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Droit européen et de l'Union européenne
La police est tenue d’assurer le déroulement pacifique des manifestations
Mots-clefs : Homophobie, Manifestation, ONG, Protection policière, Convention européenne des droits de l’homme, Liberté de manifestation, Discrimination
Lors d’une manifestation contre l’homophobie, les autorités ont l’obligation de fournir une protection suffisante en vue de prévenir les violences éventuelles et d’assurer un déroulement pacifique, sous peine de violer les articles 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants), 11 (liberté de réunion et d’association) et 14 (interdiction de la discrimination) de la Convention européenne des droits de l’homme.
Dans l’affaire rapportée en l’espèce, une organisation non gouvernementale (ONG) Identoba, de promotion et de protection des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres a informé les autorités géorgiennes de son intention d’organiser dans la capitale une manifestation pacifique à l’occasion de la journée internationale contre l’homophobie. Craignant des débordements, l’ONG a également demandé une protection suffisante pour faire face aux violences éventuelles. La manifestation a, toutefois, été perturbée par une centaine de contre-manifestants particulièrement virulent qui ont insulté et agressé physiquement les requérants. Malgré les appels à l’aide, les policiers présents sur les lieux ne sont pourtant pas intervenus et auraient répondu que, ne faisant pas partie de la patrouille de police, ils n’avaient pas à agir. Par la suite, plusieurs manifestants ont été arrêtés et brièvement détenus pour certains, ou mis à l’écart dans un véhicule de police. Selon le Gouvernement, ces mesures étaient destinées à les protéger des contre-manifestants.
A la suite de ces événements, les requérants – l’ONG et quatorze manifestants – ont déposé plainte, demandant l’ouverture d’une enquête pénale sur les attaques dont ils ont été victimes de la part des contre-manifestants ainsi que sur les actes et omissions des policiers. A ce jour, les enquêtes sont toujours pendantes.
Invoquant les articles 3 et 14 de la de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH), les requérants ont saisi la Cour européenne au motif que les autorités locales ne les avaient pas protégés des violences commises par les contre-manifestants et n’avaient pas mené d’enquête effective sur les événements et notamment au sujet du mobile discriminatoire des attaques. Aux visas des articles 10, 11 et 14 de la Convention, ils affirment ne pas avoir pu tenir la manifestation en raison des agressions subies et de l’inaction des policiers.
Tout l’enjeu était de déterminer si les autorités devaient assurer la sécurité des manifestants. Pour répondre à cette question, la Cour a tout d’abord examiné le grief relatif à la passivité policière et le manque d’enquête effective et ensuite, le grief relatif à la tenue de leur manifestation.
Dans un premier temps, la Cour rappelle que les mauvais traitements doivent atteindre un certain niveau de sévérité pour tomber sous l’empire de l’article 3 de la Conv. EDH. Elle souligne également qu’il peut s’agir de mauvais traitements basé sur un préjugé lié à l’orientation sexuelle (§ 65. – CEDH, 27 sept. 1999, Smith et Grady c/ Royaume-Uni, n° 33985/96 et 33986/96, § 121). En l’espèce, issus de deux groupes religieux, les contre-manifestants ont proféré des slogans insultants à connotation homophobe et clamé des discours de haine avant d’encercler et d’agresser les manifestants. Les attitudes hostiles à l’égard des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) sont largement répandues en Géorgie comme l’indique notamment le rapport de septembre 2014 établie par le Commissaire aux droits de l’homme (§ 38). Partant, la Cour considère que les attaques subies par les manifestants avaient nécessairement un caractère discriminatoire et constituaient un facteur aggravant dans la commission d’une infraction. En outre, elle affirme que les violences avaient un caractère prévisible au vue du climat d’hostilité qui règne dans le pays à l’égard de la communauté LGBT. Ainsi, elle rappelle l’obligation qui incombe aux autorités de prendre toutes les mesures adéquates pour assurer la protection (§ 66) mais également leur obligation de mener une enquête effective afin notamment de découvrir d’éventuel motif discriminatoire (§ 67. – CEDH, gr. ch., 6 juill. 2005, Natchova et a.c/ Bulgarie, n° 43577/98 et 43579/98, § 160). La Cour conclut à la violation des articles 3 et 14 de la Convention (§ 80).
Dans un second temps, la Cour examine le second grief essentiellement sous l’angle de l’article 11 de la Conv. EDH (droit de réunion et d’association) mais à la lumière des principes dégagés par les articles 10 (liberté d’expression) et 14 (interdiction de discrimination). Elle considère que les conclusions relatives au premier grief sont également pertinentes concernant le grief tiré de l’article 11 (§ 98). En effet, les autorités avaient été prévenues de la manifestation et, au vue de l’hostilité de la société géorgienne à l’égard des minorités sexuelles, elles savaient ou auraient dû savoir qu’il y avait des risques de débordement. Les autorités avaient ainsi l’obligation de recourir à tous les moyens possible pour assurer un déroulement pacifique de la manifestation et contenir les contre-manifestants. La Cour conclut donc à une violation de l’article 11 combiné avec l’article 14 de la Convention (§ 100).
CEDH, 12 mai 2015, Identoba et autres c/ Géorgie, n° 73235/12 (L’arrêt n’existe qu’en anglais)
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 3
Interdiction de la torture. Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.
Article 10
Liberté d'expression. 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.
Article 11
Liberté de réunion et d'association. 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'État.
Article 14
Interdiction de discrimination. La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.
■ CEDH, 27 sept. 1999, Smith et Grady c/ Royaume-Uni, n° 33985/96 et 33986/96.
■ CEDH, gr. ch., 6 juill. 2005, Natchova et a.c/ Bulgarie, n° 43577/98 et 43579/98.
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