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[ 9 janvier 2014 ] Imprimer

Droit pénal des affaires

La loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière passée au filtre du Conseil constitutionnel

Mots-clefs : Fraude fiscale, Garde à vue, Peine, Personne morale, Administration fiscale

La loi adoptée le 5 novembre 2013 a été immédiatement déférée au Conseil constitutionnel par plus de 60 sénateurs. Dans sa décision, le Conseil a censuré certaines dispositions, en a validé d’autres.

De cette décision relativement longue, seule une présentation rapide des aspects intéressants la matière pénale sera faite. Les dispositions jugées conformes seront simplement citées pour pouvoir examiner plus en détail les dispositions déclarées non conformes.

▪ Conformité.- Ont été ainsi notamment déclarées conformes à la Constitution, la disposition relative à l’action des associations agréées de lutte contre la corruption (C. pr. pén., art. 2-23), l’extension du régime des « repentis » (prévu à l’art. 132-78 C. pr. pén.) aux délits de blanchiment, corruption et trafic d’influence, l’allongement des circonstances aggravantes du délit de fraude fiscale et l’aggravation de la peine maximum pour fraude fiscale aggravée (CGI, art. 1741), la limitation des pouvoirs de transaction sur les pénalités fiscales de l’administration (LPF, art. L 247) ; l’instauration du procureur de la République financier et de compétences particulières au profit du TGI de Paris (C. pr. pén., art. 705 à 705-4) pour la poursuite, l’instruction et le jugement de certains délits en matière économique et financière d’une grande complexité.

▪ Censure.- Parmi les dispositions censurées, l’article 3 de la loi relatif l’instauration d’un nouveau maximum des peines d’amende encourues par les personnes morales en matière criminelle ou délictuelle est particulièrement intéressant. Le projet de loi visait à modifier l’article 131-38 du Code pénal en augmentant le montant du maximum encouru et en introduisant en droit pénal la possibilité d’une amende proportionnelle au chiffre d’affaires. Dans sa version actuelle, le Code pénal prévoit que « Le taux maximum de l’amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l’infraction. Lorsqu’il s’agit d’un crime pour lequel aucune peine d’amende n’est prévue à l’encontre des personnes physiques, l’amende encourue par les personnes morales est de 1 000 000 euros ».

La loi déférée au Conseil ajoutait deux alinéas instaurant une alternative :

« – s’il s’agit d’un crime ou d’un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect, le critère de calcul alternatif du maximum de l’amende est le « dixième du chiffre d’affaires moyen annuel de la personne morale prévenue, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits ».

– s’il s’agit d’un crime pour lequel aucune peine d’amende n’est prévue à l’encontre des personnes physiques et ayant procuré un profit direct ou indirect, le critère de calcul alternatif du maximum de l’amende est le « cinquième du chiffre d’affaires moyen annuel de la personne morale accusée, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits ».

Passé aux fourches caudines de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme, cette nouvelle disposition succombe sous l’exigence de proportionnalité des peines. Selon le Conseil, le nouveau mode de calcul du quantum des peines délictuelles et criminelles, fondé uniquement sur leurs capacités financières, est contraire au principe de proportionnalité des peines. Si le critère d’une amende calculée en pourcentage du chiffre d’affaires n’est pas, en lui-même, inconstitutionnel (Cons. const. 12 oct. 2012, Société Groupe Canal Plus et autre), en l’espèce, il n’existe pas de lien entre sanction et infraction et du fait de la généralité des infractions visées, la sanction est donc inadéquate et ne permet pas d’évaluer sa proportionnalité.

Selon les Sages, « le législateur a retenu un critère de fixation du montant maximum de la peine encourue qui ne dépend pas du lien entre l’infraction à laquelle il s’applique et le chiffre d’affaires et est susceptible de revêtir un caractère manifestement hors de proportion avec la gravité de l’infraction constatée ».

On relèvera, également, la censure des dispositions modifiant les conditions dans lesquelles l’administration fiscale ou douanière peut demander au juge des libertés et de la détention (JLD) l’autorisation de procéder à des visites domiciliaires sur le fondement de toute information qu’elle qu’en soit l’origine (LPF, art. L. 10-0 AA ou C. douanes, art. 67 E). Rappelant que « la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration de 1789 implique le droit au respect de la vie privée et, en particulier, de l’inviolabilité du domicile » (Cons. const. 29 nov. 2013, Société Wesgate Charters Ltd), le Conseil a jugé que le législateur, avait méconnu ces exigences en l’espèce. Les garanties prévues — autorisation des visites domiciliaires par le JLD, prise en compte exceptionnelle des documents, pièces ou informations et utilisation de ces informations «proportionnée à l’objectif de recherche et de répression des infractions prévues » — ne sont pas suffisantes pour garantir le droit au respect de la vie privée et, en particulier, l’inviolabilité du domicile. Le Conseil sanctionne le fait de permettre au juge d’autoriser l’administration à procéder à des visites domiciliaires sur le fondement de documents quelle que soit leur origine, même illégale.

Enfin, si la possibilité de recourir en matière de fraude fiscale aux techniques spéciales d’enquête ou d’instruction réservées à la criminalité organisée et à la grande délinquance économique et financière (C. pr. pén., art. 706-1-1) est déclarée conforme à la Constitution, les Sages refusent en revanche la possibilité de recours à une garde à vue de 96 heures permettant le report de l’avocat à la 48e heure (C. pr. pén., art. 706-88). Selon ces derniers, les infractions de corruption, trafic d’influence et fraude fiscale « constituent des délits qui ne sont pas susceptibles de porter en eux-mêmes à la sécurité, à la dignité, ou à la vie des personnes », une garde à vue dérogatoire constitue donc une atteinte à la liberté individuelle et aux droits de la défense non proportionnée au but poursuivi.

Cons. const. 4 déc. 2013, n°2013-679 DC

Références

■ Cons. const. 12 oct. 2012, n° 2012-280 QPC, Société Groupe Canal Plus et autre.

■ Cons. const. 29 nov. 2013, n° 2013-357 QPC, Société Wesgate Charters Ltd.

■ Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789

Article 2

« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. »

Article 8

« La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »

 

Auteur :C. L.

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