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[ 14 octobre 2011 ] Imprimer

Droit administratif général

La notoriété publique ne permet plus l’hospitalisation d’urgence

Mots-clefs : Hospitalisation d’office, Troubles mentaux, Pouvoirs du maire, Pouvoirs du commissaire de police, Notoriété publique, Question prioritaire de constitutionnalité, Conseil constitutionnel, Code de la santé publique

Saisi d’une QPC, le Conseil constitutionnel censure les mots de l’article L. 3213-2 du CSP qui rendaient possible l’hospitalisation d’office des personnes atteintes de troubles mentaux sans avis médical.

La QPC du 6 octobre 2011 est la troisième QPC sur le régime d’hospitalisation sans consentement (Cons. const. 26 nov. 2010, n° 2010-71 QPC : non-conformité de l’art. L. 3212-7 CSP et réserve concernant l’art. L. 3211-12 CSP et Cons. const. 9 juin 2011, n° 2011-135/140 QPC : non-conformité des art. L. 3213-1 et L. 3213-4 CSP). Les différentes déclarations de non-conformité ont conduit le législateur à voter la loi relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge (L. n° 2011-803 du 5 juill. 2011, JO 6 juill.).

Cette nouvelle question, relative aux dispositions des articles L. 3213-2 et L. 3213-3 du CSP concernant l’hospitalisation d’office des personnes atteintes de troubles mentaux manifestes en cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, fait suite à la décision de renvoi de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 6 juillet 2011. L’article L. 3213-2 du CSP permet :

– au maire, en province,

– et aux commissaires de police, à Paris,

de prendre des mesures provisoires d’hospitalisation d’office sur le fondement d’un simple avis médical ou de la notoriété publique. Ces autorités doivent cependant en référer dans les 24 heures au représentant de l’État dans le département qui prononce :

– soit un arrêté d’hospitalisation d’office (art. L. 3213-1 CSP) ;

– soit l’annulation de l’arrêté.

Le non-respect de cette procédure engage la responsabilité de l’État pour faute lourde (CE 10 févr. 1984, Mme Dufour).

En l’absence de décision du représentant de l’État, les mesures provisoires prononcées deviennent caduques au terme de 48 heures. L’article L. 3213-3 CSP prévoit, quant à lui, un examen périodique de la personne hospitalisée par un psychiatre qui doit établir un certificat médical circonstancié, le transmettre au préfet et à la commission départementale des hospitalisations psychiatriques. Cet article L. 3213-3 est déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

L’intérêt de cette QPC porte sur l’article L. 3213-2 du CSP (modifié par la loi du 5 juillet 2011 pour substituer la notion « d’admission en soins psychiatriques » à celle d’« hospitalisation d’office »). Dans un premier temps, le Conseil constitutionnel constate qu’il a déjà jugé conforme à la Constitution les conditions de fond prévues pour l’hospitalisation d’office d’une personne atteinte de troubles mentaux (n° 2011-135/140 QPC, préc. : justifie la mise en œuvre d’une mesure privative de liberté au regard des exigences constitutionnelles qui assurent la protection de la liberté individuelle : les troubles nécessitant des soins, compromettant la sûreté des personnes ou portant atteinte, de façon grave, à l’ordre public). Dans un second temps, les sages affirment que les autorités administratives (maire ou commissaire de police) sont compétentes pour ordonner, en cas de danger imminent pour la sureté des personnes, toutes les mesures provisoires y compris des mesures portant atteinte à la liberté individuelle. Cette compétence ne méconnaît pas les exigences énoncées à l’article 66 de la Constitution.

Restait au Conseil à se prononcer sur le fondement (avis médical ou notoriété publique) des arrêtés d’hospitalisation d’urgence.

Concernant l’avis médical (qui n’impose pas, contrairement au certificat médical, un examen préalable de l’intéressé ; il est une opinion émise par un médecin), le Conseil estime que le législateur n’a pas méconnu les exigences tirées de l’article 66 de la Constitution en permettant qu’une mesure de privation de liberté provisoire soit ordonnée après un simple avis. En effet, deux garanties entourent cette procédure :

– le danger imminent pour la sûreté des personnes (v. sur cette notion : CE 17 nov. 1997, M. Granata) ;

– et des troubles mentaux manifestes.

En revanche, le simple fait de se fonder, pour l’autorité compétente, sur la notoriété publique afin de priver une personne de sa liberté individuelle pendant 24 heures, méconnaît les exigences constitutionnelles. Dans un arrêt du 19 mai 2004 (R.L. and M.-J.D. c. France, § 115), la Cour européenne des droits de l’homme rappelle qu’un individu ne peut passer pour aliéné et subir une privation de liberté que si trois conditions sont réunies :

– son aliénation doit avoir été établie de manière probante ;

– le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ;

– et, l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble.

