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[ 20 novembre 2009 ] Imprimer

Droit administratif général

La jurisprudence Cohn-Bendit n’est plus !

Mots-clefs : Sources, Légalité, Droit communautaire, Directive communautaire, Acte administratif non réglementaire, Invocabilité, Preuve, Discrimination

Tout justiciable peut désormais se prévaloir, à l’appui d’un recours dirigé contre un acte administratif même non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive lorsque l’État n’a pas pris, dans les délais impartis par elle, les mesures de transposition nécessaires, juge le Conseil d’État dans un arrêt du 30 octobre 2009.

Dans sa formation la plus solennelle, le Conseil d'État a abandonné la jurisprudence Cohn-Bendit (CE, Ass., 22 déc. 1978, Ministre de l'intérieur c. Cohn-Bendit) qui faisait obstacle à l'invocation d'une directive [DA] à l'appui d'un recours en annulation d'un acte administratif individuel. Il définit également un régime adapté de charge de la preuve dans les cas où il est soutenu qu’une mesure a pu être empreinte de discrimination [LTJ].

Une magistrate ayant des activités syndicales s’était portée candidate à un poste de chargée de formation à l’École nationale de la magistrature. Cette nomination lui avait été refusée. Considérant que ce refus était dû à son engagement syndical et constituait une discrimination illégale, elle avait demandé au Conseil d’État l’annulation de la nomination de la candidate concurrente. La requête posait la question de l'invocabilité de l'article 10 de la directive du 27 novembre 2000 qui aménage les règles de la preuve en matière de discrimination. Cette directive, dont le délai de transposition expirait le 2 décembre 2003, n'a été, sur ce point, introduite en droit français que par l'article 4 de la loi du 27 mai 2008.

Revenant sur son arrêt d’Assemblée du 22 décembre 1978, Ministre de l’intérieur c. Cohn-Bendit (précité), le Conseil d’État juge que tout justiciable peut se prévaloir, à l’appui d’un recours dirigé contre un acte administratif même non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive lorsque l’État n’a pas pris, dans les délais impartis par elle, les mesures de transposition nécessaires. Cette évolution résulte notamment du fait que la transposition des directives communautaires, qui est une obligation prévue par le traité instituant la Communauté européenne, revêt, en outre, le caractère d’une obligation constitutionnelle consacrée par la jurisprudence (CE, Ass., 8 févr. 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine).

Dans l’affaire soumise au Conseil d’État, cependant, les dispositions de la directive ne remplissent pas les conditions permettant de considérer qu’elles sont directement invocables. Elles réservent en effet la possibilité de ne pas aménager la charge de la preuve en matière de discrimination, lorsque le juge dispose de pouvoirs d’instruction, ce qui est le cas du juge administratif en droit public français. Dès lors que la disposition n’est pas inconditionnelle, elle ne peut être invocable par un particulier.

Malgré l’absence d’effet direct de cette directive, le Conseil d’État a considéré qu’il appartenait au juge administratif de prendre en compte les difficultés propres à l’administration de la preuve dans les cas où il est soutenu qu’une mesure a pu être empreinte de discrimination. Il a aussi souligné la nécessité de tenir compte en pareil cas des exigences résultant des principes constitutionnels que sont les droits de la défense et l’égalité de traitement des personnes. Au regard de ces particularités, il a décidé de définir, de manière autonome, un dispositif adapté de charge de la preuve, qui a vocation à s’appliquer dans des situations couvertes par la loi du 27 mai 2008. Ce dispositif requiert du requérant qui s’estime lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte au principe de non-discrimination. Il incombe alors au défendeur, c’est-à-dire à l’administration, de produire tous ceux permettant d’établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. À ce stade, la conviction du juge, à qui il appartient d’apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, le juge peut les compléter par toute mesure d’instruction utile.

Le Conseil d’État a suivi cette méthode pour apprécier la situation de la requérante et conclu que le choix opéré par l’autorité de recrutement ne reposait pas sur des motifs entachés de discrimination.

CE, Ass., 30 octobre 2009, Mme Perreux, n° 298348.

Références

Directive

« Acte d’incitation et d’orientation laissant en principe une liberté de moyens. La terminologie est commune à des actes de nature juridique différente élaborés au niveau interne ou communautaire. (…)

2. En droit communautaire

Ce sont des actes communautaires dérivés. Au même titre que les règlements communautaires, elles sont élaborées par le Conseil des ministres ou la Commission des Communautés européennes. Il s’agit de normes qui obligent les États-membres quant au résultat à atteindre mais les laissent libres de définir la forme et les moyens adéquats pour y parvenir. À cette liberté correspond un délai de transposition afin de choisir les modalités pertinentes. L’effet direct des directives en droit interne ie leur invocabilité par les administrés a suscité une jurisprudence subtile mais allant dans le sens d’une portée élargie de l’acte communautaire. (...) »

Source : V. Van Lang, G. Gondouin, V. Inserguet-Brisset, Dictionnaire de droit administratif, 5e éd., Sirey, coll. « Dictionnaire », 2008.

Discrimination

« Toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur appartenance physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes morales pour les mêmes raisons tenant aux membres ou certains membres de ces personnes morales. »

Source : Lexique des termes juridiques 2010, 17e éd., Dalloz, 2009.

Droits de la défense

« 1° En procédure civile et administrative (et bien que l’expression ait été abandonnée dans les codes en raison de sa connotation pénale), désigne les garanties fondamentales qui assurent aux plaideurs la possibilité de faire valoir leurs droits librement et contradictoirement.
  En procédure pénale, ensemble des garanties qui permettent à un mis en cause, mis en examen, prévenu ou accusé, d’assurer efficacement sa défense dans l’instruction ou le procès qui le concerne et qui est sanctionné, sous certaines conditions, par la nullité de la procédure. Consacrés par les instruments internationaux des droits de l’Homme, le Conseil constitutionnel et le Code de procédure pénale, ils se ramènent, pour l’essentiel, au droit à l’assistance d’un avocat, aux principes de la contradiction et de l’égalité des armes, à l’exercice de voies de recours. »

Source : Lexique des termes juridiques 2010, 17e éd., Dalloz, 2009.

Effet direct

« Principe selon lequel une règle adoptée par une organisation internationale ou un traité international s’applique directement dans le droit interne des États sans qu’il soit besoin ni possible que cet État transpose préalablement cette règle dans son droit interne par l’adoption d’une loi ou d’un vote réglementaire. Classique en droit communautaire l’effet direct reste exceptionnel dans le droit international public. »

Source : Lexique des termes juridiques 2010, 17e éd., Dalloz, 2009.

CE, Ass., 22 déc. 1978, Ministre de l'intérieur c. Cohn-Bendit, Lebon 524, GAJA 17e éd., n° 89.

CE, Ass., 8 févr. 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine, Lebon 55, GAJA 17e éd., n° 116.

 

Auteur :E. R.

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