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Droit du travail - relations individuelles
La messagerie instantanée personnelle échappe à la surveillance patronale…
WhatsApp, Snapchat, MSN messenger…, il existe de multiples messageries qui permettent d’échanger rapidement avec ses amis. En quelques clics, le logiciel peut être installé sur l’ordinateur professionnel et le salarié peut alors discrètement poursuivre sa discussion au temps et lieu de travail sans avoir à sortir son propre smartphone.
L’employeur peut-il alors valablement contrôler le contenu des messages échangés et licencier un salarié en s’appuyant sur le contenu de ses conversations ? Sans grande surprise, la Cour de cassation, dans son arrêt du 23 octobre 2019, confirme que l’employeur est tenu par le secret des correspondances personnelles du salarié et que la preuve obtenue de manière illicite doit être écartée des débats.
En l’espèce, une secrétaire utilise MSN Messenger installé sur l’ordinateur professionnel pour échanger avec une collègue de travail. Elle prend soin toutefois de configurer la messagerie instantanée avec une adresse mail personnelle distincte de la messagerie professionnelle dont elle dispose pour les besoins de son activité. Un jour, son responsable accède à son ordinateur et repère des extraits de conversation. Outre des discussions ayant trait à la vie privée de la salariée, il découvre que celle-ci transmet des documents de l’entreprise à l’une de ses collègues, en particulier les bulletins de paie de ses collègues. Dans un des messages, elle indique « qu'il serait cool de suivre tous les mois l'évolution du salaire, des primes et les heures supplémentaires » d’une autre collègue... Nul doute que le comportement reproché à la salariée se rattache à sa vie professionnelle et constitue une faute disciplinaire. Le bulletin de salaire comprend des données personnelles. Avec l’adoption du règlement général sur la protection des données (RGPD 2016/679), l’employeur, en tant que responsable du traitement, doit veiller à la sécurité de ces données. La salariée, en communiquant des données à des tiers non autorisés pouvait donc valablement être sanctionnée. La difficulté juridique portait sur la preuve de ce comportement fautif. L’employeur pouvait-il lire les conversations échangées via la messagerie instantanée puis en faire des copies pour établir la faute ? La solution dépendait de la qualification à donner aux messages litigieux.
Selon une jurisprudence constante, l’employeur peut librement prendre connaissance des fichiers ou messages professionnels (Soc. 18 oct. 2011, n° 10-26.782). La Cour de cassation a par ailleurs simplifié le contrôle patronal en affirmant que tout message émanant de la messagerie professionnelle est présumé professionnel, sauf si le salarié a pris le soin de l’identifier comme privé et la CEDH, dans son arrêt Libert c/ France, a globalement validé ce raisonnement (CEDH 22 févr. 2018, n° 588/13). Plusieurs arrêts ont marqué une tendance à l’extension de cette présomption. Ainsi, dans une affaire un peu analogue à celle commentée, une salariée avait enregistré sur une clé USB personnelle des documents confidentiels concernant l’entreprise. La Cour de cassation estima que cette clé, en étant connectée à l’ordinateur professionnel, devait être présumée utilisée à des fins professionnelles de sorte que l'employeur pouvait avoir accès aux fichiers non identifiés comme personnels qu'elle contenait, hors la présence du salarié (Soc. 12 févr. 2013, n° 11-28.649). Il en fût de même pour des SMS envoyés ou reçus par le salarié au moyen du téléphone mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail (Com. 10 févr. 2015, n° 13-14.779). De même des courriels intégrés dans le disque dur de l'ordinateur professionnel ne sont pas identifiés comme personnels du seul fait qu'ils émanent initialement de la messagerie électronique personnelle du salarié (Soc. 19 juin 2013, n° 12-12.138). Ainsi, en l’espèce, l’employeur prétendait que l’application MSN Messenger étant installée sur l’ordinateur professionnel, les messages échangés devaient être réputés professionnels. Partant, il estimait pouvoir les lire sans avoir à en informer la salariée à l’avance. Les juges du fond réfutent pourtant l’argument. La Cour de cassation, procédant à un contrôle plein et entier, approuve leur raisonnement. Reprenant une solution déjà énoncée en 2016 (Soc. 26 janv. 2016, n° 14-15.360), la Cour régulatrice opère une distinction selon le type de messagerie. S’il s’agit d’un compte professionnel, alors l’employeur peut accéder aux messages exceptés ceux identifiés comme personnel. En revanche, lorsque comme en l’espèce, le message provient d’une boite électronique personnelle, il est couvert par le secret des correspondances. Le moyen d’accès au serveur (ordinateur ou smartphone professionnel) n’a aucune incidence sur le raisonnement. La solution n’est pas surprenante et ne doit pas être perçue comme laissant l’employeur complètement démuni. Il aurait dû saisir le juge compétent pour obtenir une mesure d’instruction in futurum. Le respect de la vie privée du salarié ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du Code de procédure civile dès lors que le juge constate que les mesures qu'il ordonne procèdent d'un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées (Soc. 23 mai 2007, n° 05-17.818). Un huissier aurait donc pu être diligenté pour identifier, au sein de la messagerie personnelle, les messages établissant l’attitude fautive d’un salarié (Civ. 1re, 20 sept. 2017, n° 16-13.082).
