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[ 22 septembre 2014 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

La parodie, élément de la liberté d’expression, soumise au respect d’une atteinte proportionnée aux intérêts et droits des auteurs

Mots-clefs : Parodie, Liberté d’expression, Discrimination, Droits d’auteurs

La parodie s’intègre dans le champ de la liberté d’expression, encore est-il nécessaire de définir ce qui relève de la parodie et si des limites s’imposent afin de préserver les intérêts et les droits des auteurs en cas de message discriminatoire. La Cour retient, tout d’abord, une définition autonome en droit de l’Union de la parodie fondée sur plusieurs conditions : l’évocation d’une œuvre existante, tout en présentant des différences perceptibles avec l’œuvre originale et constituant une manifestation d’humour ou de raillerie. Ensuite, les juges précisent que la parodie est admise tant qu’elle respecte un juste équilibre entre les intérêts et les droits des auteurs et la liberté d’expression.

Les directives ont été adoptées afin d’harmoniser les règles applicables en matière de libertés de circulation (marchandises, services, personnes, capitaux) dans le but d’établir le marché intérieur de l’Union. La directive 2001/29/CE a notamment opéré cette harmonisation concernant « certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ».

Cette directive prévoit expressément une exception au droit d’auteur que constitue le recours à la parodie. La difficulté résulte toutefois dans l’absence de définition de cette notion au sein de la directive.

Aussi le juge national, face au contentieux qui lui a  été soumis, a interrogé la Cour de justice sur cette notion et sur la portée de cette forme d’expression par rapport aux droits de l’auteur de l’œuvre original parodiée.

Le contentieux est né de l’utilisation d’une œuvre originale sous forme de dessin, datant de 1961, par un parti politique flamand. Ce dessin a été parodié et distribué lors d’une réception organisée dans la ville de Gand. Le dessin original représentait un personnage entouré de personnes cherchant à ramasser des pièces de monnaie qu’il jetait. La parodie reprenait le personnage, sous les traits du maire de Gand, jetant des pièces à des personnes voilées et de couleur. Les ayants droit de l’auteur du dessin original estimaient que la parodie réalisée avait une portée discriminatoire.

La Cour, avant d’envisager la protection du droit d’auteur au regard d’un éventuel message discriminatoire de la parodie, s’est attachée à définir cette notion conformément aux questions préjudicielles posées.

Dans un premier temps, la Cour de justice définit la notion de parodie au sens de la directive, en précisant qu’il s’agit d’une notion autonome en droit de l’Union. « (…) la notion de parodie a pour caractéristiques essentielles, d’une part d’évoquer une œuvre existante, tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci, et, d’autre part, de constituer une manifestation d’humour ou une raillerie ».

La Cour retient ainsi une définition circonscrite de la parodie, écartant l’ajout de conditions supplémentaires comme l’y invitait le juge national. En effet, selon la Cour, la parodie n’a pas à être une œuvre originale propre, elle n’a pas à pouvoir être attribuée raisonnablement à une autre personne que l’auteur et à mentionner l’œuvre parodiée.

Cette définition n’est pas reprise dans les mêmes termes par la Cour de cassation français, dans un arrêt de 10 septembre 2014 et en conséquence postérieur ; mais la juridiction française s’appuie sur les mêmes conditions résultant de l’article L. 211-3, 4e du Code de la propriété intellectuelle, à savoir la finalité humoristique et l’absence de risque de confusion (Civ. 1er, 10 sept. 2014). Il n’y a ainsi une convergence entre les deux ordres juridiques sur la notion de parodie.

Dans un second temps, la Cour se prononce sur les conséquences du caractère discriminatoire d’une parodie. La parodie est certes un élément de la liberté d’expression mais comme toute liberté, elle n’est pas absolue.

La Cour insiste sur la nécessité d’un juste équilibre entre les intérêts et les droits des auteurs et la liberté d’expression. À travers ce juste équilibre, la Cour revient implicitement sur l’exigence de proportionnalité de l’atteinte. Or, face à un message discriminatoire, la Cour juge que les auteurs ont un intérêt légitime pour empêcher la parodie.

