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Droit des obligations
La mise en demeure n’interrompt pas la prescription extinctive
L’énumération des causes légales d’interruption de la prescription étant limitative, la mise en demeure, qui n’en fait pas partie, ne peut interrompre le délai de prescription d’une action en paiement d’une créance de loyers, fût-elle envoyée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.
Com. 18 mai 2022, n° 20-23.204 B
Entremêlant droit judiciaire privé et droit des obligations, la décision rapportée procède à l’utile rappel d’une règle trop souvent méconnue malgré sa grande importance pratique : la mise en demeure n’est pas une cause d’interruption de la prescription extinctive. Rappelons à ce titre l’effet décisif de l’interruption de la prescription : contrairement à sa simple suspension, qui arrête temporairement le cours du délai sans effacer celui déjà écoulé, l’interruption efface rétroactivement le temps déjà couru pour refaire courir un nouveau délai, égal à celui qui était en cours avant d’être interrompu (Fr. Terré, Ph. Simler, Y. Liquette et Fr. Chênaie, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, nos 1787 s.).
Ainsi, postérieurement au fait interruptif, la prescription recommence à courir, le délai repart de zéro, la période antérieure n’étant pas comptabilisée. On comprend donc l’intérêt de l’énumération légale des causes d’une telle interruption que renforce, par le refus de procéder à son extension, la solution rapportée. Parfois contestée en doctrine (A. Bénabent, « Sept clés pour une réforme de la prescription extinctive », D. 2007. 1800, spéc. n° 23) et souvent ignorée en pratique, la solution ici confirmée selon laquelle la mise en demeure n’interrompt pas la prescription extinctive (v. déjà, Com., 13 oct. 1992, 91-10.066) revêt ainsi une importance certaine, justifiant sa publication aux très sélectives Lettres de chambres.
Au cas d’espèce, à la suite de deux mises en demeure vainement délivrées le 27 avril 2011 puis le 3 avril 2013, un créancier assigne le 12 octobre 2016 son débiteur en paiement de loyers impayés depuis le 1er janvier 2011. Le preneur lui oppose la prescription de son action concernant les loyers échus antérieurement au 12 octobre 2011, soit cinq ans avant l’assignation introductive. La Cour d’appel rejette cette fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande et juge en conséquence le bailleur recevable à agir en paiement des loyers au motif qu'au jour de la délivrance de l'assignation, soit le 12 octobre 2016, la prescription quinquennale en l’espèce applicable n'était pas acquise du fait des deux interruptions produites par l’envoi des mises en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception.
Devant la Cour de cassation, le preneur fait valoir la règle selon laquelle la mise en demeure du débiteur n'interrompt pas la prescription. La cassation de la décision des juges du fond est logiquement prononcée : « une mise en demeure, fût-elle envoyée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, n'interrompt pas le délai de prescription de l'action en paiement des loyers ». La Cour justifie cette solution par le caractère limitatif de l’énumération légale des causes interruptives de la prescription prévue par le Code civil : demande en justice, même en référé (C. civ., art. 2241), mesures conservatoires et actes d’exécution forcée (art. 2244), reconnaissance du débiteur (art. 2240).
Ainsi aucun texte ne fait de la mise en demeure un acte interruptif de prescription. Et si la mise en demeure est généralement présentée comme le préalable indispensable à l’introduction d’une action en justice, elle ne saurait, sauf à dénaturer les textes, être assimilée à une « demande en justice » interruptive de la prescription puisque, par définition, elle ne vise pas à saisir le juge, comme le permet le recours à l’assignation. Sauf pour les parties à être convenues que la prescription pourra être interrompue autrement que pour les causes légalement prévues, ainsi que l’autorise l’article 2254 du Code (« Les parties peuvent également, d’un commun accord, ajouter aux causes de suspension ou d’interruption de la prescription prévues par la loi »), la liste légale est donc exhaustive.
La Cour de cassation refuse en effet, de manière catégorique, d’y ajouter la mise en demeure, même « par lettre recommandée avec demande d’avis de réception » (comp., Com., 13 oct. 1992, préc.). Bien que ces formalités d’envoi aient été avancées à l’occasion de la dernière réforme de la prescription civile pour déroger à la règle ici rappelée, la proposition d’ériger la mise en demeure par lettre recommandée en cause autonome d’interruption de la prescription, en ce qu’elle manifesterait avec une univocité suffisante la volonté du créancier d’exercer son droit (A. Bénabent, « Sept clés pour une réforme de la prescription extinctive », D. 2007. 1800, spéc. n 23), n’a toutefois pas été retenue par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription extinctive. Puisque la prescription ne peut donc être interrompue que pour les causes légales énumérées par le Code civil et que la mise en demeure, quelle que soit sa forme, n’en fait pas partie, quelles voies restent ouvertes au créancier désireux d’interrompre le cours de la prescription ?
D’une part, veiller à introduire dans les plus brefs délais l’action en justice, « même en référé », comme prend soin d’ajouter la chambre commerciale. Les avocats doivent alors garder à l’esprit que la mise en demeure n’étant qu’un prélude à l’action judiciaire, elle reste, avant l’introduction de l’action, sans effet sur le cours de la prescription. D’autre part, stipuler une clause érigeant la mise en demeure en cause d’interruption de la prescription extinctive, dont la validité semble admise (C. civ., art. 2254) sauf dispositions spéciales contraires (v. par ex. C. consom., art. L. 218-1).
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