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[ 8 février 2023 ] Imprimer

Procédure pénale

La pandémie de covid devant la CJR : annulation de la mise en examen d’Agnès Buzyn

La Cour de cassation a, sans surprise, annulé la mise en examen de l’ancienne ministre de la Santé par la commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR) pour mise en danger d’autrui à la suite de la crise sanitaire liée à la covid-19, faute d’obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par les textes.

Ass. plén., 20 janv. 2023, n° 22-82.535 P

Aux termes de l’article 223-1 du Code pénal, les personnes reconnues coupables d’un manquement à une obligation de sécurité́ ou de prudence s’exposent à des poursuites pour mise en danger de la personne en dehors de toutes conséquences dommageables. Le délit de risques causés à autrui sanctionne ainsi la seule exposition au risque. Depuis son introduction en 1994, cette infraction connaît des applications dans de nombreux domaines au-delà̀ de son domaine d’application privilégié́, constitué par la circulation routière et les accidents du travail. La pandémie de covid-19 a mis sous les feux de la rampe cette infraction. Des poursuites sur ce fondement furent engagées tant à l’encontre de particuliers, notamment ceux organisant des soirées clandestines (soirée privée, covid et risque causés à autrui, Crim. 8 févr. 2022, n° 21-85.280) d’employeurs (V. Munoz-Pons, D. Reboursier, AJ pénal 2022. 247) que de nos responsables politiques, membres du gouvernement.

Concernant ces derniers, la judiciarisation de la gestion de la pandémie de covid-19 présente la particularité d’être du ressort de la cour de Justice de la république (CJR). Créée par la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993, la CJR est compétente pour juger les infractions commises par les membres du gouvernement dans l’exercice de leur fonction (Const., art. 68-1 et 68-2).

À la suite de plaintes émanant de médecins, de syndicats et de particuliers, la commission des requêtes de la CJR a, le 3 juillet 2020, a ordonné la transmission de la procédure au procureur général près la Cour de cassation aux fins de saisine de la commission d'instruction du chef d'abstention de combattre un sinistre délit prévu et réprimé à l'article 223-7 du Code pénal, courant 2019 et 2020, à l'encontre du Premier ministre Édouard Philippe, de Mme Agnès Buzin, ancienne ministre des Solidarités et de la Santé, et de M. Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la santé. Par réquisitoire du 7 juillet 2020, le procureur général a requis la commission d'instruction d'informer. Des réquisitoires supplétifs ont été pris aux fins d'informer contre les mêmes personnes, du même chef, à la suite d'autres plaintes, notamment celle du compagnon d’une femme décédée en raison, selon le plaignant, d'une infection par le virus SARS-CoV-2.

L’ancienne ministre des Solidarités et de la santé a été mise en examen le 10 septembre 2021 par la commission d'instruction du chef de mise en danger d'autrui et placée sous le statut de témoin assisté du chef d'abstention volontaire de combattre un sinistre. Elle a, en mars 2022, saisi la commission d'instruction d'une requête en nullité portant sur cette mise en examen, ainsi que sur le dépassement de la saisine temporelle et matérielle de la commission et les conditions d'audition de membres du Gouvernement. La commission d'instruction ayant rejeté sa requête, Mme Buzin a alors formé un pourvoi en cassation, examiné par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation en application de l'article 24 de la loi organique du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République (n° 93-1252).

Seul le moyen concernant la nullité la mise en examen du chef de mise en danger d'autrui retiendra ici notre attention.

Selon la demanderesse au pourvoi, aucun des textes visés à la prévention n'édicte une obligation particulière de prudence ou de sécurité pesant sur le ministre des Solidarités et de la santé. La Cour de cassation lui donne raison, et casse la décision au visa des articles 223-1 du Code pén al et 80-1 du Code de procédure pénale admettant qu’il « résulte de la combinaison de ces textes qu'une juridiction d'instruction ne peut procéder à une mise en examen du chef de mise en danger d'autrui sans avoir préalablement constaté l'existence de l'obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement dont la violation manifestement délibérée est susceptible de permettre la caractérisation du délit ».

Rappelons qu’aux termes de l'article 80-1, alinéa 1er du Code de procédure pénale : « À peine de nullité, le juge d'instruction ne peut mettre en examen que les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi ». Pour être régulière, une mise en examen suppose l'existence, à l'encontre de la personne concernée, d'indices graves ou concordants de participation à la commission de l'infraction. Il appartient donc aux juridictions d’instruction de contrôler s’il est possible de déduire des éléments de l'information relatifs aux faits reprochés aux personnes mises en examen pendant les périodes de prévention, l'existence ou non de tels indices rendant vraisemblable, qu'elles aient pu participer à la commission des faits (ex. Crim. 15 avr. 2015, n° 14-85.334).

La commission d’instruction devait ainsi se prononcer en tenant compte, plus particulièrement, de l’existence ou non d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité, « préalable indispensable » de l'infraction (Crim. 22 sept. 2015, n° 14-84.355). Une telle obligation se définit comme celle « qui impose un modèle de conduite circonstanciée » (CA Aix-en-Provence, 22 nov. 1995), fixant de manière objective l'attitude à adopter sans faculté́ d’appréciation individuelle (CA Grenoble, 19 févr. 1999). Il doit donc s’agir non d’obligations générales mais d’obligations « objectives, immédiatement perceptibles et clairement applicables sans faculté́ d’appréciation personnelle du sujet » (Crim. 13 nov. 2019, 18-82.718).

