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Droit des obligations
La notion de professionnel est une notion fonctionnelle
La notion de professionnel suppose d’établir un lien suffisamment direct entre le rapport contractuel et le cadre de l’activité à laquelle une personne se livre à titre professionnel.
Civ. 1re, 31 août 2022, n° 21-11.097
Dans quelle mesure un professionnel agissant dans le cadre de sa profession peut-il néanmoins revêtir la qualité de consommateur ? C’est à cette question que répond l’arrêt rapporté à propos d’un neurologue de profession néanmoins reconnu par la Cour, dans un sens conforme à la jurisprudence européenne, comme un consommateur. Ce dernier s’était inscrit à un colloque de neurologie et avait, dans cette perspective, réservé une chambre dans un hôtel situé dans la ville où l’événement était prévu. Finalement empêché de s’y rendre en raison d’une hospitalisation, il avait annulé sa réservation puis demandé vainement à l’hôtelier le remboursement intégral du prix de sa chambre d’hôtel, se prévalant des dispositions du code de la consommation.
Le tribunal judiciaire de Bordeaux donna gain de cause à l’hôtelier, réfutant la qualité de consommateur du neurologue au regard du lien direct entre sa participation au colloque et la réservation de sa chambre. À l’appui de l’article liminaire du code de la consommation, définissant le consommateur comme « toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole », le neurologue, professionnel libéral de santé, forma un pourvoi en cassation. Il soutenait qu’en concluant le contrat d’hébergement litigieux, il avait agi à des fins « tout à fait distinctes » de son activité professionnelle. Autrement dit, le contrat conclu l’avait été hors du cadre de sa profession, si bien qu’il devait être considéré, au regard de la loi, comme un consommateur.
Approuvant cette analyse, la Cour de cassation accueille le pourvoi. Une fois rappelés les termes de l’article liminaire précité, contenant les définitions respectives du consommateur (« toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole »), du non-professionnel (« toute personne morale qui n'agit pas à des fins professionnelles ») et du professionnel (« toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu'elle agit au nom ou pour le compte d'un autre professionnel ») , la première chambre civile s’appuie sur la jurisprudence de la CJUE, selon laquelle « la notion de professionnel est une notion fonctionnelle impliquant d'apprécier si le rapport contractuel s'inscrit dans le cadre des activités auxquelles une personne se livre à titre professionnel » (CJUE, Komisia, 4 oct. 2018, C-105-17). En conséquence, la Haute juridiction juge que lorsqu’il conclut le contrat d'hébergement litigieux, le demandeur « n'agissait pas à des fins entrant dans le cadre de son activité professionnelle ». En effet, quand bien même la conclusion de ce contrat visait à permettre sa participation à un colloque médical, entretenant donc un certain rapport avec son activité professionnelle, ce rapport n’était cependant pas suffisamment direct pour lui faire revêtir la qualité de professionnel. Le demandeur devait donc être, au cas d’espèce, qualifié de consommateur. La solution est logique : la conclusion d’un contrat d’hébergement s’inscrit d’évidence hors du cadre des activités auxquelles un médecin se livre à titre professionnel. Patente, l’erreur des juges du fond résidait dans leur mauvaise appréciation du lien de connexité requis par le droit de la consommation entre l’opération contractuelle et le cadre de la profession exercée. En effet, déterminer si le rapport contractuel entretient un lien suffisant avec l’exercice de l’activité professionnelle ne se limite pas à constater l’existence d’un simple rattachement entre l’acte passé et la profession considérée. L’élément de connexité suppose de rechercher si ce rapport contractuel concorde avec les savoirs et compétences auxquels le contractant a l’habitude de faire appel dans le cadre de son activité professionnelle. Autrement dit, il convient de distinguer selon la nature de l’acte accompli par le professionnel. Faire le départ entre les contrats conclus pour les besoins directs et immédiats de sa profession et ceux qui en sont détachables, entre les contrats ayant un rapport direct avec l’activité professionnelle et ceux n’ayant qu’un rapport indirect, comme celui conclu en l’espèce. À cet égard, le professeur Aubert proposait ainsi de distinguer entre « les actes de la profession », ie ceux qui caractérisent, constituent l’activité professionnelle considérée et seraient à ce titre exclus de la protection, et « les actes simplement relatifs à l’activité professionnelle », ie tous ceux qui ne sont pas des actes de l’activité professionnelle elle-même, mais seulement « des actes destinés à permettre ou favoriser celle-ci », qui bénéficieraient pour leur part de la protection (J.-L. Aubert, D. 1988, somm. p. 407). Ainsi du contrat d’hébergement en l’espèce conclu par le neurologue à l’effet de participer à un colloque portant sur sa spécialité médicale.
Ici rappelée par la Cour, la nécessité d’un lien de connexité suffisant entre le contrat conclu et la profession exercée est conforme au fondement même du droit de la consommation, résidant dans l’incompétence ou l’inexpérience de ceux qu’il protège : professionnel ou non, seul celui qui contracte en connaissance de cause peut être soustrait à la protection offerte par le droit de la consommation. Un professionnel doit, dans cette mesure, être traité comme un consommateur chaque fois qu’il prend part à une opération juridique étrangère au champ de son savoir-faire et à sa sphère de compétence.
Référence :
■ CJUE, Komisia, 4 oct. 2018, C-105-17 : D. 2018. 1965 ; ibid. 2270, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; ibid. 2019. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJ contrat 2018. 534, obs. V. Legrand ; Dalloz IP/IT 2018. 702, obs. A. Lecourt ; Rev. crit. DIP 2022. 47, chron. M. Ho-Dac
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