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[ 9 janvier 2018 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

La neutralisation exceptionnelle de la primauté de la norme de l’Union

Mots-clefs : Principe de légalité des délits et des peines, TVA, Fraude, Sanction, Primauté, Standards nationaux

L’incompatibilité constatée d’une législation nationale avec le droit de l’Union implique que le juge national écarte cette règle au regard du principe de primauté afin de garantir l’effectivité du droit de l’Union. La Cour de justice reconnait cependant que cette obligation s’efface devant le respect du principe de légalité des délits et des peines qui constitue un standard national de protection et qui est par ailleurs énoncé à l’article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE.

Le principe de primauté est un principe inhérent à l’ordre juridique de l’Union européenne dont la portée est quasiment absolue. Ce principe n’est remis en cause que dans de très rares hypothèses, soit temporairement avec l’application de mesures provisoires par le juge national en attente d’une décision au fond pour préserver les intérêts des requérants (CJCE 9 nov. 1995, Atlanta, n° C-465/93), soit définitivement afin de respecter le principe de l’autorité de la chose jugée (CJCE 16 mars 2006, Kapferer, n° C-234/04). Dans toutes les autres hypothèses, il revient au juge national de garantir l’effectivité du droit de l’Union en écartant la norme nationale contraire conformément à au mécanisme de résolution des conflits de normes que constitue le principe de primauté (CJCE 9 mars 1978, Simmenthal, n° 106/77). 

Or cet arrêt identifie une nouvelle situation dans laquelle le principe de primauté peut être neutralisé, celle où est en jeu le respect du principe de légalité des délits et des peines.

Dans cette affaire, la Cour avait été saisie d’une question préjudicielle par le juge italien qui devait se prononcer sur des poursuites pénales à l’encontre de deux ressortissants ayant fraudé en matière de TVA. Au sein de l’Union, la TVA est un sujet sensible étant donné qu’une partie de celle-ci constitue une ressource propre de l’Union, impliquant que les États la collectent avec la plus grande rigueur et lutte de manière efficace contre la fraude conformément à l’article 325 TFUE. La Cour l’avait d’ailleurs rappelé dans un arrêt récent à l’égard de l’Italie. En effet dans l’arrêt Taricco (CJUE, gr. ch., 8 sept. 2015, n° C-105/14), la Cour avait jugé que la loi italienne sur la prescription des délits en matière de TVA allait à l’encontre des obligations figurant à l’article 325 TFUE et devait ainsi être écartée. En effet le calcul de la prescription empêchait les poursuites dans certains cas et ainsi le prononcé de sanctions effectives et dissuasives pour protéger les intérêts financiers de l’Union. Cependant, remettre en cause cette loi sur la prescription c’était également porter atteinte au principe de la légalité des délits et des peines.

Ainsi la Cour était confrontée au respect de deux exigences contradictoires, d’une part, celui du respect du droit primaire concernant l’obligation de protéger les intérêts financiers de l’Union, imposant d’écarter la règle nationale sur le délai de prescription et, d’autre part, le respect du principe de légalité des délits et des peines, droit figurant à l’article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Si cette référence à la Charte semble conduire à une conciliation entre deux normes du droit de l’Union, en réalité il s’agit bien de prendre en considération des standards nationaux de protection, ayant une incidence sur la portée du droit de l’Union. 

La solution de la Cour de justice conduit à une neutralisation de la primauté de la norme de droit matériel de l’Union. La Cour rappelle tout d’abord que l’article 325 TFUE impose en matière de récupération de TVA, une obligation de résultats à l’égard des États. A cette fin, les États, dans le cadre de l’autonomie procédurale, doivent déterminer les sanctions, qui s’appuient sur des règles de prescription qui permettent une répression effective des infractions de fraude. Le contrôle du juge national est là pour en garantir l’effectivité. Cependant pour la Cour, le juge est tenu par un autre principe: celui relatif à la légalité des délits et des peines, renvoyant aux exigences de prévisibilité, précision et non-rétroactivité de la loi pénale. Pour la Haute juridiction de l’Union, il s’agit d’un principe essentiel pour les États membres et l’ordre juridique de l’Union, imposant que ce principe soit garanti chaque fois que le droit de l’Union est mis en œuvre. 

En conséquence, le juge national n’est pas tenu d’écarter la norme nationale contraire sur la prescription dans le but de préserver le droit fondamental sur la légalité des délits et des peines.

CJUE, gr. ch., 5 décembre 2017, M.A.S., M.B., n° C-42/17

Références

■ Fiche d’orientation Dalloz: Primauté du droit de l’Union européenne

■ CJCE 9 nov. 1995, Atlanta, n° C-465/93: D. 1995. 256 ; RTD eur. 1996. 77, étude R. Mehdi ; Rev. UE 2015. 370, étude G. Eckert.

■ CJCE 16 mars 2006, Kapferer, n° C-234/04 : D. 2006. 1247 ; Rev. crit. DIP 2007. 140, note S. Francq ; RTD civ. 2006. 728, obs. P. Remy-Corlay.

■ CJCE 9 mars 1978, Simmenthal, n° 106/77.

■ CJUE, gr. ch., 8 sept. 2015, Taricco, n° C-105/14: RTD eur. 2016. 77, obs. D. Berlin ; ibid. 2017. 739, étude Nicoletta Perlo.

■ Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

Article 49

« Principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines. 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou le droit international. De même, il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit une peine plus légère, celle-ci doit être appliquée.

2. Le présent article ne porte pas atteinte au jugement et à la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d'après les principes généraux reconnus par l'ensemble des nations.

3. L'intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l'infraction. »

■ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

Article 325

« 1. L'Union et les États membres combattent la fraude et tout autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union par des mesures prises conformément au présent article qui sont dissuasives et offrent une protection effective dans les États membres, ainsi que dans les institutions, organes et organismes de l'Union.

2. Les États membres prennent les mêmes mesures pour combattre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union que celles qu'ils prennent pour combattre la fraude portant atteinte à leurs propres intérêts financiers.

3. Sans préjudice d'autres dispositions des traités, les États membres coordonnent leur action visant à protéger les intérêts financiers de l'Union contre la fraude. À cette fin, ils organisent, avec la Commission, une collaboration étroite et régulière entre les autorités compétentes.

4. Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, arrêtent, après consultation de la Cour des comptes, les mesures nécessaires dans les domaines de la prévention de la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union et de la lutte contre cette fraude en vue d'offrir une protection effective et équivalente dans les États membres ainsi que dans les institutions, organes et organismes de l'Union.

5. La Commission, en coopération avec les États membres, adresse chaque année au Parlement européen et au Conseil un rapport sur les mesures prises pour la mise en œuvre du présent article. »

 

Auteur :Vincent Bouhier


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