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[ 12 novembre 2018 ] Imprimer

Droit des obligations

La liberté d’association du commerçant

La clause d'un bail commercial faisant obligation au preneur d'adhérer à une association de commerçants et à maintenir son adhésion pendant la durée du bail est entachée d'une nullité absolue.

Une société louait des locaux à usage commercial appartenant à une grande société de distribution et dépendant d'un centre commercial. La locataire avait, à compter de janvier 2014, cessé de régler ses cotisations à l’association de commerçants à laquelle elle avait adhéré en exécution d'une stipulation du bail l’y obligeant. Alors que l'association l’avait assignée en paiement de cotisations, la locataire lui avait opposé la nullité de la clause d'adhésion contenue dans son contrat. La cour d’appel ayant rejeté la demande en paiement de l’association, celle-ci forma un pourvoi en cassation, fermement rejeté par la Haute cour.

Celle-ci juge en premier lieu que la cour d’appel ayant relevé que la clause litigieuse du bail stipulait, en ses alinéas 1 et 2, que la locataire ne s'était pas engagée à participer aux frais de promotion et d'animation du centre commercial, mais à adhérer à l'association des commerçants et, en son alinéa 3, qu'en cas de retrait, elle resterait tenue de régler à l'association sa participation financière aux dépenses engagées pour l'animation du centre commercial, de sorte que cette clause, qui entravait la liberté de ne pas adhérer à une association ou de s'en retirer en tout temps, était entachée de nullité absolue, la juridiction du fond en a exactement déduit, abstraction faite du motif inopérant tiré d’une stipulation pour autrui, que cette société ne s'était pas directement engagée à participer aux frais de fonctionnement de l'association et que la demande en paiement des cotisations à compter du 1er janvier 2014 devait être rejetée. Elle ajoute, en deuxième lieu, que les juges d’appel ayant retenu que le paiement des cotisations résultait de l'adhésion à l'association, et que, dès lors que la société avait renoncé à son adhésion, l'association n'avait plus à la faire participer aux opérations d'animation du centre commercial et la société n'avait plus à payer les cotisations, les juges n'étaient pas tenus de procéder à une recherche sur le profit tiré par l'association que ses constatations rendaient inopérante. Elle confirme enfin la cour d'appel d’avoir exactement retenu que les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, invoquées par l'association sans même rechercher la responsabilité civile de la société, étaient étrangères aux rapports entretenus par l'association et un commerçant ancien adhérent.

Aux termes de l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, « toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts ; l'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui (…) ». Outre ce fondement conventionnel supranational, l'article 4 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association prévoit que « (t)out membre d'une association qui n'est pas formée pour un temps déterminé peut s'en retirer en tout temps, après paiement des cotisations échues et de l'année courante, nonobstant toute clause contraire ». Ce dernier texte, dont les conditions ont été élargies par l'article 125 de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives, énonce désormais que « Tout membre d'une association peut s'en retirer en tout temps, après paiement des cotisations échues et de l'année courante, nonobstant toute clause contraire ».

En application de ces textes a donc été posé le principe de la nullité absolue de la clause d'un bail commercial faisant obligation au preneur d'adhérer à une association de commerçants et à maintenir son adhésion pendant la durée du bail et de ses renouvellements successifs (Civ. 3e, 12 juin 2003, n° 02-10.778) : hormis les cas où la loi en décide autrement, nul n'est tenu d'adhérer à une association régie par la loi du 1er juillet 1901 ou, y ayant adhéré, d'en demeurer membre (CEDH 29 avr. 1999, Chassagnou c./France, n° 25088/94 ). 

En outre, depuis la dernière modification de la loi de 1901, le droit de retrait n'est plus lié aux seules associations formées pour un temps déterminé. Il est donc désormais possible de quitter n'importe quelle association de commerçants, quelle que soit sa durée et nonobstant toute clause contraire. Quoi qu’il en soit, dans cette affaire, l’association ayant été créée pour regrouper les commerçants du centre commercial avait une durée illimitée.

