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Droit des successions et des libéralités
La possession du bien légué n’exclut pas l'action en délivrance
Si le légataire particulier devient, dès l'ouverture de la succession, propriétaire de la chose léguée, il reste tenu, pour faire reconnaître son droit, de demander la délivrance du legs, même lorsqu’il a été mis en possession de cette chose par le testateur avant le décès ; en l’absence d’une telle demande, la prescription court et une fois l'action en délivrance du légataire particulier prescrite, ce dernier ne peut plus se prévaloir de son legs, ni prétendre aux fruits de la chose léguée.
Civ. 1re, 21 juin 2023, n° 21-20.396
La Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de préciser, en application de l’article 1014 du Code civil, que si le légataire particulier devient, dès l'ouverture de la succession, propriétaire de la chose léguée, il est néanmoins tenu, pour faire reconnaître son droit, de demander la délivrance du legs (Civ. 1re, 22 oct. 1975, n° 74-11.694). Dans l’arrêt rapporté, la Haute juridiction apporte une précision supplémentaire en indiquant qu’il en est ainsi « peu important qu'il ait été mis en possession de cette chose par le testateur avant son décès ».
En l’espèce, un mois précédant son décès, une testatrice avait institué par testament authentique une légataire à titre particulier des biens et droits immobiliers de deux biens dont elle était propriétaire. Dès avant le décès, la légataire avait été mise en possession du premier bien légué et une fois le décès survenu, s’était maintenue dans les lieux. Un conflit naquit alors entre les héritiers réservataires de la testatrice, ayant laissé deux fils pour lui succéder, et la légataire instituée. Les premiers contestaient le droit de la seconde dont l’action, en l’absence de demande de délivrance de son legs, se trouverait prescrite, privant ainsi la légataire de tous ses droits sur les biens objets du legs. En ce sens, les enfants de la défunte sollicitaient sa condamnation au paiement d’une indemnité d’occupation à compter de la date du décès pour le premier des biens occupés et réfutaient son droit aux loyers sur le second, un local commercial. La légataire leur opposa le fait qu’elle avait été mise en possession des biens légués du vivant de la testatrice et qu’à ce titre, elle n’avait jamais été tenue de faire une demande de délivrance pour bénéficier de leur pleine jouissance. Cet argument prospéra devant la cour d’appel qui retint que le légataire mis en possession du bien légué par le testateur avant son décès et qui se maintient en possession après le décès n’est pas tenu de faire une demande de délivrance pour se prévaloir de son legs. Soutenue par les héritiers réservataires devant la Cour de cassation, la thèse contraire emporta l’adhésion des hauts magistrats, censurant l’arrêt d’appel qui avait à tort pris en compte l’antériorité au décès de la prise de possession des bien légués pour reconnaître le droit de la légataire de disposer et de jouir de l’un d’eux, rejeter la demande des héritiers en paiement d'une indemnité pour son occupation du bien depuis le décès, et écarter en conséquence le moyen tiré de la prescription de l'action en délivrance. Répondant au premier moyen, la première chambre civile considère, au visa de l’article 1014 du code civil, que si le légataire particulier devient, dès l’ouverture de la succession, propriétaire de la chose léguée, il est néanmoins tenu, pour faire reconnaître son droit, de demander la délivrance du legs, peu important qu’il ait été mis en possession de cette chose par le testateur avant son décès (§ 3). Sur le fondement des articles 1014, alinéa 2, et 2219 du code civil, elle précise ensuite que « le légataire particulier ne pourra se mettre en possession de la chose léguée, ni en prétendre les fruits ou intérêts, qu’à compter du jour de sa demande en délivrance, formée suivant l’ordre établi par l’article 1011, ou du jour auquel cette délivrance lui aurait été volontairement consentie » (§ 7). Enfin, elle rappelle que « la prescription extinctive est un mode d’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps », ce dont il résulte que « lorsque l’action en délivrance du légataire particulier est atteinte par la prescription, celui-ci, qui ne peut plus se prévaloir de son legs, ne peut prétendre aux fruits de la chose léguée ». Elle censure ainsi, sur le second moyen, l’arrêt de la cour d’appel qui, après avoir dit que l'action en délivrance du legs portant sur l’un des biens légués était prescrite, avait retenu que la légataire était créancière des loyers nets produits à compter de la date de ses conclusions devant le premier juge, valant demande de délivrance des legs.
