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Droit de la consommation
La mauvaise foi du consommateur chasse l’abus du professionnel
N’est pas abusive la clause conférant au professionnel le droit de résilier unilatéralement et sans préavis le contrat valablement exécuté par le consommateur dès lors que ce dernier l’a souscrit de mauvaise foi.
Civ. 1re, 20 janv. 2021, n° 18-24.297
Consubstantielle au droit des clauses abusives, la protection des droits du consommateur, que l’on sait rigoureuse au point d’être souvent jugée excessive, n’exonère pas ce dernier de l’obligation générale de bonne foi : un comportement contraire à cette obligation le prive du droit de prétendre au bénéfice de la protection contre l’abus, même avéré, de la clause considérée. Tel est l’enseignement de l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 20 janvier dernier.
Une banque avait accepté de conclure un prêt immobilier en réponse à une offre que lui avait adressé un couple de particuliers. Parmi les conditions générales du contrat que la banque leur avait, à la suite de son acceptation, fait souscrire, figurait un article conférant à cette dernière le droit de rendre le prêt exigible par anticipation au cas où l’emprunteur lui aurait fourni des renseignements inexacts sur sa situation et déterminants de son consentement, sans avoir, de surcroît, à accomplir quelconque formalité. Or, reprochant aux emprunteurs d’avoir produit de faux relevés de compte à l’appui de leur demande de financement, la banque s’était prévalue de cet article pour prononcer la déchéance du terme du prêt et assigner les emprunteurs en remboursement.
La cour d’appel accueillit sa demande, après avoir exclu le caractère abusif dudit article. Les emprunteurs se sont pourvu en cassation pour dénoncer, sur le fondement des articles L. 212-1 et R. 212-2, 4° du Code de la consommation, le caractère abusif de la disposition litigieuse, se réclamant d’une part de la présomption simple d’abus établie par décret des clauses ayant pour objet ou pour effet de « reconnaître au professionnel la faculté de résilier le contrat sans préavis d’une durée raisonnable » et, d’autre part, du déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, caractéristique de la notion légale de clause abusive et en l’espèce constitué par le droit reconnu au prêteur de prononcer unilatéralement la déchéance du terme et, ainsi, de rendre immédiatement exigibles les sommes dues au seul motif de la fourniture de renseignements inexacts sur la situation de l’emprunteur, cette stipulation s’appliquant donc même en l’absence de toute défaillance de ’emprunteur dans le remboursement du prêt (ce qui était d’ailleurs le cas en l’espèce) et sans que l’emprunteur ait été mis en mesure de s’expliquer au préalable sur cette cause de déchéance. Selon les demandeurs, la teneur de cette clause devait la rendre, au regard des dispositions légales et réglementaires applicables, abusive. Au surplus, ils développaient l’argument moins habituel que celui tiré de la dénonciation de l’abus de la clause attaquée, selon lequel la sanction du caractère abusif d’une clause ne saurait être neutralisée par le devoir de loyauté ou de bonne foi pesant sur le consommateur au titre du droit commun des obligations, d’autant moins que le manquement qui leur était reproché, commis au stade de la formation du contrat ne pouvait alors, en vertu du droit commun, fonder la résiliation du contrat qui ne peut sanctionner que l’inexécution d’une obligation issue de celle-ci.
La Cour de cassation rejette tout à tout chacun des arguments avancés, considérant que « l’arrêt relève que la stipulation critiquée limite la faculté de prononcer l’exigibilité anticipée du prêt aux seuls cas de fourniture de renseignements inexacts portant sur des éléments déterminants du consentement du prêteur dans l’octroi du prêt et ne prive en rien l’emprunteur de recourir à un juge pour contester l’application de la clause à son égard. Il ajoute qu’elle sanctionne la méconnaissance de l’obligation de contracter de bonne foi au moment de la souscription du prêt » (pt. 4). Elle en conclut que, « de ces constatations et énonciations, la cour d’appel, qui a implicitement mais nécessairement retenu que la résiliation prononcée ne dérogeait pas aux règles de droit commun et que l’emprunteur pouvait remédier à ses effets en recourant au juge, a déduit, à bon droit, que, nonobstant son application en l’absence de préavis et de défaillance dans le remboursement du prêt, la clause litigieuse, dépourvue d’ambiguïté et donnant au prêteur la possibilité, sous certaines conditions, de résilier le contrat non souscrit de bonne foi, ne créait pas, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties » (pt. 5).
