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Libertés fondamentales - droits de l'homme
La législation irlandaise relative à l'avortement de nouveau à l'épreuve de la Convention EDH
Mots-clefs : Droit à la vie familiale, Droit à la vie privée, Avortement, Droit effectif et accessible
Si l’interdiction de l’avortement pour des raisons de santé et/ou de bien-être est conforme à la Convention EDH, les États restent tenus d’assurer un droit à l’avortement effectif et accessible en cas de risque avéré pour la vie de la mère.
Deux des requérantes se trouvant dans le premier cas de figure et la troisième dans le second, la Cour procède en l’espèce à un examen séparé de leurs requêtes invoquant une violation de l'article 8 de la convention (vie privée et familiale).
Les deux premières requérantes soutenaient que l'interdiction en Irlande de l'avortement pour motifs de santé ou de bien-être est contraire à l'article 8. Pour la Cour, la question à trancher en l'espèce consiste à déterminer si ladite interdiction constitue une ingérence injustifiée dans les droits découlant pour les intéressées de cet article. Elle relève tout d'abord que cette ingérence est prévue par la loi, et que celle-ci est clairement accessible. Ce point n'était d'ailleurs pas contesté par les requérantes qui, en toute connaissance de cause, s'étaient rendues à l'étranger pour avorter. La Cour estime ensuite que cette ingérence poursuit le but légitime de protéger la morale, dont la défense du droit à la vie de l'enfant à naître constitue un aspect en Irlande. Quant au point de savoir si l'ingérence est nécessaire dans une société démocratique, « considérant que les femmes en Irlande peuvent, sans enfreindre la loi, se faire avorter à l'étranger et obtenir à cet égard des informations et des soins médicaux adéquats en Irlande, la Cour estime qu'en interdisant, sur la base des idées morales profondes du peuple irlandais concernant la nature de la vie et la protection à accorder en conséquence au droit à la vie des enfants à naître, l'avortement pour motifs de santé ou de bien-être sur son territoire, l'État irlandais n'a pas excédé la marge d'appréciation dont il jouit en la matière » (§ 241). Rappelons que cette liberté d’informer les femmes enceintes de la possibilité de subir un avortement à l’étranger a été imposée à l’Irlande par la CEDH à l’issue de l’arrêt Open door et Dublin well woman c. Irlande du 29 octobre 1992, sur le fondement de l’article 10 de la CEDH (liberté d’expression). Elle conclut dès lors qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8.
Il faut toutefois relever que cette décision a été adoptée à une majorité de onze voix contre six. Dans leur opinion en partie dissidente, les juges en désaccord avec ce constat de non-violation de l'article 8 relèvent qu'un élément notamment aurait dû être pris en compte par la Cour : l'existence d'un consensus européen en faveur de l'autorisation de l'avortement. Celui-ci est en effet possible sur simple demande dans une trentaine d'États européens, sur les 47 États membres du Conseil de l’Europe. Il est autorisé pour des motifs de santé dans une quarantaine de ces États, et pour des motifs de bien-être dans 35 d'entre eux. Or, « il ressort de la jurisprudence de la Cour que lorsque celle-ci estime qu'il existe parmi les États européens un consensus sur une question touchant un droit fondamental, elle conclut d'ordinaire que ce consensus restreint de manière décisive la marge d'appréciation normalement applicable dans les cas où l'existence d'un tel consensus n'est pas démontrée » (§ 5). Tel n'a pourtant pas été le cas en l'espèce, où la Cour a estimé que le consensus observé ne restreignait pas l'ample marge d'appréciation dont jouit l'État irlandais. Les juges dissidents reprochent également à la Cour de s'être référée aux « valeurs morales profondes du peuple irlandais ». Pour eux, à supposer même que lesdites valeurs « soient toujours enracinées dans la conscience de la majorité des Irlandais, considérer qu'elles peuvent prendre le pas sur le consensus européen, dont l'orientation est complètement différente, constitue un véritable tournant, dangereux, dans la jurisprudence de la Cour » (§ 9).
La troisième requérante se trouvait quant à elle dans une situation différente, son avortement, également pratiqué à l'étranger, ayant été motivé par le fait qu'elle craignait que sa grossesse ne mît sa vie en danger. Dans un tel cas, la Constitution irlandaise autorise l'avortement. La requérante se plaignait toutefois de ce que, aucune loi n'ayant été adoptée pour mettre en œuvre cette autorisation, il lui avait été impossible d'établir son droit à subir un avortement en Irlande. Pour la Cour, le défaut de mise en œuvre législative de l'autorisation constitutionnelle d'avorter en cas de risque avéré pour la vie de la mère, en particulier l'absence de procédures effectives et accessibles permettant de faire établir un droit à avortement au titre de cette autorisation, a donné lieu en l'espèce à « une discordance flagrante entre le droit théorique reconnu et la réalité de la mise en œuvre concrète de ce droit » (§ 264).
Faute d'avoir adopté des dispositions législatives ou réglementaires instituant une procédure accessible et effective au travers de laquelle la requérante aurait pu faire établir si elle pouvait ou non avorter en Irlande, la Cour conclut, à l'unanimité cette fois, que les autorités ont méconnu leur obligation positive de lui assurer un respect effectif de sa vie privée.
CEDH 16 déc. 2010, A, B et C c. Irlande, n° 25579/05
Références
Convention européenne des droits de l’homme
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
■ CEDH 29 oct. 1992, Open door et Dublin well woman c. Irlande, n° 14234/88 et 14235/88.
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