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[ 12 octobre 2020 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

La liberté d’instruction : une liberté bientôt réduite ?

Dans son discours du 2 octobre 2020 sur le thème de la « lutte contre les séparatismes », le Président de la République a annoncé son intention de rendre obligatoire, dès la rentrée 2021, l’instruction à l’école pour tous les enfants dès trois ans et de limiter l’instruction à domicile aux impératifs de santé. La liberté d’instruction sera-t-elle bientôt amputée ?

■ Une liberté considérée comme un droit fondamental

Depuis la loi sur l’instruction obligatoire du 28 mars 1882, les parents sont libres de choisir le mode d’instruction de leurs enfants (à domicile, dans l’enseignement public ou dans l’enseignement privé sous contrat ou hors contrat d’association). 

C’est l’instruction qui est obligatoire et non la scolarisation. La loi Avenir de l'école du 23 avril 2005 définit l’instruction par « l'acquisition des instruments fondamentaux du savoir, des connaissances de base, des éléments de la culture générale et, selon les choix, de la formation professionnelle et technique et, d'autre part, l'éducation lui permettant de développer sa personnalité, son sens moral et son esprit critique, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, de partager les valeurs de la République et d'exercer sa citoyenneté» (art. L. 131-1-1).

Toutefois, si « l'instruction obligatoire peut être donnée soit dans les établissements ou écoles publics ou privés, soit dans les familles par les parents, ou l'un d'entre eux, ou toute personne de leur choix» (C. éduc., art. L. 131-2), l' «instruction obligatoire est assurée prioritairement dans les établissements d'enseignement» (C. éduc., art. L. 131-1-1, al. 2). C’est donc la scolarisation dans les établissements publics ou privés qui est la norme, l’instruction à domicile étant une exception au principe de l’enseignement, même si le droit de choisir l'instruction à donner aux enfants est un droit fondamental (CEDH 7 déc. 1976, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c/ Danemark, n° 5095/71; 5920/72; 5926/72). 

Cette liberté de choisir les modalités d’instruction d’un enfant est considérée comme le corollaire du principe de la liberté de l'enseignement : « le principe de la liberté de l'enseignement, qui figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, implique la possibilité de créer des établissements d'enseignement, y compris hors de tout contrat conclu avec l'État, tout comme le droit pour les parents de choisir, pour leurs enfants, des méthodes éducatives alternatives à celles proposées par le système scolaire public, y compris l'instruction au sein de la famille » (CE 19 juill. 2017, Assoc. les enfants d'abord, n° 406150). 

Même si l’instruction à domicile est, par exemple, interdite Allemagne ou en Grèce (V. CE, avis, 29 nov. 2018, Projet de loi pour une école de la confiance, n° 396047, § 12), la Cour européenne des droits de l'homme a déjà jugé que l'article 2 du protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales impliquait pour un État «le droit d'instaurer une scolarisation obligatoire, qu'elle ait lieu dans les écoles publiques ou au travers de leçons particulières de qualité et que la vérification et l'application des normes éducatives fait partie intégrante de ce droit» (Com. EDH 6 mars 1984, Famille H. c/ Royaume-Uni, n° 10233/83). 

Outre les textes du code de l’éducation relatifs à l’instruction à domicile (art. L. 131-1 s ; R. 131-12 s.), on retrouve notamment l’article 2 du protocole n° 1 précité, l’article 26 (§ 3) de la déclaration universelle des droits de l’homme, l’article 14 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Actuellement environ 50 000 enfants suivent l’instruction à domicile en France (soit 0,5 % des élèves de 3 à 16 ans). Il convient toutefois de rappeler que si ce chiffre a augmenté récemment, cela est notamment dû à l’abaissement de l’instruction obligatoire à l’âge de trois ans (et non plus 6 ans) depuis la rentrée de septembre 2019 (C. éduc., art. L. 131-1).

Si le législateur peut permettre l'instruction à domicile, il doit également déterminer les principales modalités de son contrôle dans le respect des principes constitutionnels et conventionnels (CE, avis, 29 nov. 2018, n° 396047, préc.). 

■ Une liberté encadrée

L’instruction à domicile est donnée «par les parents, ou l'un d'entre eux, ou toute personne de leur choix» (C. éduc., art. L. 131-2). Aucun diplôme particulier n'est requis pour assurer cet enseignement. Les parents doivent seulement en faire la déclaration au maire et à l'autorité de l'État compétente en matière d'éducation, cette dernière adresse une attestation d’instruction dans la famille. L'instruction à domicile ne peut être organisée que pour les enfants d'une seule famille (C. éduc, art. L. 131-10). Si des enfants d'au moins deux familles sont réunis pour un enseignement en commun, il s'agit d'un établissement de fait dont la situation est illégale ; faute de régularisation cette situation peut être sanctionnée.

