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Droit des obligations
La preuve de la fausse cause ou la preuve « contre » un écrit
Mots-clefs : Reconnaissance de dette, Cause, Mention dans l’acte, Preuve par écrit
Dans les rapports entre les parties, la preuve de la fausseté de la cause exprimée à l'acte doit être administrée par écrit, dans les conditions prévues par l'article 1341 du Code civil.
L'article 1131 du Code civil énonce que « l'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet ». C'est celui qui invoque l'une de ces trois causes de nullité qui supporte la charge de la preuve, que la cause de l'acte soit mentionnée ou pas dans l'écrit (Civ. 1re, 21 juin 2005). En revanche, la mention ou l'absence de mention de la cause dans l'acte peut avoir des conséquences sur les modes de preuve admissibles, comme en témoigne l’arrêt commenté.
En l’espèce, une femme établit au profit de son ancien concubin une reconnaissance de dette en remboursement de plusieurs prêts acquittés par lui et du règlement de divers travaux. L’engagement a alors pour cause la dette, globale, à acquitter. Après assignation de l’ancienne concubine en règlement des sommes dues, celle-ci fait valoir, pour se libérer d’une partie des sommes réclamées, la fausseté partielle de la cause exprimée dans l’acte. Contrairement aux juges de première instance, exigeant que la preuve d’une telle fausseté soit rapportée par écrit, les juges d’appel se fondent sur une mesure d’expertise judiciaire pour dire l’acte ainsi vicié. Comment alors prouver la fausseté partielle de la cause mentionnée dans un acte de reconnaissance de dette ? À cette question, la Cour de cassation répond que « dans les rapports entre les parties, la preuve de la fausseté de la cause exprimée à l'acte doit être administrée par écrit, dans les conditions prévues par l'article 1341 du Code civil ». Ainsi rappelle-t-elle cette règle classique de la preuve « contre » un écrit prévue à l’article 1341 du Code civil. Ce principe signifie qu’un écrit ne peut être combattu que par un autre écrit et ce même lorsque l’acte contesté n’était pas soumis à l’exigence d’un écrit. Néanmoins, l’application de cette règle n’est pas systématique : elle dépend de la mention de la cause dans l’acte. C'est évidemment lorsque la cause est mentionnée dans l'acte que la preuve de l'absence de cause apparaît le plus comme une preuve « contre » l'écrit. Or, lorsque la cause est attaquée pour fausseté, elle aura, la plupart du temps, été mentionnée dans l'acte litigieux. Il s'agit bien alors, comme en l’espèce, de prouver « contre » l'écrit et sur ce point, la jurisprudence est invariable (v. dans le cas d'une reconnaissance de dette consécutive au détournement de plusieurs chèques, Com. 14 mars 2006 ; dans le même sens, pour une reconnaissance de dette, Civ.1re, 6 févr. 1968 ; Civ. 1re, 8 oct. 1980 ; Civ. 1re, 4 juill. 1995 ; pour un acte qualifié de prêt, Civ. 1re, 16 déc. 1963 ; pour un acte qualifié de dépôt, Crim. 26 févr. 1963). Les juges réservent néanmoins une exception, habituelle, en cas de fraude : si le caractère mensonger de la cause portée à l'acte est frauduleux, ce qui est souvent le cas, la preuve redevient libre, conformément à l'article 1353 du Code civil (Req., 14 juin 1880 ; Civ. 1re, 4 juill. 1995).
Dans le sens de la règle ici rappelée, la Cour de cassation revient également au système de la preuve libre toutes les fois qu’une absence de cause est alléguée alors que l'acte est muet sur ce point. Il ne s'agit plus, en effet, de prouver « contre » l'acte et la Cour de cassation en déduit qu'on peut prouver par tous moyens que la cause est inexistante (v. dans le cas de bons de caisse s'apparentant à des reconnaissances de dette, Com. 12 oct. 1982). La preuve n'en est pas moins difficile à rapporter puisqu'il s'agit, en définitive, d'établir un fait négatif ; aussi la jurisprudence fait-elle preuve d'une certaine souplesse, admettant que « pour déterminer quelle a été la commune intention des parties à un acte, il n'est pas interdit aux juges du fond de relever le comportement ultérieur des contractants » (Civ. 1re, 13 déc. 1988). En revanche, si les parties ont sciemment mentionné dans l'écrit une cause inexistante, on se trouve en réalité face à une « fausse cause » dont la preuve devra être rapportée par écrit.
Mieux vaudrait donc, parfois, ne point trop en dire…
Civ. 1re, 23 févr. 2012, n°11-11.230, F-P+B+I
Références
[Droit civil]
« • Existence de la cause. Dans le droit des obligations, la cause de l’obligation du débiteur est le but immédiat et direct qui le conduit à s’engager. On oppose à la cause, ainsi définie, le motif qui est un mobile personnel, subjectif et lointain. La cause est, au contraire, objective; nécessaire à la validité des actes juridiques, elle est toujours la même pour chaque catégorie d’actes (par ex. : dans un contrat synallagmatique, la cause de l’obligation de l’une des parties réside dans l’objet de l’obligation de l’autre; dans un acte à titre gratuit, la cause est l’intention libérale).
• Licéité de la cause. La notion de cause, lorsqu’elle est envisagée sous l’aspect de sa licéité ou de sa légalité, recouvre les motifs personnels qui conduisent une partie à contracter. Lorsque le motif est illicite (contraire à la morale, à l’ordre public), il entraîne la nullité de l’acte à la double condition d’être la cause impulsive et déterminante de l’opération et d’avoir été connu de l’autre partie. »
[Droit privé]
Acte par lequel une personne reconnaît unilatéralement devoir une certaine somme ou un bien fongible à une autre personne; sa validité est subordonnée à la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres.
■ Code civil
« L'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet. »
« Il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de toutes choses excédant une somme ou une valeur fixée par décret, même pour dépôts volontaires, et il n'est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu'il s'agisse d'une somme ou valeur moindre.
Le tout sans préjudice de ce qui est prescrit dans les lois relatives au commerce. »
« Les présomptions qui ne sont point établies par la loi, sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes, et dans les cas seulement où la loi admet les preuves testimoniales, à moins que l'acte ne soit attaqué pour cause de fraude ou de dol. »
■ Civ. 1re, 21 juin 2005, Bull. civ. I, n° 270.
■ Com. 14 mars 2006, Bull. civ. IV, n° 66.
■ Civ.1re, 6 févr. 1968, Bull. civ. I, n° 50.
■ Civ. 1re, 8 oct. 1980, Bull. civ. I, n° 250.
■ Civ. 1re, 4 juill. 1995, n°93-16.236.
■ Civ. 1re, 16 déc. 1963, Bull. civ. I, n° 554.
■ Crim. 26 févr. 1963, Bull. crim., n° 91.
■ Req., 14 juin 1880, DP 1881, 1, 317.
■ Civ. 1re, 4 juill. 1995, JurisData n° 1995-002290.
■ Com. 12 oct. 1982, Bull. civ. IV, n° 306.
■ Civ. 1re, 13 déc. 1988, Bull. civ. I, n° 352.
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