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Droit des obligations
La novation dépend de la volonté certaine du créancier de décharger le débiteur initial
Mots-clefs : Novation, Changement de débiteur, Intention de nover, Volonté expresse de substitution, Certitude de la décharge du débiteur initial
Une banque ayant accepté le nantissement offert à une société en garantie de la caution bancaire accordée au débiteur initial, tout en sachant que cette société n’était pas en droit de garantir le remboursement de la dette, a manifestement voulu substituer cette société au débiteur initial et décharger ce dernier de son obligation.
L'administration fiscale avait consenti à un contribuable des délais pour s'acquitter de droits de mutation afférents à des actions qu’il avait reçues en donation, sous réserve d’obtenir une caution bancaire, par la suite obtenue. Le contribuable, débiteur originaire, avait ensuite fait apport de ses actions à la société qu’il dirigeait, celle-ci s'étant engagée à prendre en charge les droits de mutation litigieux et à garantir la banque par un cautionnement assorti d'un nantissement. À la suite de la défaillance de la caution, la banque avait assigné le débiteur en remboursement.
La cour d’appel rejeta ses demandes au motif que la novation par changement de débiteur, ayant pour effet de décharger le débiteur originaire de son obligation, était bien, en l’espèce, caractérisée. En effet, la banque avait expressément manifesté sa volonté d'accepter la substitution de débiteur en ouvrant dans ses livres un compte de nantissement tout en sachant que la société garante avait racheté la dette fiscale de son dirigeant, ce qui l’empêchait, au titre des conventions interdites par l'article L. 225-43 du Code de commerce, de contre-garantir le cautionnement de la dette fiscale du débiteur, sauf à ce que celui-ci en soit déchargé. La banque n’avait donc pu recevoir les nouvelles garanties sans accepter nécessairement de décharger du débiteur principal.
Devant la Cour de cassation, la banque rappela la règle selon laquelle la novation par changement de débiteur n'est caractérisée qu'à la condition que le créancier ait manifesté, sans équivoque, sa volonté de se substituer un nouveau débiteur. Celle-ci ne peut être déduite du simple fait d’avoir accepté le nantissement de la dette, l’acceptation de ce nantissement ayant seulement eu pour effet d’instituer un nouveau débiteur, sans le substituer au premier.
Enfin, elle contesta l’applicabilité à la cause de la maxime « Nemo auditur » (Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude) qui, cantonnée au champ contractuel, excluait toute incidence sur son lien contractuel avec le débiteur initial de sa participation supposée à la réalisation d’une convention interdite, conclue avec la société garante.
Confirmant l’analyse des juges du fond, la Cour de cassation rejette le pourvoi.
Aux termes de l’article 1271 du Code civil, le changement de l’une des parties au rapport d’obligation (créancier ou débiteur) réalise une novation. Celle-ci consiste dans la création d’une obligation nouvelle, en vue d’éteindre l’obligation ancienne. Elle suppose un élément objectif : aliquid novi (quelque chose de nouveau) (C. civ., art. 1271, 1°), ou aliquis novi (quelqu’un de nouveau) (C. civ., art.1271, 2° et 3°).
Cependant, tout changement de débiteur ou de créancier ne réalise pas automatiquement une novation (C. civ., art. 1271, 3°).
S’il va de soi qu’un créancier sera toujours enclin à accepter l'engagement d'un nouveau débiteur, il peut aussi avoir de bonnes raisons de ne pas décharger son débiteur initial, dont la solvabilité peut être meilleure que celle du second ou qui a pu fournir d'utiles sûretés. Ainsi le seul fait qu’un second débiteur prenne un engagement venant s'ajouter à celui du premier ne suffit-il pas à caractériser une novation, même lorsque cet engagement a pour objet la même obligation. Encore faut-il pouvoir établir la volonté de nover, c’est-à-dire de faire de l’obligation du nouveau débiteur, ou envers le nouveau créancier, un mode d’extinction de l’obligation originaire (v. Terré, Simler, Lequette). Faute de libération du débiteur initial, on se trouve simplement dans la situation dans laquelle le créancier aura plusieurs débiteurs.
Ainsi, si l’article 1271 du Code civil prévoit que la novation s’opère, notamment, lorsqu’un nouveau débiteur est substitué à l’ancien qui est déchargé par le créancier, l’article 1273 précise que la novation ne se présume point et qu’il faut que la volonté de nover résulte clairement de l’acte.
En l’espèce, la banque avait accepté le nantissement à l’appui d’une délibération de l’assemblée générale, dont il résultait le consentement exprès de celle-ci à la substitution de la société garante au débiteur originaire. Cependant, comme l’arguait l’auteur du pourvoi, la simple acceptation par le créancier de la substitution d'un nouveau débiteur au premier, « n'implique pas, en l'absence de déclaration expresse, qu'il ait entendu décharger le débiteur originaire de la dette » (Civ. 3e, 12 déc. 2001 ; Com. 3 juill. 2007).
Le terme « substitution » signifie bien, pourtant, que l'un est remplacé par l'autre, ce qui est exclusif d'une addition ou d'un cumul. Quoi qu’il en soit, il ne saurait donc être question d'induire la décharge du premier débiteur du seul fait de l'acceptation par le créancier de l'engagement du second, ni même de la clause stipulant la substitution de celui-ci à celui-là.
Mais la volonté du créancier de décharger son débiteur, à défaut d’être expresse, peut, au moins, être certaine.
En l’espèce, la volonté de décharge, à défaut d’être expressément exprimée, était sans équivoque : en acceptant le nantissement proposé par la société alors qu’elle savait, « en qualité de professionnel des affaires », que celle-ci n’était pas en droit, après le rachat de la dette fiscale de son dirigeant, de garantir le remboursement de la dette, la banque a sans aucun doute manifesté sa volonté de substituer celle-ci au débiteur initial, ainsi déchargé de sa dette à son égard, sauf à tenter de se prévaloir de sa propre turpitude.
Civ. 1re, 5 mars 2015, n°14-11.768
Références
■ Terré, Simler, Lequette, Droit civil, Les obligations, 11e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2013, n°1417 s., spéc. 1431 s.
■ Civ. 3e, 12 déc. 2001, Bull. civ., III, n° 153 ; RDI 2002. 230, obs. Tomasin.
■ Com. 3 juill. 2007, n° 05-21.699.
■ Code civil
« La novation s'opère de trois manières :
1° Lorsque le débiteur contracte envers son créancier une nouvelle dette qui est substituée à l'ancienne, laquelle est éteinte ;
2° Lorsqu'un nouveau débiteur est substitué à l'ancien qui est déchargé par le créancier ;
3° Lorsque, par l'effet d'un nouvel engagement, un nouveau créancier est substitué à l'ancien, envers lequel le débiteur se trouve déchargé. »
« La novation ne se présume point ; il faut que la volonté de l'opérer résulte clairement de l'acte. »
■ Article L. 225-43 du Code de commerce
« A peine de nullité du contrat, il est interdit aux administrateurs autres que les personnes morales de contracter, sous quelque forme que ce soit, des emprunts auprès de la société, de se faire consentir par elle un découvert, en compte courant ou autrement, ainsi que de faire cautionner ou avaliser par elle leurs engagements envers les tiers.
Toutefois, si la société exploite un établissement bancaire ou financier, cette interdiction ne s'applique pas aux opérations courantes de ce commerce conclues à des conditions normales.
La même interdiction s'applique au directeur général, aux directeurs généraux délégués et aux représentants permanents des personnes morales administrateurs. Elle s'applique également aux conjoint, ascendants et descendants des personnes visées au présent article ainsi qu'à toute personne interposée. »
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