La situation aurait-elle été plus simple pour l’employeur s’il avait eu la prudence d’interdire l’utilisation de l’ordinateur professionnel à des fins personnelles ? On songe bien évidement à l’arrêt de la grande chambre de la CEDH Barbulescu c/ Roumanie (5 sept. 2017) mettant en cause un ingénieur roumain qui avait ouvert un compte de messagerie instantanée à la demande de son employeur mais s’en était servi pour communiquer avec ses proches alors que l’employeur le lui avait interdit. L’employeur avait là encore fait une copie des conversations du salarié. La grande chambre avait conclu à une violation de sa vie privée car le salarié n’avait pas été informé à l’avance de la nature et de l’étendue de la surveillance menée sur sa messagerie. Autrement dit, l’interdiction pure et simple de la messagerie à des fins personnelles ne saurait justifier l’atteinte à la vie privée.
Soc. 23 octobre 2019, n° 17-28.448
Références
■ Soc. 18 oct. 2011, n° 10-26.782 : D. 2012. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta
■ CEDH 22 févr. 2018, Libert c/ France, n° 588/13 : D. 2018. 1291, et les obs., note J.-P. Marguénaud et J. Mouly ; ibid. 2019. 157, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; JA 2018, n° 577, p. 42, étude D. Castel ; Dr. soc. 2018. 455, étude B. Dabosville ; Dalloz IP/IT 2018. 511, obs. G. Péronne et E. Daoud
■ Soc. 12 févr. 2013, n° 11-28.649 P : D. 2013. 513 ; ibid. 1026, obs. P. Lokiec et J. Porta ; ibid. 1768, chron. P. Flores, S. Mariette, F. Ducloz, E. Wurtz, C. Sommé et A. Contamine ; ibid. 2802, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon ; RDT 2013. 339, obs. M. Nord-Wagner ; RTD civ. 2013. 574, obs. J. Hauser
■ Com. 10 févr. 2015, n° 13-14.779 P : D. 2015. 959, note J. Lasserre Capdeville ; ibid. 2016. 167, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; Just. & cass. 2017. 143, avis P. Mollard ; ibid. 143, avis P. Mollard ; ibid. 143, avis P. Mollard ; ibid. 153, avis R. Weissmann ; ibid. 153, avis R. Weissmann ; ibid. 153, avis R. Weissmann ; RDT 2015. 191, obs. P. Adam ; D. avocats 2015. 158, obs. F. Taquet
■ Soc. 19 juin 2013, n° 12-12.138 P : D. 2013. 1629 ; ibid. 2802, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon ; RDT 2013. 708, obs. M. Nord-Wagner
■ Soc. 26 janv. 2016, n° 14-15.360 P : D. 2016. 320 ; ibid. 807, obs. P. Lokiec et J. Porta ; ibid. 2018. 138, obs. J.-F. Renucci ; JA 2016, n° 535, p. 11 et les obs. ; RDT 2016. 421, obs. S. Michel
■ Soc. 23 mai 2007, n° 05-17.818 P : D. 2007. 1590, obs. A. Fabre ; Dr. soc. 2007. 951, chron. J.-E. Ray ; RTD civ. 2007. 637, obs. R. Perrot
■ Civ. 1re, 20 sept. 2017, n° 16-13.082
■ CEDH, gr. ch., 5 sept. 2017, Barbulescu c/ Roumanie, n° 61496/08 : AJDA 2017. 1639 ; ibid. 2018. 150, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2017. 1709, et les obs. ; ibid. 2018. 138, obs. J.-F. Renucci ; ibid. 1033, obs. B. Fauvarque-Cosson et W. Maxwell ; ibid. 2019. 157, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; JA 2017, n° 568, p. 40, étude J. Marfisi ; Dr. soc. 2018. 455, étude B. Dabosville ; Dalloz IP/IT 2017. 548, obs. E. Derieux
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