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Libertés fondamentales - droits de l'homme
La liberté de critique du magistrat envers le politique et du professeur de droit….envers les magistrats !
Mots-clefs : Liberté d’expression, Magistrat, Professeur de droit, Ingérence
La liberté d’expression constitue « l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun » (CEDH 7 déc. 1976, Handyside c/ Royaume-Uni).
Si l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme définit le contenu du droit garanti, il précise également à quelles conditions des ingérences dans le droit à la liberté d’expression sont admissibles (Conv. EDH, art. 10 § 2).
Ainsi, l’ingérence doit :
– d’abord être prévue par la loi ;
– ensuite être « nécessaire dans une société démocratique », c’est-à-dire légitime, justifiée notamment par la protection de la réputation ou des droits d'autrui, ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.
La jurisprudence de la Cour montre que cette dernière interprète plus ou moins rigoureusement la légitimité des restrictions en fonction de la qualité des titulaires du droit à la liberté d’expression. Deux arrêts rendus le 27 mai 2014 permettent d’illustrer ce point concernant un haut magistrat et un professeur de droit.
Dans la première affaire, le président de la Cour suprême de justice hongroise (et ancien juge à la CEDH !) avait été révoqué pour avoir publiquement (par le biais de son porte-parole, de lettres ouvertes, de communiqués, d’un discours au Parlement…) critiqué différentes réformes législatives (fonctionnement du système judiciaire, indépendance et inamovibilité des juges et âge de départ à la retraite des juges). Excluant la thèse du gouvernement hongrois selon laquelle la cessation prématurée des fonctions ne résultait que de la restructuration de l’autorité judiciaire suprême, la Cour reconnaît que cette révocation a constitué une ingérence dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression. Or celle-ci ne peut passer pour justifiée pour les juges européens qui relèvent plusieurs points :
– les réformes au sujet desquelles le requérant a exprimé son opinion sont toutes des questions d’intérêt public ;
– le requérant avait, non seulement le droit mais aussi l’obligation, en sa qualité de président du Conseil national de la justice, d’exprimer son opinion sur des réformes législatives touchant la magistrature ( !) ;
– les fonctions du requérant ont pris fin trois ans et demi avant la fin de la durée de ses fonctions fixée par la législation en vigueur à la date de son élection, ce qui engendra de lourdes conséquences pécuniaires pour lui.
La crainte d’une telle sanction a pu exercer un « effet dissuasif » sur l’exercice de la liberté d’expression et en particulier dissuader les juges de formuler des critiques au sujet des institutions ou des politiques publiques.
La Cour relève, par ailleurs, que la cessation prématurée des fonctions n’a pas fait l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif par les juridictions hongroises.
La Cour en conclut donc que l'ingérence dans l'exercice du droit à la liberté d'expression a été disproportionnée et ne peut passer pour être nécessaire dans une société démocratique.
Dans la seconde affaire, un professeur de droit constitutionnel, un rédacteur en chef et un éditeur avaient publié dans une revue juridique un article critiquant la décision de la Cour constitutionnelle de dissoudre un parti politique pour non-respect de la laïcité, notamment au regard de la régularité de la décision, à la compétence des juges et à leur impartialité. Ils furent condamnés pour diffamation à verser des dommages-intérêts à trois des juges de la juridiction.
Pour conclure ici encore à la violation de l’article 10 Con v. EDH, la Cour estime que les juridictions nationales n’ont pas ménagé un juste équilibre entre les droits du requérant et la protection des droits d’autrui, en l’espèce, le droit pour les juges d’être protégés contre les injures.
Pour parvenir à cette conclusion, la Cour s’attache à la fois à la qualité de l’auteur de la critique et à celle de ceux qui la subisse. Concernant ces derniers, la Cour affirme que les juges, à l’instar des politiciens, ne sont pas à l’abri de la critique, laquelle est acceptable dans une limite plus large que pour les citoyens ordinaires sous réserve de ne pas basculer dans l’injure. La Cour reconnaît l’importance de protéger les juges contre des attaques personnelles gratuites.
S’agissant du titulaire du droit à liberté d’expression, en l’espèce un professeur de droit, la Cour souligne l’importance de la liberté académique et, en particulier, de la possibilité pour les universitaires d’exprimer librement leurs opinions, fussent-elles polémiques ou impopulaires, dans les domaines relevant de leurs recherches, de leur expertise professionnelle et de leur compétence. Elle s’attache également à la forme de la publication et observe que l’article a été publié dans une revue trimestrielle de droit et non dans un journal populaire.
La Cour reconnaît ainsi, comme elle le fait pour les journalistes, une faible marge d’appréciation des autorités nationales s’agissant des restrictions à la liberté d’expression des professeurs de droit.
CEDH 27 mai 2014, Baka c/ Hongrie, n°20261/12 et CEDH 27 mai 2014, Mustafa Erdogan et a. c/ Turquie, n° 364/04 et 39779/04
Références
■ CEDH 7 déc. 1976, Handyside c/ Royaume-Uni, n°5493/72.
■ Article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme - Liberté d’expression
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
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