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[ 29 mars 2012 ] Imprimer

Procédure pénale

La preuve produite par les parties privées est toujours exempte du principe de loyauté !

Mots-clefs : Preuves (déloyales ou illicites), Acte de procédure, Requête en nullité, Enregistrements audio, Partie civile, Service d’enquête, Conv. EDH, Conversations téléphonique, Liberté de la preuve, Loyauté de la preuve

Les moyens de preuves produits par les parties ne constituent pas des actes de procédure au sens de l’article 170 du Code de procédure pénale et comme tels susceptibles d’être annulés, même s’ils ont été obtenus de manières déloyales. De tels moyens de preuve peuvent être présentés et discutés contradictoirement.

En l’espèce, un ancien salarié d’une société hôtelière, dont le dirigeant était mis en examen (des chefs d’abus de biens sociaux, recel, travail dissimulé, présentation de bilan inexact), avait produit des enregistrements audio réalisés au cours d’entretiens avec ses employeurs. Le mis en examen déposa devant la chambre de l’instruction une requête en annulation de l’ensemble des actes de procédure relatifs aux enregistrements audio au motif qu’ils avaient été réalisés à son insu et qu’ils constituaient un procédé déloyal, méconnaissant le droit à un procès équitable. La chambre de l’instruction ayant rejeté sa demande, ce dernier porta l’affaire devant la Cour de cassation.

Les preuves, obtenues de manière déloyale ou illicite, produites par les parties encourent-elles la nullité ?

La Cour de cassation répond par la négative. Les éléments de preuves produits par les parties peuvent être discutés contradictoirement, ils ne constituent pas des actes ou pièces de l’information au sens de l’article 170 du Code de procédure pénale et comme tels susceptibles d’être annulés.

Selon l’article 427 du Code de procédure pénale, le principe est celui de la liberté en matière de preuve sauf lorsque la loi en dispose autrement. De plus, aux termes de l’alinéa 2, « le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui ».

Toutefois, la liberté de la preuve connaît deux limites :

– l’existence, dans le procès pénal, d’une question par exemple de droit civil ou droit commercial soumise à une disposition particulière ;

– le respect des droits fondamentaux de la personne humaine tels que l’interdiction de la torture (art. 3 de la Conv. EDH).

Rappelons que la loi réglemente les différents moyens habituels d’obtention d’éléments de preuve, tels que les perquisitions, les auditions de témoins, l’écoute des propos d’autrui, la jurisprudence ayant en outre, dégagé, la notion de loyauté dans la recherche de la preuve (v. B. Bouloc).

En principe les juges condamnent les procédés déloyaux ou illicites auxquels pourraient se livrer les policiers ou les magistrats (à propos du recours par des policiers en enquête préliminaire à des écoutes téléphoniques : Paris, 8 févr. 1995).

Toutefois, la chambre criminelle est beaucoup moins stricte lorsqu’il s’agit de preuves rapportées par les parties privées. En effet, elle indique à cet égard, qu’aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d’écarter les moyens de preuve produits par les parties au motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale (Crim. 6 avr. 1993 ; Crim. 6 avr. 1994 ;  Crim. 11 juin 2002).

Ce principe d’exclusion du principe de loyauté est tout de même tempéré par l’obligation de respecter le principe du contradictoire. Le respect du contradictoire est justement, ici, la condition nécessaire à la bienveillance jurisprudentielle bénéficiant aux parties privées En effet, les preuves produites par les parties, et manifestement contraires au principe de loyauté, sont recevables du moment où elles ont été soumises à la discussion contradictoire, notamment lors de l'audience, le juge exerçant par la suite son pouvoir souverain d'appréciation. L'arrêt étudié confirme cette solution en marquant clairement la démarcation entre la preuve rapportée par les autorités publiques qui sont susceptibles d’être annulées en cas d’illicéité et celles produites par les parties privées qui ne constituent pas, selon la Cour, des actes de procédure au sens de l’article 170 du Code de procédure pénale et qui doivent uniquement répondre à l’exigence du contradictoire pour être admissibles (Crim. 27 janv. 2010).

En outre, il faut préciser que cette solution n’est pas contraire à l’article 6 de la Conv. EDH, la recevabilité des preuves relevant des règles de droit interne.

« Cette tolérance du juge pénal au profit de la partie privée s'inscrit dans la finalité de la preuve, assurer la manifestation de la vérité et permettre à toute partie de faire valoir ses droits, pour la défense soit de son innocence soit de ses intérêts atteints par la violation de la loi pénale » (Crim. 31 janv. 2007).

Crim. 7 mars 2012, n°11-88.118

Références

■ B. Bouloc, Procédure pénale, 23e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2012, pp.124-126.

■ Paris, 8 févr. 1995, n°XP080295X, D. 1995. 221, note Pradel.

 Crim. 6 avr. 1993, n°93-80.184.

 Crim. 6 avr. 1994, n°93-82.717.

■ Crim. 11 juin 2002, n°01-85.559.

■ Crim. 27 janv. 2010, n°09-83.395, AJ pénal 2010. 280, note J.-L. Capdeville.

■ Crim. 31 janv. 2007, n° 06-82.383, RSC. 2007. 331, note R.Filniez.

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 3 - Interdiction de la torture

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Article 6 - Droit à un procès équitable

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »

■ Code de procédure pénale

Article 170

« En toute matière, la chambre de l'instruction peut, au cours de l'information, être saisie aux fins d'annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure par le juge d'instruction, par le procureur de la République, par les parties ou par le témoin assisté. »

Article 427

« Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction.

Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui. »

 

Auteur :Y. D.


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