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Droit de la famille
La kafala n’est pas une adoption
Mots-clefs : Kafala, Adoption plénière, Conditions
Les conditions de l’adoption de l’enfant devenu français étant régies par la loi française conformément à l’article 3 du code civil, en vertu de l’article 348-2 du même code, le consentement à l'adoption ne peut être donné par le conseil de famille que lorsque les père et mère de l'enfant sont décédés, dans l'impossibilité de manifester leur volonté ou s'ils ont perdu leurs droits d'autorité parentale ou encore lorsque la filiation de l'enfant n'est pas établie.
« Allah n'a pas mis à (l') homme deux cœurs en son sein (...). De vos fils adoptifs, il n'a point fait vos fils ». Dans les pays du Maghreb, à l'exception de la Tunisie, le sort des enfants abandonnés est appréhendé d'une façon désormais bien connue. Conformément à la prescription coranique mise en exergue (v. Le Coran, Sourate 33, 4, trad. R. Blachère, Librairie orientale et américaine, 1957, p. 444), Algérie et Maroc prohibent l'adoption et organisent la protection de l'enfant par le biais de la kafala.
Cette institution traditionnelle permet à des personnes, les « koufala », de s'engager bénévolement à entretenir, éduquer et protéger un enfant mineur sans créer pour autant, entre les koufala et l'enfant recueilli (makfoul), un lien de filiation.
À cet égard, il va de soi que, selon la loi de ces États, la kafala n'est pas une adoption, même simple (Civ. 1re , 10 oct. 2006 ; Civ. 1re, 9 juill. 2008). Or la jurisprudence française fait une stricte application de l'article 370-3 alinéa 2 du Code civil, qui interdit de prononcer l'adoption des enfants mineurs dont la loi personnelle prohibe cette institution, sauf dans l'hypothèse où le mineur est né et réside habituellement en France.
Dans ces conditions, les Français auxquels un enfant a été confié en kafala sont réduits à attendre les cinq ans nécessaires pour que l'enfant puisse acquérir la nationalité française sur le fondement de l'article 21-12 alinéa 3, 1° du Code civil. Devenu français, l'enfant pourra alors s'affranchir de la prohibition de sa loi nationale d'origine (v. en ce sens, Rép. min. Justice, n° 00293, JO Sénat, 5 juill. 2007, p. 1182).
Cela étant, le changement de nationalité de l'enfant ne suffit pas à le rendre adoptable ; encore faut-il respecter les droits de son éventuelle famille d'origine.
C’est ce que rappelle, par la décision rapportée, la première chambre civile à propos du projet d'adoption plénière d'un enfant né au Maroc et confié à un couple à la suite d'une ordonnance du tribunal de Taroudant (Maroc) ayant attribué aux époux la kafala de cet enfant, après qu'un jugement du même tribunal l’eut déclaré «délaissé» par sa mère, faute pour celle-ci de pouvoir subvenir à ses besoins.
L’enfant avait, par la suite, été autorisé à quitter le Maroc avec le couple, qui lui fit obtenir la nationalité française et sollicita en conséquence son adoption plénière après qu’un conseil de famille eut, en France, donné son consentement et désigné un tuteur ad hoc aux fins de représenter l’enfant.
En appel, les juges avaient rejeté la requête en adoption du couple au motif que la filiation de l’enfant à l’égard de sa mère était établie, que le consentement de celle-ci à l’adoption n’avait pas été recueilli, et que si les époux établissaient l’impossibilité de la mère de subvenir aux besoins de son enfant, ils ne rapportaient pas la preuve d’un désintérêt volontaire de cette dernière à l’égard de son enfant ; en conséquence du maintien de ses droits d’autorité parentale, le conseil de famille ne pouvait, à défaut d’établir l’impossibilité de la mère de manifester sa volonté, valablement consentir à l’adoption de l’enfant.
Confirmant l’analyse des juges du fond, la première chambre civile rappelle que « le consentement à l'adoption ne peut être donné par le conseil de famille que lorsque les père et mère de l'enfant sont décédés, dans l'impossibilité de manifester leur volonté ou s'ils ont perdu leurs droits d'autorité parentale ou encore lorsque la filiation de l'enfant n'est pas établie ».
