi la Cour de cassation, saisie d'un premier pourvoi formé par l'accusation, cassa et annula l'arrêt rendu et renvoya l'affaire devant une autre cour d'appel. Se fondant sur les faits constatés par les juges du fond, la Haute cour, jugea illégale la relaxe des prévenus dans la mesure où le délit poursuivi était matériellement caractérisé, de même que l'intention coupable. La cour d'appel de renvoi condamna le requérant et la Cour de cassation, de nouveau saisie, rejeta cette fois les pourvois des requérants. Précision essentielle : sept des neufs conseillers ayant rendu ce dernier arrêt avaient déjà appartenu à la formation de la chambre criminelle qui s'était prononcée sur le premier pourvoi.
Invoquant l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, les requérants soutenaient que la formation de la Cour de cassation ayant confirmé leur condamnation n'était pas impartiale, du fait que sept juges sur neuf avaient déjà statué une première fois dans l'affaire. Selon eux, la Haute cour devrait être composée autrement lorsqu'elle examine le pourvoi contre un arrêt rendu après une première cassation.
Dans sa décision du 24 juin 2010, la Cour européenne des droits de l'homme note qu'une telle configuration a priori était de nature à susciter des doutes chez les requérants quant à l'impartialité de la Cour de cassation (§ 36). Elle examine alors si ces doutes se révélaient objectivement justifiés (v. CEDH 6 juin 2000, Morel c. France, n° 34130/96, § 44), c'est-à-dire « si, compte tenu de la nature et de l'étendue du contrôle juridictionnel incombant à ces magistrats dans le cadre du pourvoi formé contre l'arrêt de relaxe, ces derniers ont fait preuve, ou ont pu légitimement apparaître comme ayant fait preuve, d'un parti pris quant à la décision qu'ils ont ensuite rendue lors du pourvoi contre l'arrêt de condamnation » (§ 37) ; tel serait le cas, précise-t-elle, si les questions qu'ils avaient eu à traiter lors du second pourvoi avaient été analogues à celles sur lesquelles ils ont statué lors du premier (sur la question précise de l'appréciation préalable exclusive du cumul de fonction, v. F. Sudre et al.). La Cour statue en tenant compte de la particularité du rôle et de la nature du contrôle exercé par la Cour de cassation : à cet égard, elle rappelle que si le pourvoi en cassation constitue une voie de recours à finalité différente de celle de l'appel, la Cour de cassation « n'en a pas moins pour mission de contrôler l'adéquation entre, d'une part, les faits établis par les juges du fond et, d'autre part, la conclusion à laquelle ces derniers ont abouti sur le fondement de ces constatations » (v. CEDH 28 sept. 1999, Civet c. France[GC], n° 29340/95, § 43).
Elle relève qu'en l'espèce, à la suite du premier pourvoi, la Cour de cassation, effectuant un contrôle de légalité de l'arrêt de la cour d'appel, s'est prononcée au regard des éléments factuels sur la réalité de l'infraction de prise illégale d'intérêts reprochée aux requérants, en caractérisant à la fois l'élément matériel et moral du délit. Elle en déduit que les requérants ont pu nourrir des soupçons quant au caractère impartial de la Cour de cassation, amenée, à l'occasion du second pourvoi, à vérifier l'appréciation faite par la cour de renvoi des éléments constitutifs du délit. Elle estime que « dans ces circonstances, il existait des raisons objectives de craindre que la Cour de cassation ait fait preuve d'un parti pris ou de préjugés quant à la décision qu'elle devait rendre lors du second pourvoi formé par les requérants » (§ 40) et conclut à la violation de l'article 6, § 1, en tant qu'il garantit le droit à un tribunal impartial.