La notion de « notoriété publique » reste très floue et se contredit avec la jurisprudence de la CEDH exigeant la preuve de l’aliénation.

Ainsi, le Conseil déclare contraire à la Constitution les mots « ou, à défaut, par la notoriété publique » de l’article L. 3213-2 CSP. Cette déclaration d’inconstitutionnalité prend effet à compter de la publication au Journal officiel de la décision (soit le 8 oct. 2011) et est applicable à toutes les instances non jugées définitivement à cette date.

Cons. const. 6 oct. 2011, Mme Oriette P., n° 2011-174 QPC

Références

Cons. const. 26 nov. 2010, n° 2010-71 QPC, Dalloz actualité 6 déc. 2010, obs. Astaix ; Constitutions 2011. 108, obs. Bioy ; RTD civ. 2011. 101, obs. Hauser ; AJDA 2010. 2284 ; ibid. 2011. 174, note Bioy ; JCP 2010, no 49, p. 2288, note Dubreuil ; ibid. 2010, n° 51, p. 2410, note de Béchillon ; ibid. 2011, n° 7, p. 325, note Grabarczyk ; JCP Adm. 2010, no 49, p. 7, note Albert ; LPA 2010, no 255, p. 5, note Castaing ; Dr. fam. 2011, no 1, p. 37, note Maria.

Cons. const. 9 juin 2011, n° 2011-135/140 QPC, Constitutions 2011. 400, chron. Bioy ; JCP 2011, no 25, p. 1210.

Civ. 1re, 6 juill. 2011, n° 11-40.027.

CE 10 févr. 1984, Mme Dufour, n° 32794 ; Lebon 59 ; AJDA 1984. 403, obs. J. Moreau ; Rev. adm. 1984, p. 268, note B. Pacteau.

CEDH 19 mai 2004, R.L. and M.-J.D. c. France, aff. n° 44568/98, § 115.

CE 17 nov. 1997, M. Granata, n° 155196, Lebon ; D. 1998. 9.

■ Code de la santé publique

Article L. 3213-1

« I.-Le représentant de l'État dans le département prononce par arrêté, au vu d'un certificat médical circonstancié ne pouvant émaner d'un psychiatre exerçant dans l'établissement d'accueil, l'admission en soins psychiatriques des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public. Les arrêtés préfectoraux sont motivés et énoncent avec précision les circonstances qui ont rendu l'admission en soins nécessaire. Ils désignent l'établissement mentionné à l'article L. 3222-1 qui assure la prise en charge de la personne malade.

Lorsque les éléments du dossier médical du patient font apparaître qu'il a fait l'objet d'une hospitalisation ordonnée en application des articles L. 3213-7 du présent code ou 706-135 du code de procédure pénale ou a fait l'objet, pendant une durée fixée par décret en Conseil d'État, d'une hospitalisation dans une unité pour malades difficiles mentionnée à l'article L. 3222-3 du présent code et qu'une prise en charge sous la forme mentionnée au 2° de l'article L. 3211-2-1, une sortie de courte durée mentionnée à l'article L. 3211-11-1 ou la levée de la mesure de soins est envisagée, le psychiatre qui participe à sa prise en charge en informe le directeur de l'établissement d'accueil qui le signale sans délai au représentant de l'État dans le département. Le présent alinéa n'est pas applicable lorsque les mesures de soins susmentionnées ont pris fin depuis au moins dix ans.

Le directeur de l'établissement d'accueil transmet sans délai au représentant de l'État dans le département et à la commission départementale des soins psychiatriques mentionnée à l'article L. 3222-5 :

1° Le certificat médical mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 3211-2-2 ;

2° Le certificat médical et, le cas échéant, la proposition mentionnés aux deux derniers alinéas du même article L. 3211-2-2.

II.-Dans un délai de trois jours francs suivant la réception du certificat médical mentionné à l'avant-dernier alinéa de l'article L. 3211-2-2, le représentant de l'État dans le département décide de la forme de prise en charge prévue à l'article L. 3211-2-1, en tenant compte de la proposition établie, le cas échéant, par le psychiatre en application du dernier alinéa de l'article L. 3211-2-2 et des exigences liées à la sûreté des personnes et à l'ordre public. Il joint à sa décision, le cas échéant, le programme de soins établi par le psychiatre.

Dans l'attente de la décision du représentant de l'État, la personne malade est prise en charge sous la forme d'une hospitalisation complète.

