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Libertés fondamentales - droits de l'homme
La présence d’une personne condamnée pour avoir participé activement à un réseau d’immigration illégale constitue-t-elle une menace grave pour la société justifiant le retrait de son statut de réfugié ?
Si les infractions pénales commises par un réfugié ne justifient pas, à elles seules, de mettre fin à son statut de réfugié, la seule circonstance qu’il ait été condamné pour des faits qui, lorsqu'ils ont été commis, établissaient que sa présence constituait une menace grave pour la société, et qu’il se soit abstenu, après sa libération, de tout comportement répréhensible, n'implique pas, par elle-même, au moins avant l'expiration d'un certain délai, et en l'absence de tout autre élément positif significatif en ce sens, que cette menace ait disparue.
Une personne de nationalité afghane bénéficiant de la qualité de réfugié par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) depuis le 5 mai 2011, s’est ensuite vue retirer ce statut par une décision du 23 novembre 2018 prise en application du 2° de l'article L. 711-6 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) au motif que sa présence en France constituait une menace grave pour la société.
En effet, l’OFPRA a effet mis fin à son statut de réfugié à la suite d’une condamnation à une peine de quatre ans d'emprisonnement pour aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France ou dans un État partie à la convention de Schengen, en bande organisée, et pour participation à association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un délit puni de dix ans d'emprisonnement, ainsi, à titre complémentaire, qu'à une interdiction du territoire français pour une durée de dix ans.
Toutefois, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a annulé cette décision en mars 2020 et a rétabli le bénéfice de son statut de réfugié. L’OFPRA s’est alors pourvu en cassation devant le Conseil d’État qui vient d'annuler la décision de la CNDA.
■ Les conditions de retrait du statut de réfugié au sens de l’article L. 511-7 du CESEDA ( art. L. 711-6, 2° art. avant le 1er mai 2021).
L'article L. 511-7 (ex. L. 711-6) du CESEDA est issu de la transposition des dispositions du 4. de l'article 14 de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011. Le Conseil d’État a été amené à plusieurs reprises à en préciser la portée, notamment concernant l’interprétation du 2° de cet article.
Ainsi, une décision du 19 juin 2020 (n° 428140 ; V. également : CE 10 déc. 2020, n° 425040 et CE 12 févr. 2021, n° 431239) précise que : « la possibilité de refuser le statut de réfugié ou d'y mettre fin, qui est sans incidence sur le fait que l'intéressé a ou conserve la qualité de réfugié dès lors qu'il en remplit les conditions, est subordonnée à deux conditions cumulatives » :
- vérifier si l'intéressé a fait l'objet de l'une des condamnations visées par le 2° de l’article L. 711-6 du CESEDA (crime ou délit constituant un acte de terrorisme ou puni de 10 ans d'emprisonnement) ;
- apprécier si sa présence sur le territoire français est de nature à constituer, à la date de leur décision, une menace grave pour la société française, si sa présence est de nature à affecter un intérêt fondamental de la société, compte tenu des infractions pénales commises - lesquelles ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une décision refusant le statut de réfugié ou y mettant fin - et des circonstances dans lesquelles elles ont été commises, mais aussi du temps qui s'est écoulé et de l'ensemble du comportement de l'intéressé depuis la commission des infractions ainsi que de toutes les circonstances pertinentes à la date à laquelle ils statuent.
En l’espèce, la première des deux conditions, tenant à l'existence d'une condamnation en dernier ressort pour un délit puni de dix ans d'emprisonnement, est remplie et ne pose pas de difficulté particulière d’interprétation.
En revanche, c’est la seconde condition qui pose question. À ce sujet, le Conseil d’État vient préciser qu’il convient pour l'OFPRA et, en cas de recours, à la CNDA, d’estimer le degré de gravité de la menace pour la société de la présence de cet homme sur le territoire français. Celle-ci est-elle de nature à affecter un intérêt fondamental de la société, compte tenu des infractions pénales commises (ces infractions ne pouvant justifier, à elles seules, une décision refusant le statut de réfugié ou y mettant fin) et des circonstances dans lesquelles elles ont été commises, mais aussi du temps qui s'est écoulé et de l'ensemble du comportement de l'intéressé depuis la commission des infractions ainsi que de toutes les circonstances pertinentes à la date à laquelle ils statuent ?
Si la CNDA a estimé que la présence en France de cet homme de nationalité afghane ne constituait pas une menace grave pour la société, en raison d’un comportement exemplaire en détention, de l’absence d'éléments laissant supposer qu'il continuait d'entretenir des liens avec ses anciens complices, du fait qu’il n’avait pas été défavorablement remarqué depuis sa libération en janvier 2015, qu'il vivait désormais avec son épouse, dont il avait eu un enfant, et qu'il avait démontré une stabilité professionnelle et affective et une volonté avérée d'intégration au sein de la société française, le Conseil d’État rappelle toutefois qu’il a été condamné pour son implication dans l'organisation d'un réseau d'immigration clandestine à destination de divers pays européens dont il était un des principaux instigateurs, et était, à la date de la décision attaquée, toujours sous le coup d'une interdiction judiciaire du territoire français d'une durée de dix ans.
Ainsi, même si cet homme affirme avoir cessé tout lien avec les membres de son réseau, n'a pas attiré l'attention des autorités depuis sa libération et a une situation familiale stable ; ces éléments ne permettent pas de tenir pour acquis que sa présence en France ne constituait plus, à la date de la décision attaquée, une menace grave pour la société française.
La décision de la CNDA qui avait rétabli son statut de réfugié est donc annulée par le Conseil d’État.
Références
■ CE 19 juin 2020, n° 428140 B : AJDA 2020. 1317
■ CE 12 févr. 2021, n° 431239 : DAE 10 mars 2021, note Christelle de Gaudemont ; AJDA 2021. 366 ; AJ fam. 2021. 147
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