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Droit des successions et des libéralités
La jouissance exclusive et privative dans l’indivision et la transmission d’une action en réparation en cas de décès
Mots-clefs : Indivision, Action en réparation, Héritier, Succession, Réparation du préjudice moral, Indemnité de jouissance privative
La Cour de cassation revient sur la notion de jouissance exclusive et privative dans le cadre d’une indivision ainsi que sur la transmission d’une action en réparation au profit des héritiers.
En l’espèce, le 21 janvier 1990, un défunt, M. Lucien X., laisse pour lui succéder son épouse, commune en biens, Michelle X., placée sous curatelle, ainsi que leurs deux enfants, un garçon et une fille. En 2004, l’épouse incapable assigne son fils, Xavier X., ainsi que l’époux et le fils de sa fille décédée (consorts Y.) afin d’obtenir le partage de la succession de son feu mari. A la suite du décès de la demanderesse, le contentieux oppose le fils de la défunte aux héritiers de sa sœur (consorts Y.) sur divers points.
Le fils, en sa qualité d’indivisaire, réclame la fixation d’une indemnité à la charge des héritiers de sa sœur pour avoir occupé exclusivement un immeuble en indivision. En outre, il réclame réparation, en tant qu’héritier de sa défunte mère, du préjudice né de la souffrance morale infligée par ces derniers sur leur mère.
La cour d’appel de Lyon statuant le 4 novembre 2014, sur renvoi après cassation (Civ. 1re, 21 nov. 2012, n° 11-20.365) déboute le fils de ses demandes. Les juges du fond admettent que les consorts Y. avaient refusé de remettre à Xavier X. en personne une clé de l’unique porte permettant l’accès à l’immeuble, pour autant, ceci ne permet pas d’établir l’existence d’une occupation exclusive de cet immeuble. Ensuite, pour juger irrecevable la demande du fils en réparation de la souffrance morale de sa mère, il est considéré que si l’héritier peut revendiquer le bénéfice d’une action née dans le patrimoine de son auteur dont il exerce les droits, cette action dépend du fait que son auteur ait entendu réclamer le bénéfice de cette action. Or, il appert que Michelle X, bien qu’assistée par sa curatrice, n’a jamais formulé une telle demande au cours de la procédure.
A la suite du pourvoi entrepris par le fils, le présent arrêt apporte de pertinentes précisions sur la jouissance privative et exclusive d’un bien en indivision ainsi que sur la transmission d’une action née dans le patrimoine d’un défunt au profit de son héritier.
En premier lieu, s’agissant de la jouissance privative et exclusive d’un bien en indivision, la décision est rendue au visa de l’article 815-9 du Code civil. L’alinéa 2 de cet article dispose que « l’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d'une indemnité ». Les juges de cassation admettent ici que « la jouissance privative d'un immeuble indivis résulte de l'impossibilité de droit ou de fait pour les co-indivisaires d'user de la chose », définition déjà retenue par un arrêt du 29 juin 2011 (Civ. 1re, n° 10-15.634). Pour autant, l'indemnité n'est pas due si l'occupation de l'immeuble par un indivisaire n'exclut pas la même utilisation par ses co-indivisaires (Civ. 1re, 13 janv. 1998, n° 95-12.471). Ainsi, afin de caractériser l’existence d’une jouissance privative, il convient de vérifier que l’un des indivisaires était dans l’impossibilité d’user de la chose. En l’espèce, l’un des indivisaires occupait seul un appartement et détenait la clé de la porte d’entrée permettant l’accès à l’immeuble. Ce détenteur avait refusé de la remettre à un autre indivisaire. Malgré cette opposition, les juges d’appel ne considèrent pas que ces éléments permettent d’établir une occupation exclusive. Le juge du droit censure une telle position : selon lui, le fait qu’un seul des indivisaires détienne la clé d’accès à l’immeuble, permet de conclure qu’il avait seul la « libre disposition du bien indivis ». En conséquence, un tel comportement constitue bel et bien une jouissance privative et exclusive au sens de l’article 815-9 du Code civil. Cette solution est logique et conforme aux décisions rendues précédemment, tel cet arrêt admettant la jouissance privative pour l’un des indivisaires ayant changé les verrous des portes d’entrée, ce dernier étant le seul à avoir accès au bien, il devait être considéré comme débiteur d’une indemnité d’occupation (Civ. 1re, 8 juill. 2010, n° 09-13.991).
En second lieu, les magistrats du quai de l’Horloge se prononcent sur la transmission de l’action en réparation à un héritier. Statuant au visa des articles 1382 et 731 du Code civil, ils retiennent « qu'il résulte du premier de ces textes que toute personne victime d'un dommage, quelle qu'en soit la nature, a droit d'en obtenir l'indemnisation de celui qui l'a causé et, selon le second, que le droit à réparation du dommage résultant de la souffrance morale éprouvée par la victime avant son décès, étant né dans son patrimoine, se transmet à son décès à ses héritiers ». Il est en effet de jurisprudence constante que la transmission aux héritiers d’une action en réparation en cas de souffrance physique ou morale de la victime avant son décès est considérée comme étant née dans le patrimoine de son auteur dont l’héritier exerce les droits (Cass., ch. mixte, 30 avr. 1976, n° 74-90.280 et n° 73-93.014 ; Civ. 1re, 13 mars 2007, n° 05-19.020). Or, les juges du fond considéraient que la défunte, demanderesse, n’avait pas formulé une telle demande en réparation au cours de la procédure. En d’autres termes, les juges d’appel faisaient à tort dépendre la transmissibilité de l’action en réparation de la démonstration que la défunte avait souhaité agir en réparation de son vivant. Une telle exigence est refusée par la Cour de cassation, l’action en réparation ayant bien été transmise aux héritiers pour une souffrance éprouvée par la victime avant son décès, celle-ci étant née dans son patrimoine avant son décès, même si elle n’en a pas fait la demande de son vivant.
Civ. 1re, 31 mars 2016, n° 15-10.748
Références
■ Civ. 1re, 21 nov. 2012, n° 11-20.365.
■ Civ. 1re, 29 juin 2011, n° 10-15.634, RDI 2011. 502, obs. J.-L. Bergel.
■ Civ. 1re, 13 janv. 1998, n° 95-12.471 P, RTD civ. 1999. 167, obs. J. Patarin.
■ Civ. 1re, 8 juill. 2010, n° 09-13.991.
■ Cass., ch. mixte, 30 avr. 1976, n° 74-90.280 P et n° 73-93.014 P, D. 1977. 185, note Contamine-Raynaud.
■ Civ. 1re, 13 mars 2007, n° 05-19.020 P, D. 2007. 1015 ; RTD civ. 2007. 785, obs. P. Jourdain.
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