Au-delà d’accorder la possibilité aux auteurs ou aux ayants droit de s’opposer à ce que l’œuvre ne soit pas associée à ce type de message, la position de la Cour de justice est conforme au droit de l’Union qui s’inscrit dans une lutte constante contre la discrimination (article 21 de la Charte des droits fondamentaux), qu’elle soit liée notamment à l’origine, à la race (Décision cadre 2008/913/JAI du Conseil du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal) ou encore au sexe (Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail).

 Il revient néanmoins au juge national de se prononcer sur le respect de ce juste équilibre, c'est-à-dire de déterminer si l’œuvre est réellement discriminatoire.

CJUE 3 sept. 2014, Johan Deckmyn et Vrijheidsfonds VZM c./ Helena Vandersteen et autres, C-201/13

Références

 Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information. 

■ Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail.

 Article 21 de la Charte des droits fondamentaux - Non-discrimination

« 1. Est interdite, toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.

2. Dans le domaine d’application du traité instituant la Communauté européenne et du traité sur l’Union européenne, et sans préjudice des dispositions particulières desdits traités, toute discrimination fondée sur la nationalité est interdite. »

■ Civ. 1er, 10 sept. 2014, n°13-14.629.

 Article L. 211-3 du Code de la propriété intellectuelle

« Les bénéficiaires des droits ouverts au présent titre ne peuvent interdire :

1° Les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille ;

2° Les reproductions réalisées à partir d'une source licite, strictement réservées à l'usage privé de la personne qui les réalise et non destinées à une utilisation collective ;

3° Sous réserve d'éléments suffisants d'identification de la source :

- les analyses et courtes citations justifiées par le caractères critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'œuvre à laquelle elles sont incorporées ;

- les revues de presse ;

- la diffusion, même intégrale, à titre d'information d'actualité, des discours destinés au public dans les assemblées politiques, administratives, judiciaires ou académiques, ainsi que dans les réunions publiques d'ordre politique et les cérémonies officielles ;

- la communication au public ou la reproduction d'extraits d'objets protégés par un droit voisin, sous réserve des objets conçus à des fins pédagogiques, à des fins exclusives d'illustration dans le cadre de l'enseignement et de la recherche, à l'exclusion de toute activité ludique ou récréative, dès lors que le public auquel cette communication ou cette reproduction est destinée est composé majoritairement d'élèves, d'étudiants, d'enseignants ou de chercheurs directement concernés, que l'utilisation de cette communication ou cette reproduction ne donne lieu à aucune exploitation commerciale et qu'elle est compensée par une rémunération négociée sur une base forfaitaire ;

4° La parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ;

5° La reproduction provisoire présentant un caractère transitoire ou accessoire, lorsqu'elle est une partie intégrante et essentielle d'un procédé technique et qu'elle a pour unique objet de permettre l'utilisation licite de l'objet protégé par un droit voisin ou sa transmission entre tiers par la voie d'un réseau faisant appel à un intermédiaire ; toutefois, cette reproduction provisoire ne doit pas avoir de valeur économique propre ;

6° La reproduction et la communication au public d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme dans les conditions définies aux deux premiers alinéas du 7° de l'article L. 122-5 ;

7° Les actes de reproduction et de représentation d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme réalisés à des fins de conservation ou destinés à préserver les conditions de sa consultation à des fins de recherche ou d'études privées par des particuliers, dans les locaux de l'établissement et sur des terminaux dédiés, effectués par des bibliothèques accessibles au public, par des musées ou par des services d'archives, sous réserve que ceux-ci ne recherchent aucun avantage économique ou commercial.

Les exceptions énumérées par le présent article ne peuvent porter atteinte à l'exploitation normale de l'interprétation, du phonogramme, du vidéogramme ou du programme ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'artiste-interprète, du producteur ou de l'entreprise de communication audiovisuelle. »

 

Auteur :V. B.


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