Dans cette ligne, la Cour de cassation avait déjà affirmé qu'une adoption prononcée sans le recueil préalable du consentement à l'adoption des représentants légaux de l'enfant était contraire à l'ordre public (Civ. 1re, 18 juill. 2000). Autrement dit, si l'alinéa 2 de l'article 370-3 du Code civil peut être neutralisé par le changement de nationalité de l’enfant, l'adoption de ce dernier demeure subordonnée au respect de l'alinéa 3 du même texte : « Quelle que soit la loi applicable, l'adoption requiert le consentement du représentant légal de l'enfant (...) ». Cela implique, qu’outre l'acte de kafala, les parents candidats à l’adoption doivent pouvoir fournir un document attestant d’un consentement éclairé à l'adoption.
Pour contourner cette règle, ces derniers peuvent, si une tutelle a été ouverte, être tentés de réunir un conseil de famille ad hoc pour consentir à l'adoption. Mais ce consentement ne pourra se substituer à celui de la famille d'origine (Civ. 1re, 22 oct. 2002 : « même lorsque les conditions de l'adoption sont régies par la loi française des adoptants, le consentement exprès et éclairé des parents de l'enfant, qui peut être recueilli par tous moyens, est une exigence de droit matériel qui ne peut être satisfaite par une délibération du conseil de famille selon la loi française »).
Il n’est donc pas permis de s'affranchir du consentement de la famille d'origine sous prétexte que l'enfant a acquis la nationalité française. En revanche, lorsque l’enfant n’a pas de filiation connue, les juges admettent, dans son intérêt, de faire produire effet à la décision du conseil de famille consentant à son adoption (v. Civ. 1re, 30 sept. 2003). En effet, lorsque l'enfant est de filiation inconnue, il peut paraître souhaitable que les organes assurant sa protection au jour de la requête en adoption puissent consentir à celle-ci.
Civ. 1re, 4 déc. 2013, n° 12-26.161
Références
■ Civ. 1re , 10 oct. 2006, n° 06-15.264.
■ Civ. 1re, 9 juill. 2008, n° 07-20.279.
■ Civ. 1re, 18 juill. 2000, n° 99-10.848.
■ Civ. 1re, 22 oct. 2002, n° 00-12.360.
■ Civ. 1re, 30 sept. 2003, n° 01-02.630.
■ Code civil
« Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire.
Les immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française.
Les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger. »
« L'enfant qui a fait l'objet d'une adoption simple par une personne de nationalité française peut, jusqu'à sa majorité, déclarer, dans les conditions prévues aux articles 26 et suivants, qu'il réclame la qualité de Français, pourvu qu'à l'époque de sa déclaration il réside en France.
Toutefois, l'obligation de résidence est supprimée lorsque l'enfant a été adopté par une personne de nationalité française n'ayant pas sa résidence habituelle en France.
Peut, dans les mêmes conditions, réclamer la nationalité française :
1° L'enfant qui, depuis au moins cinq années, est recueilli en France et élevé par une personne de nationalité française ou qui, depuis au moins trois années, est confié au service de l'aide sociale à l'enfance ;
2° L'enfant recueilli en France et élevé dans des conditions lui ayant permis de recevoir, pendant cinq années au moins une formation française, soit par un organisme public, soit par un organisme privé présentant les caractères déterminés par un décret en Conseil d'État. »
« Lorsque les père et mère de l'enfant sont décédés, dans l'impossibilité de manifester leur volonté ou s'ils ont perdu leurs droits d'autorité parentale, le consentement est donné par le conseil de famille, après avis de la personne qui, en fait, prend soin de l'enfant.
Il en est de même lorsque la filiation de l'enfant n'est pas établie. »
« Les conditions de l'adoption sont soumises à la loi nationale de l'adoptant ou, en cas d'adoption par deux époux, par la loi qui régit les effets de leur union. L'adoption ne peut toutefois être prononcée si la loi nationale de l'un et l'autre époux la prohibe.
L'adoption d'un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France.
Quelle que soit la loi applicable, l'adoption requiert le consentement du représentant légal de l'enfant. Le consentement doit être libre, obtenu sans aucune contrepartie, après la naissance de l'enfant et éclairé sur les conséquences de l'adoption, en particulier, s'il est donné en vue d'une adoption plénière, sur le caractère complet et irrévocable de la rupture du lien de filiation préexistant. »
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