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[ 10 avril 2018 ] Imprimer

Droit international privé

La primauté de la volonté exprimée par les parties dans une clause attributive de juridiction

La compétence exclusive écarte une compétence spéciale.

Une société française conclut un contrat de vente avec une société allemande, cette dernière lui vendant deux machines à chape. Les contractants insèrent une clause attributive de juridiction à leur contrat, désignant les juridictions allemandes en cas litiges à venir. Dans le cadre de cette opération, la société française a contracté un crédit auprès d’une banque française. Ce qui devait arriver, arriva, et un accident du travail intervient suite à l’utilisation d’une de ces machines. L’acheteur français assigne le vendeur allemand et la banque française en résolution des contrats de vente et de prêt. En vertu de l’article 8, § 1 du règlement Bruxelles I bis, le requérant choisit de saisir les juridictions françaises, en tant que juridictions du domicile de la banque, soit l’un des deux défendeurs. 

En effet, l’article 8, § 1 du règlement Bruxelles I bis, offre une compétence spéciale alternative au demandeur en cas de pluralité de défendeurs. Il lui permet de désigner la juridiction du domicile du défendeur de son choix, en cas de connexité entre les différentes demandes, afin d’éviter des solutions inconciliables si les deux affaires étaient jugées séparément. 

Cependant en l’espèce, cette compétence alternative entre en contradiction avec la clause attributive de juridiction insérée au contrat de vente, entre l’acheteur français et le vendeur allemand, désignant les juridictions allemandes, en vertu de l’article 25 du règlement Bruxelles I bis. Cet article conférant une compétence dite exclusive, aux juridictions désignées dans la clause. 

Dès lors, il était demandé aux juridictions françaises de statuer sur l’articulation des dispositions des articles, 8, § 1 et 25 du règlement Bruxelles I bis. Autrement dit, de déterminer si en cas de pluralité de défendeurs, la clause attributive de juridiction conclue avec l’un d’eux, peut être écartée au profit des juridictions du domicile de l’autre défendeur en cas de connexité entre les demandes. 

La Haute juridiction, casse et annule l’arrêt de la cour d’appel de Versailles qui avait déclaré compétentes les juridictions françaises. En effet, elle estime que la compétence fondée sur une clause attributive de juridiction, conforme aux dispositions de l’article 25 du règlement Bruxelles I bis est exclusive et prime sur la compétence spéciale de l’article 8, § 1 dudit règlement. 

Cet arrêt s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence de la CJCE et de la Cour de cassation, qui avaient déjà énoncé ce principe pour les versions antérieures de ce règlement (CJCE pour la Convention de Bruxelles : V. not. CJCE 6 mai 1980, n° C-784/79, pt 5 ; Cour de cassation pour le règlement Bruxelles I : Civ. 1re, 9 févr. 2011, n° 10-12.000). 

Ainsi, la Cour de cassation interprète à la lettre le règlement, faisant primer la compétence dite « exclusive » prévue par l’article 25, sur une compétence spéciale prévue à l’article 8. Les juges ont ainsi fait primer le principe de prévisibilité, et la volonté exprimée par les parties dans une clause attributive de juridiction, sur les problématiques de coordinations judiciaires internationales. 

Civ. 1re, 14 mars 2018 , n° 16-28.302 P

Références

■ Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I bis

Article 8, § I

« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite: 

1) s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément; »

Article 25

« 1. Si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. La convention attributive de juridiction est conclue: 

a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite; 

b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles; ou 

c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties ont connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée. 

2. Toute transmission par voie électronique qui permet de consigner durablement la convention est considérée comme revêtant une forme écrite. 

3. Les juridictions d’un État membre auxquelles l’acte constitutif d’un trust attribue compétence sont exclusivement compétentes pour connaître d’une action contre un fondateur, un trustee ou un bénéficiaire d’un trust, s’il s’agit des relations entre ces personnes ou de leurs droits ou obligations dans le cadre du trust. 

4. Les conventions attributives de juridiction ainsi que les stipulations similaires d’actes constitutifs de trust sont sans effet si elles sont contraires aux dispositions des articles 15, 19 ou 23 ou si les juridictions à la compétence desquelles elles dérogent sont exclusivement compétentes en vertu de l’article 24. 

5. Une convention attributive de juridiction faisant partie d’un contrat est considérée comme un accord distinct des autres clauses du contrat. 

La validité de la convention attributive de juridiction ne peut être contestée au seul motif que le contrat n’est pas valable. »

■ CJCE 6 mai 1980, n° C-784/79 : Rev. crit. DIP 1981. 339, note P. Lagarde

■ Civ. 1re, 9 févr. 2011, n° 10-12.000.

 

Auteur :Hugo Douard


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