■ Une liberté contrôlée

L'instruction dans la famille fait l'objet d'un contrôle administratif (enquête du maire établissant les raisons alléguées par les personnes responsables, C. éduc., art. L. 131-10, al. 1er) et d’un contrôle pédagogique. Pour ce dernier, l’inspecteur d’académie vérifie au moins une fois par an que l'instruction dispensée au même domicile l'est pour les enfants d'une seule famille et que l'enseignement assuré est conforme au droit de l'enfant à l'instruction (acquisition des instruments fondamentaux du savoir, des connaissances de base, des éléments de la culture générale, du sens moral de l’esprit critique…). Ce contrôle permet de s'assurer de l'acquisition progressive par l'enfant de chacun des domaines du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Il est organisé en principe, au domicile où l'enfant est instruit. Par ailleurs, l'autorité académique peut mettre en demeure les familles contrevenantes d’inscrire leurs enfants dans un établissement d’enseignement scolaire.

■ Un non-respect sanctionné

Absence de déclaration. Les parents qui ne déclarent pas en mairie l’instruction à domicile peuvent être punis d’une amende de 1 500 € (C. éduc., art. R. 131-18). 

Opposition de la famille au contrôle. Si les parents s’opposent au contrôle pédagogique, l’autorité compétente de l’éducation nationale fait un signalement au Procureur de la République. 

Non-respect de la mise en demeure de scolarisation. Si les parents à l'issue d’un second contrôle de l’autorité académique, sont mis en demeure d'inscrire leur enfant dans un établissement scolaire et refusent délibérément de le faire, ils s'exposent à une peine de 6 mois d'emprisonnement et de 7 500 € d'amende (C. pén., art. 227-17-1). 

Fausse déclaration. Lorsque des parents inscrivent leur enfant dans une école privée ouverte illégalement tout en déclarant lui donner une instruction à la maison, ils peuvent être condamnés à une peine d'1 an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende.

■ Une liberté bientôt amputée ?

L’annonce par le Président de la République de son souhait d’interdiction totale de l’instruction à domicile sauf pour motifs de santé à compter de la rentrée scolaire 2022 a provoqué la colère de parents adeptes de ce mode d’instruction (V. Fin de l’école à la maison : une atteinte aux libertés fondamentales ? ; Instruction à domicile limitée : « On attaque une liberté fondamentale ! »…) . Le Président assume cette orientation en indiquant que c’est « une décision, sans doute l’une des plus radicales depuis les lois de 1882 et celles assurant la mixité scolaire entre garçons et filles en 1969 ». 

Attendons le projet de loi présenté en Conseil des ministres le 9 décembre prochain et les futurs débats parlementaires...

Références

■ Code de l’éducation Dalloz 2021 

■ Protocole additionnel n° 1 du 20 mars 1952 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Art. 2 Droit à l'instruction. Nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction. L'État, dans l'exercice des fonctions qu'il assumera dans le domaine de l'éducation et de l'enseignement, respectera le droit des parents d'assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques.

■ Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948

Art. 26. 1. Toute personne a droit à l'éducation. L'éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental. L'enseignement élémentaire est obligatoire. L'enseignement technique et professionnel doit être généralisé ; l'accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite. 

2. L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix. 

3. Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants.

■ Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

Art. 14 Droit à l'éducation. 1. Toute personne a droit à l'éducation, ainsi qu'à l'accès à la formation professionnelle et continue.

 2. Ce droit comporte la faculté de suivre gratuitement l'enseignement obligatoire.

  3. La liberté de créer des établissements d'enseignement dans le respect des principes démocratiques, ainsi que le droit des parents d'assurer l'éducation et l'enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses, philosophiques et pédagogiques, sont respectés selon les lois nationales qui en régissent l'exercice.

■ CEDH 7 déc. 1976, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c/ Danemark, n° 5095/71; 5920/72; 5926/72

■ CE 19 juill. 2017, Assoc. les enfants d'abord, n° 406150

■ Com. EDH 6 mars 1984, Famille H. c/ Royaume-Uni, n° 10233/83

■ L'instruction à domicile : une survivance sous surveillance, Alexandre Desrameaux, AJDA 2009. 135

■ Circulaire relative à l’instruction dans la famille du 14 avril 2017

 

Auteur :Christelle de Gaudemont

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