Contraire à l’esprit du droit des clauses abusives, hostile par principe à l’unilatéralité des prérogatives contractuelles du professionnel, comme à la lettre du texte de l’article R. 212-2, 4°, du Code de la consommation présumant l’abus de la clause conférant au professionnel la faculté de résilier le contrat « sans préavis d’une durée raisonnable », la solution rapportée, évinçant l’abus d’une stipulation prévoyant, au-delà de ce qui est proscrit, l’absence pure et simple de préavis suscite, dans un premier mouvement, un légitime étonnement. Cependant, après un plus ample examen du dispositif applicable, la solution s’explique naturellement. En effet, l’ensemble des sources du droit des clauses abusives s’accorde à admettre qu’une stipulation revêtant a priori un caractère abusif peut être justifiée par l’existence d’un motif légitime dont le professionnel peut se prévaloir pour mettre en œuvre, sans encourir de sanction, une stipulation a priori prohibée. Cette concession favorable au professionnel trouve un premier fondement dans la directive originelle du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, dont l’annexe prévoit déjà de tempérer la prohibition des clauses ayant pour objet ou pour effet « d’autoriser le professionnel à mettre fin sans un préavis raisonnable à un contrat à durée indéterminée » par la justification d’un « motif grave » (pt. g). De manière moins directe, l’article L. 132-1 du Code de la consommation précise également, in fine, que le caractère abusif d’une clause s’apprécie en se référant au moment de la conclusion du contrat « à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion », ouvrant ainsi la voie à la prise en compte d’événements justificatifs de l’abus. La synthèse de la jurisprudence et des recommandations de la Commission des clauses abusives fait également apparaître que le déséquilibre significatif résulte à la fois de ce que la prérogative détenue par le professionnel n’a ni contrepartie, ni motif légitime (v. not. en matière de crédit à la consommation, Civ. 1re, 23 nov. 2003, n° 01-18.021; Civ. 1re, 2 févr. 2005, n° 03-19.692). L’importance et la concordance de la production normative du juge et de l’autorité de contrôle des clauses abusives renforcent la portée de la règle déjà consacrée selon laquelle l’existence d’un motif légitime peut justifier certaines clauses a priori proscrites. Ce contrôle de la légitimité du motif intègre donc celui de l’abus dont il influence naturellement l’appréciation : « le caractère injustifié ou justifié de la prérogative unilatérale conférée au professionnel influe sur le caractère abusif ou non de la clause qui l’organise » ( C.-L. Péglion-Zika, La notion de clause abusive. Étude de droit de la consommation, préf. L. Leveneur, LGDJ, t. 585, 2018, n° 452). Soutenue par un motif légitime, l’unilatéralité de la prérogative contenue dans la clause suspectée se trouve ainsi justifiée. Cette légitimité chasse l’abus dont la clause était a priori entachée.
En l’occurrence, la fourniture par le consommateur de fausses informations sur sa situation, déterminantes du consentement du prêteur à contracter, constituait de toute évidence un motif légitime justifiant la clause de résiliation unilatérale du prêt sans préavis. Autrement dit, la mauvaise foi du consommateur faisait ainsi perdre à la clause son caractère abusif. Et son rédacteur avait dès lors, comme les textes le lui permettent, renversé la présomption d’abus prévue par les mêmes dispositions (C. consom., art. R. 212-2 ; v. égal. C. consom., art. L. 212-2, al. 5 : « en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse »), ce que les juges du fond avaient à tort omis de relever pour écarter l’abus.
La bonne foi du consommateur semble ainsi intégrer le champ de l’ensemble des circonstances nécessaires à l’appréciation du caractère abusif d’une clause, et son absence constituer en soi un motif légitime susceptible de justifier, le cas échéant, l’abus contenu dans une stipulation dont l’application aurait dû en conséquence être écartée. Cette conclusion tempère le préjugé, certes souvent vérifié, d’une protection quasi absolue accordée par le droit spécial de la consommation à celui désigné comme la « partie faible au contrat ». La notion générale et transversale de bonne foi apporte une limite opportune à cette politique protectrice dont les excès peuvent à regret conduire à masquer les bienfaits (Dans le même sens, v. aussi, C. consom., art. L. 711-1, al. 1er : « Le bénéfice des mesures de traitement des situations de surendettement est ouvert aux personnes physiques de bonne foi »).
Références :
■ Civ. 1re, 23 nov. 2003, n° 01-18.021
■ Civ. 1re, 2 févr. 2005, n° 03-19.692 P: D. 2005. 565, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2836, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2005. 393, obs. J. Mestre et B. Fages ; RTD com. 2005. 825, obs. B. Bouloc
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