En l'espèce, alors que la société sollicitait la possibilité de se retirer de l’association, celle-ci s’y était opposée en invoquant son obligation d’y rester, du moins indirectement, par le paiement de cotisations, compte tenu du libre choix initialement exercé par la société d’être intégrée au centre commercial, lequel impliquait son adhésion. En effet, la signature du bail était conditionnée à l'adhésion à l'association, en sorte que l’adhésion de la société ne pouvait pas, selon l’association, être remise en cause dès lors que celle-ci continuait d’exercer son activité au sein du centre commercial. Il allait toutefois de soi que la liberté d’adhérer de la société n’était, dès le départ, qu’apparente : si elle avait bien fait le choix de s'implanter dans un centre commercial, sans pouvoir prétendre y avoir été contrainte, elle n'aurait pu, en revanche, s'y implanter si elle avait refusé d'adhérer à l'association, en sorte que celle-ci s’était trouvée privée à la fois de la liberté effective d'adhérer, comme elle le fut ensuite de celle de s’en retirer. Or la liberté d'adhérer à une association comporte un volet négatif, celle de pouvoir s’en retirer à tout moment. Ce premier moyen devait donc être rejeté.

Celui tiré de la stipulation pour autrui, pour justifier la participation de la société aux coûts des opérations effectuées par l'association, devait l’être tout autant. L'association, qui se considérait comme le tiers bénéficiaire de cette prétendue stipulation, le bailleur étant le stipulant, la société aurait alors eu la qualité de promettant, et l’irrévocabilité de son engagement pris pour autrui n’aurait précisément pas été compatible avec la situation juridique de l’espèce, celle d’une association que l’on intègre par libre adhésion et de laquelle on peut librement se retirer. L'association échouait ainsi à contourner la nullité absolue de la clause litigieuse en invoquant une figure juridique inappropriée et même inconciliable avec celle adoptée pour mettre les différents protagonistes en relation. Le paiement des cotisations résultant nécessairement de l'adhésion de la société à l'association, à compter du moment où celle-ci avait expressément renoncé, comme elle en a la liberté, à y adhérer, l’ancienne adhérente se trouvait ainsi libérée de toute obligation de financement. 

C’est également pour cette raison que le dernier moyen, tiré des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, ne pouvait davantage prospérer. L’association avait tenté de soutenir l’applicabilité de ce texte à l’espèce en ce qu’il proscrit, au nom du principe de loyauté, les situations commerciales créatrices d’un avantage obtenu sans contrepartie, pour justifier qu’à défaut d’obtenir le paiement des cotisations réclamées, il se trouve contraint d'effectuer, sans aucune contrepartie financière, des opérations commerciales au profit d’un commerçant dispensé de toute rétribution. Cependant, ce texte n'avait évidemment pas vocation à régir leur situation, c’est-à-dire à s’appliquer à un lien, rompu, entre un commerçant et une association à laquelle il n'appartenait plus, lesquels ne pouvaient donc pas être considérés comme d’actuels partenaires commerciaux au sens de ce texte, entendus comme toutes les personnes qui entretiennent des relations économiques suivies et unissent leurs efforts dans la poursuite d'un objectif commun. Il convient même de considérer qu’ils ne l’avaient jamais été, la nullité absolue des clauses des baux imposant l'adhésion à une association ainsi que l'adhésion elle-même opérant son anéantissement rétroactif à l'égard de tous (Civ. 1re, 3 mars 2010, n° 08-18.947).

Mieux vaut être seul que mal associé !

Civ. 3e, 11 oct. 2018, n° 17-23.211

Références

■ Civ. 3e, 12 juin 2003, n° 02-10.778 P: D. 2004. 367, note C.-M. Bénard ; ibid. 2003. 1694, obs. Y. Rouquet ; AJDI 2003. 663, obs. J.-P. Blatter ; Rev. sociétés 2003. 880, note M.-L. Coquelet ; RTD civ. 2003. 771, obs. J. Raynard ; ibid. 2004. 280, obs. J. Mestre et B. Fages ; RTD com. 2003. 755, obs. L. Grosclaude ; ibid. 2004. 72, obs. J. Monéger

■ CEDH 29 avr.1999, Chassagnou c./ France, n° 25088/94AJDA 1999. 922, note F. Priet ; ibid. 2000. 526, chron. J.-F. Flauss ; D. 1999. 163 ; ibid. 389, chron. G. Charollois ; ibid. 2000. 141, chron. E. Alfandari ; RFDA 1999. 451 et les obs. ; RTD civ. 1999. 913, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 2000. 360, obs. T. Revet 

■ Civ. 1re, 3 mars 2010, n° 08-18.947 P: D. 2010. 765 ; ibid. 2011. 1040, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2010. 189, obs. S. Milleville ; RTD civ. 2010. 367, obs. B. Vareille

 

Auteur :Merryl Hervieu

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