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Libertés fondamentales - droits de l'homme
La liberté d’association v. la défense des intérêts économiques nationaux
Mots-clefs : Liberté d’association, Liberté d’opinion, Agence de développement économique, Taxe, Protection des libertés individuelles (équilibre avec la défense des intérêts économiques), Intérêts des membres
Une taxe qui finance un groupement d’intérêts économiques sans que les contributeurs ne puissent réellement agir sur la politique du groupement en question est en contradiction avec la liberté d’association, protégée par l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Le requérant, un industriel islandais, avait attaqué son pays devant la Cour en raison de l’obligation légale qui lui était faite d’adhérer à un groupement d’intérêts économiques, la Fédération industrielle islandaise (FII), qui avait pour but principal de favoriser l’expansion de l’industrie islandaise à travers le monde.
La taxe, qui était prélevée directement sur le chiffre d’affaires des industries concernées, finançait directement la FII. Cette dernière défendait par exemple une adhésion rapide de l’Islande à l’Union européenne. Par conséquent, le requérant arguait d’une violation de la liberté d’association, prévue par l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), mais également de sa liberté de conscience, protégée par l’article 9 de la CEDH, car il était personnellement opposé à l’adhésion de l’Islande à l’Union européenne.
La jurisprudence de la Cour a admis que la liberté d’association emportait également pour les citoyens la liberté « négative » de ne pas adhérer à une association (v. CEDH 13 août 1981). Le gouvernement islandais faisait valoir que le fait de verser une taxe finançant un groupement d’intérêts économiques ne revenait pas à adhérer à une association. La Cour refuse cet argument, en constatant que l’intégralité des ressources de l’organisation provenait de la taxe perçue par cette dernière, et que cela suffisait à caractériser l’adhésion à une association (§48). Il existait donc bien une intervention de l’État islandais dans la liberté politique que représente la liberté d’association.
De manière classique, la Cour s’est alors penchée sur les justifications apportées par le gouvernement à cette interférence, en trois temps qui sont autant de conditions cumulatives exigées par les juges pour déroger au texte de la CEDH.
1. L’interférence devait être prévue par la loi ;
2. Elle devait poursuivre un but légitime ;
3. Elle devait être nécessaire dans une société démocratique.
1. Une atteinte prévue par la loi
Une loi de 1993 énumérait précisément les industries assujetties à cette taxe. Quant à l’interprétation du texte de la loi, la Cour rappelle qu’il appartient aux juges nationaux de contrôler ce moyen.
2. Une atteinte ayant un but légitime
L’énoncé des motifs de la loi fait apparaître que la FII devait « servir à promouvoir l’industrie et le développement industriel de l’Islande », ce qui est considéré comme un objectif en adéquation avec l’un des buts légitimes prévu à l’article 11 § 2, et qui consiste dans « la protection des droits et libertés d'autrui » (v. § 73 de l’arrêt), en matière économique.
3. Mais une atteinte aux libertés trop importante dans une société démocratique
La Cour poursuit son raisonnement en rappelant sa jurisprudence relative à la liberté syndicale et aux prérogatives accordées aux syndicats pour faire respecter les droits de ses membres (v. CEDH 6 févr. 1976). Elle retient que les États disposent en la matière d’une marge de manœuvre importante dans la mise en place de garanties visant à protéger les adhérents, ainsi que les conditions dans lesquelles ils peuvent effectivement adhérer à une association ou à un syndicat (v. CEDH 13 août 1981).
Cependant, elle constate que la loi islandaise, ainsi que le ministère de l’Économie — tutelle de la FII — n’ont pas délimité avec précision les pouvoirs de la FII, quant à l’utilisation de l’argent collecté. De plus, les industriels assujettis au paiement de la taxe n’ont aucun pouvoir de décision dans les orientations prises par la FII. Pour illustrer ce fait, elle pointe le décalage entre « l’opinion personnelle du requérant sur l’adhésion de l’Islande à l’union européenne » et la politique volontariste de la FII en faveur de cette adhésion. L’affaire doit donc être analysée à la lumière de l’article 9 de la Convention sur la liberté d’opinion, ce qui renforce l’exigence de garanties en terme de pouvoir décisionnel des contributeurs de la FII (§83).
En d’autres termes, la Cour reproche au gouvernement d’avoir contraint des industriels à subventionner un organisme qui, s’il est censé défendre leurs intérêts, dispose en fait d’un pouvoir décisionnel trop détaché de ses contributeurs pour justifier un financement par ces derniers. La liberté d’association suppose dès lors un lien entre les membres et l’association, une organisation décisionnelle qui donne la parole aux adhérents. Tel n’est pas le cas en l’espèce, et la Cour conclut à une violation de l’article 11 de la CEDH.
CEDH 27 avril 2010, Vördur Ōlafsson v. Iceland (uniquement en anglais)
Références
« Droits de l’Homme reconnus, définis et protégés juridiquement. On peut les classer en trois catégories :
1° Droits individuels, qui assurent à l’individu une certaine autonomie en face du pouvoir dans les domaines de l’activité physique (sûreté personnelle, liberté d’aller et venir, liberté et inviolabilité du domicile), de l’activité intellectuelle et spirituelle (liberté d’opinion, de conscience), de l’activité économique (droit de propriété, liberté du commerce et de l’industrie).
2° Droits politiques, qui permettent à l’individu de participer à l’exercice du pouvoir (droit de vote, éligibilité aux fonctions publiques). Les libertés de la presse, de réunion, d’association, qui débordent certes le domaine politique, peuvent être aussi des « libertés-opposition ».
3° Droits sociaux et économiques, qui sont le droit pour l’individu d’exiger de l’État certaines prestations (droit au travail, à l’instruction, à la santé) en même temps que des droits collectifs (droit syndical, droit de grève). »
Source : Lexique des termes juridiques 2010, 17e éd., Dalloz, 2009.
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 9 — Liberté de pensée, de conscience et de religion
« 1 Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.
2 La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Article 11 — Liberté de réunion et d'association
1 Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2 L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'État.
■ CEDH AP, 13 août 1981, Young, James and Webster v. the United Kingdom, Series A n° 44.
■ CEDH, 6 févr. 1976, Syndicat suédois des conducteurs de locomotives c. Suède.
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