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Droit des sûretés et de la publicité foncière
La prescription de l’hypothèque consentie pour garantir la dette d’autrui
La sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire l’obligation d’autrui, elle n’est pas un cautionnement. Limitée au bien affecté en garantie, elle est soumise à la prescription trentenaire et non à la prescription quinquennale de droit commun prévue par l’article 2224 du Code civil pour les actions personnelles ou mobilières.
Com. 2 juin 2021, n° 20-12.908
Depuis la décision rendue le 2 décembre 2005 par la chambre mixte de la Cour de cassation (Cass., ch. mixte, 2 déc. 2005, n° 03-18.210), il est acquis que le « cautionnement réel », qui consiste à consentir une sûreté réelle pour garantir la dette d'un tiers, n’implique aucun engagement personnel à satisfaire à l'obligation d'autrui et s’analyse comme une sûreté réelle.
L’arrêt commenté, rendu par la chambre commerciale le 2 juin 2021, tire toutes les conséquences de cette analyse.
Dans cette affaire, une banque avait accordé le 15 avril 1988 une ouverture de crédit à une société. Par acte notarié du 16 février 1993, des époux se portèrent cautions des sommes dues par la société débitrice principale à la banque et consentirent également à cette dernière une hypothèque sur un ensemble de biens immobiliers leur appartenant. La société débitrice principale fut, par la suite, placée en redressement judiciaire. Des années plus tard, les époux assignèrent la banque pour que soit judiciairement constatée l’extinction, par la prescription, des hypothèques consenties. La cour d’appel fit droit à la demande et ordonna la radiation des inscriptions. La banque se pourvut en cassation, contestant le délai de prescription appliqué à son action sur les immeubles hypothéqués.
La question posée par cette affaire consistait à déterminer le délai de prescription applicable à l’hypothèque. Les époux constituants, approuvés par la cour d’appel, considéraient que la prescription quinquennale de droit commun, prévue en matière d’actions personnelles ou mobilières depuis la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 par l’article 2224 du Code civil, avait vocation à s’appliquer. L’arrêt attaqué jugea ainsi que la banque aurait dû agir avant le 19 juin 2013, c'est-à-dire avant l’expiration du délai de cinq ans courant à compter de l’entrée en vigueur de la loi de 2008. La banque, quant à elle, soutenait que la nature réelle de la sûreté consentie par les époux devait conduire à soumettre l’action à la prescription trentenaire de l’article 2227 du même code, prévue en matière d’actions réelles immobilières. La Cour de cassation valide ce raisonnement et énonce que « la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire l’obligation d’autrui, elle n’est pas un cautionnement. Limitée au bien affecté en garantie, elle est soumise à la prescription trentenaire et non à la prescription quinquennale de droit commun prévue par l’article 2224 du Code civil pour les actions personnelles ou mobilières ».
■ Les enseignements de l’arrêt
Cet arrêt s’inscrit dans le prolongement de la décision précitée de la chambre mixte du 2 décembre 2005 et en déduit des enseignements utiles quant à la prescription applicable à l’action du créancier.
L’arrêt commenté réaffirme qu’aucune des règles relatives au cautionnement n’est applicable à l’hypothèque consentie pour garantir la dette d’autrui. Cette sûreté s’analysant exclusivement comme une sûreté réelle, elle s’éteint par la prescription dans les mêmes conditions que l’hypothèque elle-même.
L’arrêt est ainsi rendu au visa de l’article 2488 du Code civil qui dresse la liste des différentes causes d’extinction de l’hypothèque et qui énonce, à ce titre, la prescription. L’article 2488, 4° du Code civil opère alors une distinction selon que le bien hypothéqué se trouve dans les mains du débiteur ou entre celles d’un tiers détenteur. Le texte, en effet, réserve au seul tiers détenteur la possibilité d’obtenir l’extinction de l’hypothèque par la voie principale en soulevant la prescription de celle-ci. Le débiteur, quant à lui, ne peut invoquer que la prescription de la créance garantie, ce qui provoque, par la voie accessoire, l’extinction de l’hypothèque.
