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[ 5 avril 2013 ] Imprimer

Contrats spéciaux

La garantie des vices cachés entre professionnels de spécialités différentes

Mots-clefs : Contrat, Vente, Professionnels, Garantie des vices cachés, Clauses restrictives de garantie

Les défauts affectant un bien, lorsqu’ils remplissent les conditions relatives à l’ouverture de la garantie des vices cachés, ne peuvent faire l’objet d’une restriction de responsabilité si l’acheteur et le vendeur sont tous deux professionnels mais de spécialités différentes.

En l’espèce, une société d’édition a acquis deux presses qui, à la suite de dysfonctionnements, ont affecté la qualité d’impression des journaux. La société a donc assigné le fabriquant en réparation de ses préjudices sur le fondement de la garantie des vices cachés.

En vertu de l'article 1641 du Code civil : « Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, on n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ». Ainsi, lorsque les quatre conditions cumulatives énoncées à l'article 1641 du code civil sont réunies, le vendeur se trouve tenu à garantie. L’acheteur ne pourra donc mettre en œuvre cette action spécifique si et seulement si :

– le bien vendu a un défaut ;

 – que ce défaut est suffisamment grave pour rendre la chose impropre à l’usage auquel l’acheteur pouvait sérieusement s’attendre, cela implique de tenir compte de la nature du bien vendu (par ex. Civ. 1re, 19 mars 2009 : un acheteur peut difficilement penser qu'un véhicule ancien, et non entretenu, soit en bon état de fonctionnement). En l’espèce, les défauts invoqués ont été à l’origine d’une mauvaise qualité et ont causé des retards d’impression. C’est pourquoi, la Cour de cassation, estime que les juges du fond ont souverainement retenu que les objets du litige étaient impropres à leur destination ;

– que ce défaut (comme dans l’arrêt commenté) est non apparent (C. civ., art. 1641 et 1642). À ce titre, la jurisprudence apprécie le caractère apparent ou non du vice en fonction de la qualité de l’acheteur. En effet, s’il s’agit d’un non-professionnel, le caractère non apparent du vice sera souvent reconnu lorsqu’il n’est pas décelable lors d’une vérification élémentaire ou d’un examen superficiel de la chose (Ass. plén. 27 oct. 2006). Cependant, si l’acheteur est professionnel et de la même spécialité que le vendeur, le caractère occulte du défaut est plus sévèrement apprécié car il est présumé connaitre les vices du bien acquis (Com. 8 oct. 1973) ;

– et, que le vice soit antérieur à la vente, et plus précisément au transfert des risques (par ex. Civ. 1re, 16 juin 1992), condition remplie en l’espèce, étant relevé que les défauts invoqués n’étaient pas apparents à la livraison et se sont révélés uniquement lors de la mise en production.

Il convient de préciser que le vendeur peut échapper à la garantie s’il prouve notamment que l’acheteur avait connaissance du vice ou qu’il a fait un usage anormal de la chose. Au surplus, il est fréquent, en pratique, que le vendeur cherche à restreindre ladite garantie par l’insertion, au contrat, de clauses limitatives de responsabilité. La validité de ces clauses reste néanmoins conditionnée à la qualité des parties. En effet, fondamentalement interdites et qualifiées de clauses abusives entre un vendeur professionnel et un profane (C. consom., art. R. 132-1), ces clauses sont valables entre professionnels de même spécialité. La jurisprudence a toutefois une vision restrictive de la qualification de professionnel de même spécialité et requiert une compétence technique commune, qui est exercée dans une activité similaire (par ex : Civ. 3e, 30 oct. 1978). Tel que rappelé en l’espèce, ce constat relève du pouvoir souverain des juges du fond. Ces derniers ont  ainsi estimé que le vendeur et l’acheteur n’étaient pas des professionnels de même spécialité (« l’acheteur n’avait pas les compétences techniques nécessaires pour déceler les vices affectant la chose vendue »). En pareil cas, la restriction à la garantie n’est pas valable et le fabriquant ne peut donc opposer à l’acheteur la clause limitative de responsabilité (C. civ., article 1643). Ainsi, comme le souligne la Cour, le vendeur ne peut se prévaloir de la garantie contractuelle (qui lui aurait permis de ne pas faire application des règles relatives à la garantie des vices cachés) et  reste donc tenu de la garantie légale dont les modalités sont fixées aux articles 1641 et suivants du Code civil.

Com. 19 mars 2013, n° 11-26.566

Références

 Civ. 1re, 19 mars 2009, n° 08-12.657, Bull. civ. I, n°62.

Ass. plén. 27 oct. 2006, n° 05-18.977, Bull. Ass. plén., n° 13, RDI 2007. 256 obs. Trébulle.

 Com. 8 oct. 1973, n° 71-14.322, Bull. civ. IV, n° 272.

 Civ. 1re, 16 juin 1992, n° 90-18.970.

 Civ 3e, 30 oct. 1978, n° 77-11.354.

 Code civil

Article 1641

« Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. »

Article 1642

« Le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même. »

Article 1643

« Il est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie. »

■ Article R. 132-1 du Code de la consommation

« Dans les contrats conclus entre des professionnels et des non-professionnels ou des consommateurs, sont de manière irréfragable présumées abusives, au sens des dispositions du premier et du troisième alinéas de l'article L. 132-1 et dès lors interdites, les clauses ayant pour objet ou pour effet de : 

1° Constater l'adhésion du non-professionnel ou du consommateur à des clauses qui ne figurent pas dans l'écrit qu'il accepte ou qui sont reprises dans un autre document auquel il n'est pas fait expressément référence lors de la conclusion du contrat et dont il n'a pas eu connaissance avant sa conclusion ; 

2° Restreindre l'obligation pour le professionnel de respecter les engagements pris par ses préposés ou ses mandataires ; 

3° Réserver au professionnel le droit de modifier unilatéralement les clauses du contrat relatives à sa durée, aux caractéristiques ou au prix du bien à livrer ou du service à rendre ; 

4° Accorder au seul professionnel le droit de déterminer si la chose livrée ou les services fournis sont conformes ou non aux stipulations du contrat ou lui conférer le droit exclusif d'interpréter une quelconque clause du contrat ; 

5° Contraindre le non-professionnel ou le consommateur à exécuter ses obligations alors que, réciproquement, le professionnel n'exécuterait pas ses obligations de délivrance ou de garantie d'un bien ou son obligation de fourniture d'un service ; 

6° Supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le non-professionnel ou le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l'une quelconque de ses obligations ; 

7° Interdire au non-professionnel ou au consommateur le droit de demander la résolution ou la résiliation du contrat en cas d'inexécution par le professionnel de ses obligations de délivrance ou de garantie d'un bien ou de son obligation de fourniture d'un service ; 

8° Reconnaître au professionnel le droit de résilier discrétionnairement le contrat, sans reconnaître le même droit au non-professionnel ou au consommateur ; 

9° Permettre au professionnel de retenir les sommes versées au titre de prestations non réalisées par lui, lorsque celui-ci résilie lui-même discrétionnairement le contrat ; 

10° Soumettre, dans les contrats à durée indéterminée, la résiliation à un délai de préavis plus long pour le non-professionnel ou le consommateur que pour le professionnel ; 

11° Subordonner, dans les contrats à durée indéterminée, la résiliation par le non-professionnel ou par le consommateur au versement d'une indemnité au profit du professionnel ; 

12° Imposer au non-professionnel ou au consommateur la charge de la preuve, qui, en vertu du droit applicable, devrait incomber normalement à l'autre partie au contrat. »

 

Auteur :H. V.


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