Il relève de l’office du juge de rechercher la loi ou le règlement édictant l'obligation particulière de prudence ou de sécurité́ qui aurait été́ violée (Crim. 22 sept. 2015, préc.). En l’espèce, si différentes dispositions textuelles étaient retenues par la commission au soutien de la mise en examen, le caractère particulier des obligations édictées faisait défaut. Dès lors, la chambre criminelle conclut que « la commission d'instruction, qui s'est référée à des textes qui ne prévoient pas d'obligation de prudence ou de sécurité objective, immédiatement perceptible et clairement applicable sans faculté d'appréciation personnelle du sujet, a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé, pour les motifs qui suivent ». Les magistrats du Quai de l’Horloge, en effet, examinent un à un les textes visés pour repousser tout caractère particulier des obligations imposées et leur attribuer au contraire un caractère général.

Ainsi, s’agissant d’abord des dispositions du Code de la santé publique, la Cour de cassation retient en premier lieu que « l'article L. 1110-1 du code de la santé publique [qui prévoit que le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne et que les intervenants du système de santé contribuent à développer la prévention, garantir l'égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible] se borne à fixer un simple objectif de mise en œuvre du droit à la protection de la santé », obligation très générale ; elle admet en second lieu que « l'article L. 1413-4 du même code prévoit, en termes généraux, que l'agence nationale de santé publique procède, à la demande du ministre chargé de la santé, à diverses opérations comme l'acquisition, le stockage et la distribution de produits et services nécessaires à la protection de la population face aux menaces sanitaires graves » ; et en troisième lieu que « l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, dans sa version applicable aux faits objet de la mise en examen, ne fait qu'ouvrir au ministre chargé de la santé la possibilité, en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, de prescrire toute mesure proportionnée aux risques encourus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu ».

S’agissant ensuite du Code de la défense, là encore les textes ne font que poser des obligations générales, de répartition des compétences. La Cour admet que « l'article L. 1141-1 du code de la défense se borne à confier à chaque ministre la responsabilité de la préparation et de l'exécution des mesures de défense dans le département dont il a la charge. L'article L. 1142-8 du même code « attribue au ministre chargé de la santé la responsabilité de l'organisation et de la préparation du système de santé, de la prévention des menaces sanitaires graves et de la protection de la population contre ces dernières ».

Enfin, « le décret du 24 mai 2017 relatif aux attributions du ministre des solidarités et de la santé, qui dispose que ce dernier “est responsable de l'organisation de la prévention et des soins”, et lui confie la charge d'élaborer, avec les autres ministres compétents, les règles relatives à la politique de la santé contre les divers risques susceptibles de l'affecter, n'a d'autre objet que de déterminer le champ de ses compétences ».

L’ensemble de ces obligations à la charge de la ministre de la Santé dans le cadre de la gestion de la pandémie, susceptibles d’avoir été́ méconnues, sont, de par leur caractère général, insuffisantes à justifier une mise en examen.

Le délit de risque causé à autrui s’accorde mal avec les obligations mises à la charge des pouvoirs publics en matière de santé publique. L'action des autorités suppose une intervention adaptée aux circonstances et non une action contrainte, établie de manière précise. Dans une affaire où une plainte avait été́ déposée contre le maire et le préfet de police lesquels, selon la partie civile, n’avaient pas pris les mesures nécessaires pour pallier les effets de la pollution atmosphérique sur la santé publique, la chambre criminelle avait déjà considéré́ que l’article L. 2212-2-5° du Code des collectivités territoriales, qui confie au maire « le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature (...) » ne définissait pas une obligation particulière mais une obligation générale (Crim. 25 juin 1996, n° 95-86.205)

Références :

■ Crim. 8 févr. 2022, n° 21-85.280 : AJ pénal 2022. 212, obs. D. Pamart ; Lexbase pénal, oct. 2022, p. 48, note C. Lacroix ; ibid., janv. 2021 p. 17 ; D. actu. 11 mai 2021, note H. Lesaffre.

■ Crim. 15 avr. 2015, n° 14-85.334 P : D. 2015. 1738, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2015. 608, obs. J. Lasserre Capdeville ; RSC 2015. 895, obs. F. Cordier ; D. actu. 18 mai 2015, obs. Gallois.

■ Crim. 22 sept. 2015, n° 14-84.355 P : RSC 2015. 854, obs. Y. Mayaud ; D. actu. 8 octobre 2015, obs. C. Fonteix.

■ CA Aix-en-Provence, 22 nov. 1995 : D. 1996. 405, note J. Borricand ; Gaz. Pal., 1996. 1. 112, note Doucet.

■ CA Grenoble, 19 févr. 1999 : D. 1999. 480, note Redon ; JCP 1999.II.10171, note P. Le Bas.

■ Crim. 13 nov. 2019, 18-82.718 P : D. 2019. 2184 ; ibid. 2020. 2367, obs. G. Roujou de Boubée, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2020. 87, obs. J. Lasserre Capdeville ; Dr. soc. 2020. 168, étude R. Salomon ; RSC 2019. 805, obs. Y. Mayaud ; Lexbase pénal, déc. 2019, p. 14, note C. Lacroix.

■ Crim. 25 juin 1996, n° 95-86.205 P : D. 1996. 239 ; RSC 1997. 106, obs. Y. Mayaud ; ibid. 390, obs. J.-H. Robert.

 

Auteur :Caroline Lacroix

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