Cette décision est néanmoins rendue à une faible majorité (quatre voix contre trois). Autant dire que la question de l'impartialité objective de la chambre criminelle est loin d'être tranchée. Comme le relève la juge Berro-Lefèvre (juge monégasque) dans son opinion dissidente, si la Haute cour a effectivement rappelé les éléments constitutifs du délit de prise illégale d'intérêt, la cassation était fondée sur une erreur de droit concernant l'interprétation de l'article 432-12 du Code pénal, la cour d'appel ayant estimé, à tort, que seul un intérêt direct pouvait constituer l'infraction, et que l'élément intentionnel faisait défaut. Selon elle, à aucun moment de leur analyse, les conseillers de la chambre criminelle n'ont apprécié le bien fondé de l'accusation portée à l'encontre des requérants. Elle note, pour conclure, que la position adoptée par la majorité « est susceptible d'entrainer des conséquences importantes quant à l'organisation et la composition des juridictions suprêmes dans certains États membres, dont le nombre, limité, de magistrats ne permet pas de constituer de nombreuses formations de jugement », rappelant, subsidiairement, la frontière étroite séparant théorie et tyrannie des apparences…
CEDH 24 juin 2010, Mancel et Branquart c. France, n° 22349/06
Références
« Naguère dénommée ingérence. Fait, pour une personne dépositaire de l’autorité publique (fonctionnaire, par ex.) ou investie d’un mandat électif public (conseiller municipal, par ex.) ou chargée d’une mission de service public, de prendre ou de conserver un intérêt quelconque dans une activité, voire dans une seule opération, sur laquelle elle dispose du fait de sa fonction d’un pouvoir personnel ou partagé de surveillance ou de décision, ou qu’elle a la charge de gérer ou de payer. Ce serait le cas, par exemple, d’un entrepreneur membre d’une municipalité et auquel serait attribué un marché de travaux publics de sa commune. Pour des raisons pratiques, quelques dérogations limitées sont prévues pour les communes de moins de 3 500 habitants.
En outre, les fonctionnaires quittant leurs fonctions ne peuvent prendre ou recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux pendant un délai de trois ans dans une entreprise privée avec laquelle ils ont eu un lien résultant du contrôle ou de la surveillance de l’entreprise, de la passation de contrats ou d’avis sur les contrats passés avec l’entreprise ou encore de la proposition à l’autorité compétente, de décisions relatives à des opérations réalisées par l’entreprise.
La transgression de ces dispositions constitue un délit passible d’emprisonnement et d’amende.
Par ailleurs, en matière communale, sont illégales les délibérations du conseil municipal auxquelles aurait pris part l’un de ses membres intéressé à une affaire délibérée, si sa participation a exercé une influence déterminante sur le vote intervenu. »
Source : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
■ Article 6 de la convention européenne des droits de l’homme – Droit à un procès équitable
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à :
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. »
■ Article 432-12 du Code pénal
« Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende.
Toutefois, dans les communes comptant 3 500 habitants au plus, les maires, adjoints ou conseillers municipaux délégués ou agissant en remplacement du maire peuvent chacun traiter avec la commune dont ils sont élus pour le transfert de biens mobiliers ou immobiliers ou la fourniture de services dans la limite d'un montant annuel fixé à 16000 euros.
En outre, dans ces communes, les maires, adjoints ou conseillers municipaux délégués ou agissant en remplacement du maire peuvent acquérir une parcelle d'un lotissement communal pour y édifier leur habitation personnelle ou conclure des baux d'habitation avec la commune pour leur propre logement. Ces actes doivent être autorisés, après estimation des biens concernés par le service des domaines, par une délibération motivée du conseil municipal.
Dans les mêmes communes, les mêmes élus peuvent acquérir un bien appartenant à la commune pour la création ou le développement de leur activité professionnelle. Le prix ne peut être inférieur à l'évaluation du service des domaines. L'acte doit être autorisé, quelle que soit la valeur des biens concernés, par une délibération motivée du conseil municipal.
Pour l'application des trois alinéas qui précèdent, la commune est représentée dans les conditions prévues par l'article L. 2122-26 du code général des collectivités territoriales et le maire, l'adjoint ou le conseiller municipal intéressé doit s'abstenir de participer à la délibération du conseil municipal relative à la conclusion ou à l'approbation du contrat. En outre, par dérogation au deuxième alinéa de l'article L. 2121-18 du code général des collectivités territoriales, le conseil municipal ne peut décider de se réunir à huis clos. »
■ CEDH 6 juin 2000, Morel c. France, n° 34130/96, § 44, Rec. CEDH, p. 2000-VI ; RTD com. 2000. 1021, obs. Vallens ; D. 2001. Chron. 328, obs. Goyet ; ibid. Somm. 1062, obs. Fricero ; ibid. Somm. 1610, obs. Niboyet ; RTD civ. 2000. 934, obs. Marguénaud.
■ CEDH 28 sept. 1999, Civet c. France, n° 29340/95, § 43, Rec. CEDH, p. 1999-VI ; RSC 2000. 239, obs.Massias.
■ F. Sudre et al., Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, 5e éd., PUF, 2009, coll. « Thémis droit », p. 342 s.
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