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Droit des biens
La perte d’ensoleillement ne constitue pas nécessairement un trouble anormal du voisinage
Mots-clefs : Troubles de voisinage, Constructions, Parcelle voisine, Perte d’intimité et d'ensoleillement, Zone urbaine, Faible intensité du trouble, Anormalité (non)
L'implantation de nouvelles constructions en zone urbaine dans un secteur où la situation existante et son maintien ne faisaient l’objet d’aucune protection particulière n'est pas de nature à créer un trouble anormal de voisinage. Dans ces conditions, la perte minime d'ensoleillement et la perte d’intimité que la simple construction d’une haie végétale aurait permis de diminuer ou de supprimer, ne présentent pas un caractère anormal de voisinage.
Un couple avait assigné une société d'investissement, ayant édifié sur la parcelle voisine de leur propriété deux bâtiments devant servir de logements, en réparation du dommage excédant les troubles normaux du voisinage, causé par ces constructions, offrant une vue directe sur leur fonds et entraînant ainsi une perte d'intimité et d'ensoleillement. En l’absence d’anormalité du trouble, la cour les débouta de leur demande et la Cour de cassation confirme leur analyse : « Attendu qu'ayant relevé que les constructions avaient été réalisées en zone urbaine dans un secteur où la situation existante et son maintien ne faisaient l'objet d'aucune protection particulière, qu'une haie végétale permettrait de diminuer ou de supprimer la perte d'intimité résultant des vues sur une partie du jardin depuis l'un des bâtiments construits, que les constructions édifiées au nord de la parcelle où se trouvent leur mas et leur piscine n'avaient qu'une faible incidence sur leur ensoleillement et que, s'agissant de la parcelle située au sud-ouest, rien n'établissait que la luminosité de la maison était affectée dans des proportions excédant le risque nécessairement encouru du fait de son emplacement en milieu urbain, la cour d'appel, (…), a souverainement retenu que l'existence d'un trouble anormal du voisinage n'était pas établi ».
Toute opération de construction provoque des nuisances susceptibles de nuire au voisinage. Si l'article 544 du Code civil autorise le propriétaire d'un fonds à réaliser des travaux, les tribunaux ont néanmoins tenu à tempérer le caractère absolu du droit de propriété à l’effet, notamment, de protéger les voisins contre les désagréments excessifs imputables à la réalisation d’une construction, à la tenue d’un chantier ou encore à la rénovation d’un ouvrage. À l'origine, seule la théorie de l'abus de droit permettait d'engager la responsabilité de l’intéressé, ce qui supposait non seulement de rapporter la preuve de l'existence d'un dommage, mais aussi celle d'une intention de nuire, constituée par l'absence d'utilité de l'acte dommageable (Cass. req., 3 août 1915, 00-02.378. Civ. 3e, 19 févr. 1971, n° 69-10.913. Civ. 3e, 20 mars 1978, n° 76-12.598). Cette lourdeur probatoire pour la victime du trouble a sans doute conduit la Cour de cassation à le libérer de la rigueur du régime de l'abus de droit en détachant la notion d'inconvénients anormaux de voisinage de l'exigence d'une intention de nuire. Aussi a-t-elle mis sur pied un régime autonome de responsabilité : il faut et il suffit que le trouble revête un caractère anormal pour que son auteur soit tenu de le réparer (Civ. 27 nov. 1844). Encore faut-il savoir où se situe exactement le seuil de nuisance à partir duquel apparaît l’anormalité. Sa fixation est, en principe, laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond, en sorte que l’anormalité s’apprécie in concreto. Ainsi a-t-il été rappelé aux termes d'un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 21 octobre 2009 (Civ. 3e, 21 oct. 2009, n° 08-16.692) que devait être approuvé un arrêt de cour d'appel qui avait considéré que la perte d'un avantage d'ensoleillement dans le cadre d'un lotissement n'était pas nécessairement constitutif d’un trouble anormal de voisinage. La motivation de l'arrêt se rattachait aux éléments relatifs à « l'anormalité » du trouble, lesquels se révèlent parfois trop peu examinés par les juridictions du fond, aboutissant à nourrir de manière injustifiée le contentieux.
L'appréciation de l'anormalité du trouble en matière d'ensoleillement relève donc, comme en matière de trouble anormal de voisinage en général, des circonstances de l'espèce. Ainsi a-t-elle pu être caractérisée par la perte d'ensoleillement subie par le propriétaire d'un appartement et d'une villa consécutivement à la construction d'un immeuble de six étages (Civ. 3e, 14 janv. 2004, n° 02-18.564). En l’espèce, c’était de fait la hauteur de la construction édifiée qui entravait anormalement l’ensoleillement des propriétaires. En revanche, celle-ci n’a pas été retenue dans l’hypothèse d’une perte d'ensoleillement d'une propriété causée par la construction d’un garage par son voisin, la propriété des demandeurs étant située dans un lotissement et dans un type d'habitat générant normalement des inconvénients de voisinage, la perte d'ensoleillement telle que démontrée ne pouvant être considérée comme constituant un trouble les excédant (Civ. 3e, 24 juin 2008, n° 07-14.975). En l’espèce, la localisation fut également déterminante, la réalisation des constructions, souligne la Cour, ayant eu lieu en zone urbaine, dans un secteur non spécialement protégé, sans que soit établie que la luminosité de la maison des demandeurs ait été affectée dans des proportions excédant les risques normaux encourus en milieu urbain. Surtout, les constructions édifiées n’avaient manifestement, selon les constatations des juges du fond, qu’une faible incidence sur leur ensoleillement. Quant au trouble invoqué de la perte d’intimité causé par la réalisation des mêmes constructions, celui-ci ne pouvait pas davantage être vu comme anormal, dès lors que la simple plantation d’une haie végétale par les demandeurs aurait permis de diminuer voire de supprimer la perte d’intimité dénoncée.
« Ôte-toi de mon soleil » répondait déjà Diogène à Alexandre le Grand, tout de même plus impressionnant qu’un voisin de lotissement.
Civ. 3e, 29 septembre 2015, n° 14-16.729.
Références
■ Code civil
■ Cass. req., 3 août 1915, n° 00-02.378 : DP 1917, 1, p. 79.
■ Civ. 3e, 19 févr. 1971, n° 69-10.913 : Bull. civ. III, n° 134.
■ Civ. 3e, 20 mars 1978, n° 76-12.598 : Bull. civ. III, n° 128.
■ Civ. 27 nov. 1844, DP 45.1.13.
■ Civ. 3e, 21 oct. 2009, n° 08-16.692, D. 2010. 2183, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; ibid. 2468, obs. F. G. Trébulle ; AJDI 2010. 388, obs. D. Tomasin ; RDI 2010. 161, obs. F. Nési.
■ Civ. 3e, 14 janv. 2004, n° 02-18.564, D. 2004. 2409, obs. N. Reboul-Maupin.
■ Civ. 3e, 24 juin 2008, n° 07-14.975, RDI 2009. 106, obs. E. Gavin-Millan-Oosterlynck.
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