La situation de la caution réelle, qui n’est ni débiteur, ni tiers détenteur, n’est en revanche nullement envisagée par le texte et ne correspond à aucun de ces deux cas de figure. La doctrine considère toutefois que le sort de la caution réelle doit être aligné sur celui du débiteur et que, par conséquent, la caution réelle ne peut invoquer que la prescription de l’obligation garantie sans pouvoir soulever, par la voie principale, la prescription de l’hypothèque (V. en ce sens : P. Simler, P. Delebecque, Les sûretés, La publicité foncière, Précis Dalloz, 2016, 7e éd. n° 571 ; S. Piedelièvre, Hypothèque Rép. pr. civ., n° 669 ).
La décision commentée remet toutefois en cause cette analyse puisqu’elle retient que celui qui a hypothéqué son immeuble pour garantir la dette d’autrui peut, à l’instar du tiers détenteur, obtenir l’extinction de l’hypothèque par la prescription.
L’hypothèque conférant au créancier un droit réel sur les immeubles grevés, l’arrêt précise logiquement que la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’autrui est soumise à la prescription trentenaire prévue par l’article 2227 du Code civil en matière d’action réelle immobilière. L’arrêt de la cour d’appel, qui avait accueilli la demande des époux constituants en estimant que le délai de prescription applicable à l’action du créancier était le délai quinquennal de droit commun, ne pouvait donc qu’être cassé.
■ Les perspectives de réforme
On notera avec intérêt que l’avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des sûretés prévoit de consacrer la notion de sûreté réelle constituée pour garantir la dette d’autrui. En l’état actuel du projet, il est prévu de préciser à l’article 2325 du Code civil que « La sûreté réelle conventionnelle peut être constituée par le débiteur ou par un tiers. Lorsqu’elle est constituée par un tiers, le créancier n’a d’action que sur le bien affecté en garantie. Les dispositions des articles 2300, 2302 à 2306, 2311 à 2316 et 2319 sont alors applicables. »
Ainsi, tout en confortant l’analyse de la jurisprudence quant à la nature réelle de la sûreté consentie pour garantir la dette d’un tiers, le nouveau texte devrait offrir au garant le bénéfice d’un certain nombre de dispositions protectrices de la caution. Le créancier devrait ainsi se voir imposer un devoir de mise en garde lorsque l’engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier et être soumis aux même obligations d’information que celles qu’il doit à la caution. Enfin, le garant comme la caution devrait pouvoir opposer au créancier le bénéfice de subrogation.
Rien n’est en revanche précisé concernant la prescription de la sûreté réelle consentie pour autrui. La lecture du futur article 2472 permet cependant de douter de la pérennité de la solution rendue par le présent arrêt. L’avant-projet d’ordonnance prévoit, en effet, de supprimer la prescription des causes d’extinction de l’hypothèque. Les rédacteurs de l’avant‑projet justifient cette suppression en arguant que « La référence à la prescription n’est pas reprise car elle est obscure et inutile, comme le souligne la doctrine : c’est la prescription de la créance garantie qui importe (laquelle est envisagée au titre du 1°) et entraine l’extinction par accessoire de l’hypothèque ». L’extinction par la voie principale de l’hypothèque, qu’elle soit constituée par le débiteur ou, comme en l’espèce, par un tiers, ne devrait donc plus être envisageable.
Références
■ Fiches d’orientation Dalloz : Hypothèque ; Sûretés
■ Cass., ch. mixte, 2 déc. 2005, n° 03-18.210 P : D. 2006. 729, concl. J. Sainte-Rose ; ibid. 61, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 733, note L. Aynès ; ibid. 1414, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 2855, obs. P. Crocq ; AJ fam. 2006. 113, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2006. 357, obs. B. Vareille ; ibid. 594, obs. P. Crocq ; RTD com. 2006. 465, obs. D. Legeais ; BICC n° 632, 15 janv. 2006, p. 44, rapp. Foulquié et avis J. Sainte-Rose ; Defrénois 2006, art. 38469, n° 56, p. 1600, obs. G. Champenois ; Banque et droit, n° 105, janv.-févr. 2006, p. 55, obs. F. Jacob ; CCC 2006, n° 61, obs. L. Leveneur ; JCP 2005. II. 10183, note P. Simler ; adde B. Beignier, Bicentenaire d'Austerlitz : le Trafalgar du cautionnement réel, Dr. fam. 2006. Étude 13.
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