Même s’il est possesseur au moment du décès, le légataire à titre particulier doit donc demander la délivrance de son legs aux héritiers faute de quoi, il ne peut exercer les droits et actions relatifs aux biens légués. Ainsi la Cour de cassation complète-t-elle sa jurisprudence antérieure dans un sens conforme aux textes. Droit d’entrée en possession du légataire non saisi qui, à défaut, n’est pas autorisé à exercer ses droits, la délivrance du legs est indispensable à l’entrée en possession de la chose léguée et au droit d’en retirer les fruits. Exigée du légataire particulier, qui doit former sa demande auprès des héritiers réservataires, cette demande de délivrance a pour objet de permettre aux héritiers de vérifier la validité du titre (en l’espèce, un testament authentique), quand bien même le légataire serait propriétaire dès le décès de l’auteur du legs. Si aucune formalité spécifique n’est requise, cette demande doit toutefois se manifester de façon suffisamment claire et univoque pour permettre aux héritiers réservataires d’exercer une « police de l’hérédité », ce qui explique que le maintien dans les lieux par la légataire après le décès de la testatrice ne pouvait, en l’espèce, constituer une demande valable en délivrance.
La demande valable de délivrance n’ayant été formulée qu’à l’occasion de la procédure judiciaire, soit le 29 septembre 2017, date des conclusions de la légataire et plus de sept années après le décès, la prescription était acquise. La Haute cour en tire les conséquences drastiques suivantes : la légataire se trouve privée de tous ses droits sur les biens. La perte conjuguée de son droit de propriété et de son droit aux fruits conduira sans nul doute la cour d’appel de renvoi à prononcer à son encontre une indemnité d’occupation au profit de la succession.
Les légataires particuliers se trouvent ainsi avertis : ils doivent demander avec clarté et célérité la délivrance du bien légué. Ceci posé, encore leur faut-il connaître le délai de prescription applicable à l’action en délivrance, ce que ne précise pas ici la Cour. Cette lacune est regrettable tant la question est âprement discutée depuis la réforme de 2008. Alors que la prescription trentenaire semblait acquise, ce délai est désormais remis en cause, sauf en présence d’un legs sur un immeuble dans la mesure où l’action du légataire peut être rapprochée de l’action en délivrance contre le vendeur de l’immeuble (Rép. pr. civ., v° Recueil de la succession, par V. Egea, n° 134). Sous cette réserve, l’alternative entre le délai quinquennal de droit commun (C. civ., art. 2224) et le délai décennal de prescription de l’action successorale (C. civ., art. 780) demeure sans que la Cour de cassation n’ait, pour l’heure, opté expressément pour l’une ou l’autre de ses branches. Implicitement cependant, la décision rapportée signe le choix du délai quinquennal. En effet, la mise en relation des dates du litige et de la solution rendue par la Cour de cassation exclut ipso facto la prescription trentenaire, de même que le délai décennal attaché à la prescription successorale En ce sens, il est relevé qu’il s’est écoulé plus de sept ans entre le décès de la testatrice et la formalisation de la demande de délivrance dans les écritures de la légataire (§ 6) et le moyen des requérants se fonde sur la prescription quinquennale. La Cour, en jugeant prescrite l’action en délivrance intervenue près de sept ans après le décès de la testatrice applique donc la prescription du droit commun. Espérons que la solution en l’espèce retenue soit à l’avenir formellement énoncée à titre de principe. Affaire à suivre…
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