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Droit des obligations
La loi des parties, limite à l’intervention du juge au nom de la bonne foi
Mots-clefs : Contrats et obligations, Exécution, Bonne foi, Intervention du juge, Limites
Si la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées permet au juge de sanctionner l’usage déloyal d’une prérogative contractuelle, elle ne l’autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenues entre les parties.
Un preneur commercial entend contester le mode de répartition des charges tel qu’il était prévu au contrat de bail en raison de l’occupation des lieux, en cours d’exécution du contrat, par un troisième locataire. Sa demande en restitution est accueillie en appel, les juges relevant l’anormalité du paiement par le locataire de charges qu’il n’aurait effectivement pas dû payer. La Cour de cassation censure alors sèchement cette décision pour violation de l’article 1134 du Code civil, les juges du fond pouvant en effet se voir reprocher à la fois une fausse application de l'article 1134 alinéa 3 et un refus d'application de l'alinéa 1er du même article.
Le message de la Haute cour est clair : seul l'alinéa 1er devait être appliqué, à l’exclusion du troisième ; le devoir de bonne foi dans l'exécution du contrat proclamé par le dernier alinéa de ce fameux article ne permet pas ici de contrecarrer la force obligatoire du contrat légalement formé proclamée dans le premier. Non pas que ceci ne puisse jamais se produire : il est bien connu que le contrôle, exercé sur le fondement de l'article 1134, alinéa 3, de la bonne foi dans la mise en œuvre des clauses résolutoires de plein droit, conduit à paralyser ces stipulations lorsqu'elles sont invoquées de mauvaise foi (v. not., Civ. 1re, 31 janv. 1995). Mais la chambre commerciale entend ici rappeler la limite nécessaire aux potentialités correctrices de cet alinéa : « si la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle », énonce la Haute juridiction, « elle ne l'autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et obligations convenus entre les parties » (v. déjà, Com. 10 juill. 2007).
Sanctionner la mauvaise foi en paralysant une clause résolutoire de plein droit, voire en octroyant des dommages-intérêts, voilà qui est admissible. Mais en venir à porter atteinte aux droits et obligations légalement convenus entre les parties, comme l'avait fait la cour d'appel en déniant au bailleur le droit de se prévaloir des clauses du contrat relatives au mode de calcul des charges, voilà qui ne l'est pas. Il n'est pas exclu que la distinction entre « prérogative contractuelle », dont l'usage déloyal peut être sanctionné, et « substance même des droits et obligations » des parties, à laquelle la règle de l'exécution de bonne foi ne permet pas de porter atteinte puisse parfois se révéler délicate à manier, tant du moins que les contours de la notion de prérogative contractuelle n'auront pas été exactement définis. Il y aurait donc une « substance contractuelle » distincte des « prérogatives contractuelles » : la première n'est autre que le cœur de la créance elle-même, son objet, son économie ; les secondes, renvoyant aux droits subjectifs, constitueraient les accessoires de la créance, droits contractuels ramenés au rang d'accessoires des droits contractuels substantiels. Prenons le cas, par exemple, d’une obligation principale assortie d’une clause pénale : l'usage abusif de l'obligation principale ne saurait atteindre sa substance mais pourrait paralyser le jeu de la clause, prérogative accessoire à l’obligation principale.
En l’espèce, pourtant, l’obligation, dont la substance ne devait être touchée, paraît bien accessoire au contrat, la clause relative à la répartition des charges n’ayant trait à aucune des obligations principales du contrat de bail commercial. En vérité, la cassation se trouve ici justifiée par la volonté, déjà exprimée en 2007, de cantonner le rôle dévolu au contrôle de la bonne foi contractuelle. L'alinéa 3 de l'article 1134 ne concerne plus que la manière d'exécuter l'obligation, il ne permet plus de créer ou de révéler des obligations nouvelles ni d'élargir le contenu, la portée des obligations existantes, encore moins d'en supprimer. Le contenu du contrat et sa force obligatoire relèvent donc du seul alinéa 1er de l'article 1134, et éventuellement de l'article 1135, mais plus du troisième alinéa, qui semble désormais exclusivement affecté à la sanction des mauvaises manières contractuelles. Ce rôle exprime peut-être l'avènement progressif d'une nouvelle forme de déontologie contractuelle qui s’imposerait aux parties comme au juge, dont le recours parfois jugé excessif à la notion de bonne foi ne doit jamais conduire à dénaturer la loi des parties.
Civ. 1re, 26 mars 2013, n°12-14.870
Références
Code civil
« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi. »
« Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature. »
■ Civ. 1re, 31 janv. 1995, n°92-20.654, D. 1995. 230.
■ Com. 10 juill. 2007, n°06-14.768, RTD civ. 2007. 773.
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