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[ 28 janvier 2019 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

La généralisation des pouvoirs du juge national pour garantir l’effectivité du droit de l’Union

La Cour de justice rappelle qu’un juge national doit avoir le pouvoir d’écarter, de sa propre autorité, toute norme nationale contraire au droit de l’Union dans le cadre d’un litige dont il est saisi. Cette obligation résulte du principe de primauté dont l’objet est de garantir le droit de l’Union. Dès lors, il n’est pas possible de priver une juridiction de ce pouvoir, y compris en l’obligeant à saisir une autre juridiction nationale, sans violer le droit de l’Union.

Depuis l’arrêt Simmenthal (CJCE 9 mars 1978, n° 106/77), la garantie de l’effectivité de la règle du droit de l’Union relève directement de l’intervention du juge national. Dans un litige, ce dernier doit être en mesure de faire prévaloir, en toutes circonstances, la norme de l’Union aux dépens de la norme nationale contraire. Cependant, le droit national peut constituer un obstacle, en privant le juge de cette capacité. C’est la situation à laquelle la Cour de justice a été confrontée au regard de la question préjudicielle posée.

Ce contentieux trouve sa source dans la procédure applicable en droit irlandais dans l’hypothèse où une personne est victime d’une discrimination. Le droit irlandais prévoit la saisine d’un Tribunal pour l’égalité (Equality Tribunal), mais qui n’a pas la capacité d’écarter une loi nationale, cette capacité étant réservée, selon la Constitution, à certaines juridictions. Le problème est que le Tribunal a été saisi par trois personnes sur le fondement de la violation de la directive 2000/78 relative l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail. En effet, ils avaient été exclus d’une procédure de recrutement au sein de la Police nationale irlandaise en raison de leur l’âge. Le Tribunal aurait dû laisser inappliquée la loi nationale relative à la procédure de recrutement. Or le ministre a contesté la compétence de ce tribunal étant donné que la loi était nationale et relevait de la seule compétence de tribunaux établis en vertu de la Constitution. 

Le renvoi préjudiciel visait à déterminer si un organe créé par la loi (ici le Tribunal pour l’égalité) peut être empêché de laisser inappliquée une loi nationale contraire au droit de l’Union. 

La Cour de justice revient sur le principe de primauté. Celui-ci implique que toute juridiction nationale, chargée d’appliquer dans le cadre de ses compétences les dispositions du droit de l’Union, doit être en mesure de garantir le plein effet de ce droit, en laissant aux besoins la norme en cause inappliquée. La Cour de justice rappelle à ce stade que l’obligation du juge est seulement de laisser inappliquée la norme et non de l’annuler. En effet, un juge n’a pas le pouvoir d’annuler toutes les normes. Par exemple, en droit français, le juge administratif n’a ainsi pas le pouvoir d’annuler une loi, il peut en revanche la laisser inappliquée dans le cadre d’un litige. De même, la Cour de justice précise que si le juge a le pouvoir d’annuler une norme, il lui revient de déterminer les effets de l’annulation. 

Le juge national doit en conséquence détenir ce pouvoir. Dès lors, une procédure nationale ne peut pas contourner cette obligation en prévoyant que le juge saisi renvoie à une autre juridiction nationale la question de l’inapplicabilité de la règle. L’autonomie institutionnelle des États membres connaît ici une limite. En effet, la Cour de justice considère que retirer le bénéfice de ce pouvoir à un juge aurait pour répercussions de diminuer l’efficacité du droit de l’Union. Ainsi, si l’État peut librement déterminer les voies de droit et les juridictions compétentes, il ne peut pas empêcher un juge national de garantir le plein effet de la norme communautaire.

En conclusion, au regard des règles inhérentes à l’ordre juridique de l’Union, il n’est pas possible d’empêcher une juridiction quelle qu’elle soit d’écarter une norme nationale. Une solution contraire remettrait en cause l’efficacité du droit de l’Union.

CJUE, 4 décembre 2018, Minister for Justice and Equality contre Workplace Relations Commission, n° C-378/17.

Références

■ Fiche d’orientation Dalloz : Primauté du droit de l’Union européenne

■ CJCE 9 mars 1978, Simmenthal, n° 106/77

 

Auteur :Vincent Bouhier


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