III.-Le représentant de l'État ne peut décider une prise en charge sous une autre forme que l'hospitalisation complète qu'après avoir recueilli l'avis du collège mentionné à l'article L. 3211-9 :

1° Lorsque la personne fait ou a déjà fait l'objet d'une hospitalisation ordonnée en application des articles L. 3213-7 du présent code ou 706-135 du code de procédure pénale ;

2° Lorsque la personne fait ou a déjà fait l'objet, pendant une durée fixée par décret en Conseil d'État, d'une hospitalisation dans une unité pour malades difficiles mentionnée à l'article L. 3222-3 du présent code.

Le présent III n'est pas applicable lorsque les mesures de soins mentionnées aux 1° et 2° ont pris fin depuis au moins dix ans.

IV.-Les mesures provisoires, les décisions, les avis et les certificats médicaux mentionnés au présent chapitre figurent sur le registre mentionné à l'article L. 3212-11. »

Ancien article L. 3213-2

« En cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, attesté par un avis médical ou, à défaut, par la notoriété publique, le maire et, à Paris, les commissaires de police arrêtent, à l'égard des personnes dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes, toutes les mesures provisoires nécessaires, à charge d'en référer dans les vingt-quatre heures au représentant de l'État dans le département qui statue sans délai et prononce, s'il y a lieu, un arrêté d'admission en soins psychiatriques dans les formes prévues à l'article L. 3213-1. Faute de décision du représentant de l'État, ces mesures provisoires sont caduques au terme d'une durée de quarante-huit heures.

La période d'observation et de soins initiale mentionnée à l'article L. 3211-2-2 prend effet dès l'entrée en vigueur des mesures provisoires prévues au premier alinéa. »

Article L. 3213-2 modifié par la décision n°2011-174 QPC du 6 octobre 2011

« En cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, attesté par un avis médical, le maire et, à Paris, les commissaires de police arrêtent, à l'égard des personnes dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes, toutes les mesures provisoires nécessaires, à charge d'en référer dans les vingt-quatre heures au représentant de l'État dans le département qui statue sans délai et prononce, s'il y a lieu, un arrêté d'admission en soins psychiatriques dans les formes prévues à l'article L. 3213-1. Faute de décision du représentant de l'Etat, ces mesures provisoires sont caduques au terme d'une durée de quarante-huit heures.

La période d'observation et de soins initiale mentionnée à l'article L. 3211-2-2 prend effet dès l'entrée en vigueur des mesures provisoires prévues au premier alinéa. »

Article L. 3213-3

« I.-Après le cinquième jour et au plus tard le huitième jour puis dans le mois qui suit la décision mentionnée au I de l'article L. 3213-1 ou, le cas échéant, suivant la mesure provisoire prévue à l'article L. 3213-2 et ensuite au moins tous les mois, la personne malade est examinée par un psychiatre de l'établissement d'accueil qui établit un certificat médical circonstancié confirmant ou infirmant, s'il y a lieu, les observations contenues dans les précédents certificats et précisant les caractéristiques de l'évolution des troubles ayant justifié les soins ou leur disparition. Ce certificat précise si la forme de la prise en charge du malade décidée en application de l'article L. 3211-2-1 demeure adaptée et, le cas échéant, en propose une nouvelle. Lorsqu'il ne peut être procédé à l'examen du patient, le psychiatre de l'établissement établit un avis médical sur la base du dossier médical du patient.

II.-Les copies des certificats et avis médicaux prévus au présent article et à l'article L. 3211-11 sont adressées sans délai par le directeur de l'établissement d'accueil au représentant de l'État dans le département et à la commission départementale des soins psychiatriques mentionnée à l'article L. 3222-5. Lorsque la personne malade est prise en charge sous la forme d'une hospitalisation complète, une copie du certificat médical ou de l'avis médical établi, en application du I du présent article, après le cinquième jour et au plus tard le huitième jour qui suit la décision mentionnée au I de l'article L. 3213-1 est également adressée sans délai au juge des libertés et de la détention compétent dans le ressort duquel se trouve l'établissement d'accueil.

III.-Après réception des certificats ou avis médicaux mentionnés aux I et II du présent article et, le cas échéant, de l'avis du collège mentionné à l'article L. 3211-9 et de l'expertise psychiatrique mentionnée à l'article L. 3213-5-1, et compte tenu des exigences liées à la sûreté des personnes et à l'ordre public, le représentant de l'État dans le département peut décider de modifier la forme de la prise en charge de la personne malade. Le représentant de l'État dans le département fixe les délais dans lesquels l'avis du collège et l'expertise psychiatrique doivent être produits, dans une limite maximale fixée par décret en Conseil d'État. Passés ces délais, le représentant de l'État prend immédiatement sa décision. »

■ Article 66 de la Constitution

« Nul ne peut être arbitrairement détenu.

L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »

 

Auteur :C. G.


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