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[ 11 mars 2021 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

La preuve des heures supplémentaires et du respect de la durée maximale de travail

Les litiges relatifs à l’existence ou au nombre d’heures supplémentaires ne fléchissent pas. Depuis un an, la Cour de cassation fait œuvre de pédagogie pour expliquer le rôle du salarié, de l’employeur et du juge en matière probatoire. Un arrêt du 3 février 2021 permet de bien identifier sur qui pèse la charge de la preuve.

Soc. 3 février 2021, n° 19-21.153

Les faits de l’espèce sont classiques. Après avoir démissionné, un cadre saisit la juridiction prud’homale de diverses demandes liées au paiement d’heures supplémentaires et ses dérivées (repos compensateur, contrepartie obligatoire en repos, travail dissimulé). Il ajoute une demande de dommages-intérêts pour non-respect des durées maximales de travail et de temps de repos. Il est débouté de l’intégralité de ces demandes aux motifs que les éléments probatoires qu’il apporte sont insuffisants. La Cour de cassation casse cette décision, offrant l’occasion de rappeler le schéma probatoire. Les règles ne sont pas les mêmes concernant l’exécution d’heures supplémentaires et le respect des durées maximales.

■ Les heures supplémentaires

La Cour de cassation est venue préciser comment interpréter l’article L. 3171-4 du Code du travail qui identifie les documents devant être remis au juge en cas de litige relatif aux heures de travail accomplies. 

Le processus se divise en plusieurs étapes successives, aboutissant à un partage équilibré du fardeau probatoire. En premier lieu, le salarié « présente des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies ». Avant 2020, la Cour régulatrice utilisait le verbe « étayer » mais cette terminologie pouvait conduire les juridictions du fond à une certaine sévérité à l’égard du salarié, en estimant que ce dernier ne prouvait pas suffisamment la réalité de sa prétention (Soc. 18 mars 2020, n° 18-10.919). Or, pour la Cour de cassation, ce qui importe c’est que le salarié apporte des éléments suffisamment précis pour ouvrir utilement une discussion (ex : des décomptes d’heures : Soc. 3 juill. 2013, n° 12-17.594 ; un tableau : Soc. 22 mars 2012, n° 11-14.466, des fiches de saisie informatique : Soc. 24 janv. 2018, n° 16-23.743). 

En l’espèce, le salarié produisait un décompte d’heure, des témoignages, des photographies de lui-même en tenue de travail un dimanche. Pour les juges du fond, ces éléments ne mentionnant aucun horaire journalier précis de début ou de fin de travail ne prouvaient pas le nombre d’heures travaillées. L’erreur des juges du fond était manifeste : la question n’est pas de savoir si les documents « prouvent » les heures de travail mais s’ils sont suffisamment « précis » pour permettre de passer à la seconde étape du processus probatoire. Celle-ci consiste en effet à contraindre l’employeur à répondre aux arguments du salarié en produisant ses propres éléments. Il ne faut pas oublier que c’est à l’employeur de tenir à jour des documents permettant le décompte de la durée du travail et lorsqu’il utilise un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable (C. trav., art. L. 3171-3). Au regard de l’ensemble des éléments présentés, les juges du fond vont apprécier si l’employeur contredit suffisamment les arguments du salarié. Or en l’espèce, le salarié fournissait des documents précis mais l’employeur n’apportait aucun élément de contrôle de la durée du travail pour y répondre. Il n’était donc pas possible de débouter le salarié pour insuffisance de preuve car se serait alors faire supporter au salarié seul la charge et le risque de la preuve. Les juges devaient se forger une opinion sur l’exécution des heures accomplies au regard de l’ensemble des éléments apportées par l’employeur et le salarié. La Cour de cassation contrôle ici le respect de ce schéma probatoire mais en revanche, concernant le nombre d’heures accomplies et donc le montant de créance salariale s’y rapportant, elle renvoie au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond qui ne sont pas tenus de préciser le détail de leur calcul.

■ La durée maximale de travail

Le système de preuve partagée pour les heures de travail accomplies, favorable au salarié, est pourtant jugé insuffisant pour assurer la protection de la santé du salarié. Aussi, concernant la seconde demande relative au respect de la durée maximale de travail et des temps de repos obligatoire, la Cour de cassation est encore plus stricte. Le Code du travail, en conformité avec le droit de l’Union européenne, prévoit une durée maximale quotidienne (en principe 10 heures ; C. trav., art. L. 3121-18) et hebdomadaire (en principe 48 heures ; C. trav., art. L. 3121-20), un repos quotidien (11 heures ; C. trav., art. L. 3131-1), un repos hebdomadaire (24 heures ; C. trav., art. L. 3132-1) , une pause (20 minutes ; C. trav., art. L. 3121-16). La Cour de Justice de l’Union européenne est venue rappeler que l’employeur a l’obligation d’établir un système permettant de mesurer la durée du temps de travail pour pouvoir vérifier le respect de la réglementation visant à protéger la santé et la sécurité des travailleurs (CJUE, gr. ch., 14 mai 2019, Federación de Servicios de Comisiones Obreras (CCOO) c/ Deutsche Bank SAE, n° C‑55/18). Dès lors que c’est sur l’employeur que pèse cette obligation, la Cour de cassation fait jouer l’article 1353 du Code civil : la charge de la preuve repose sur celui qui se prétend libéré de son obligation. 

En l’espèce, les juges du fond avaient déduit du rejet de la réclamation au titre des heures supplémentaires le rejet de la demande de dommages-intérêts sur le non-respect de la durée maximale. Ils avaient par conséquent inverser la charge de la preuve : c’était à l’employeur de justifier le respect des durées maximales de travail.  

 

Auteur :Chantal Mathieu


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