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[ 15 novembre 2013 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

La protection de la liberté de témoigner du salarié

Mots-clefs : Libertés fondamentales, Liberté de témoigner en justice, Salarié, Licenciement

Le licenciement du salarié ayant témoigné contre son employeur est nul en raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté fondamentale de témoigner.

Apporter son témoignage en justice est un devoir pour chacun.

Comme le proclame l'article 10 du Code civil : « Chacun est tenu d'apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité ». De surcroît, l'article 11 du Code de procédure civile fait écho à la règle en affirmant que : « Les parties sont tenues d'apporter leur concours aux mesures d'instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d'une abstention ou d'un refus ». De ces textes, il est possible de déduire que la vérité est une valeur du procès (v. Ph. Théry). Plus particulièrement, le raisonnement conduit à reconnaître au salarié la liberté de témoigner en faveur de toute personne en litige avec son employeur. Tel est précisément l’enseignement de l’arrêt rapporté.

En l'espèce, un salarié avait été licencié pour faute grave après avoir établi une attestation (jugée fausse selon la lettre de licenciement) produite en justice par un collègue de travail au cours d’un litige qui l’opposait à l'employeur.

En appel, les juges refusèrent de prononcer la nullité du licenciement au motif de la fausseté de l’attestation et du fait que le salarié avait fait part à ses collègues de son intention de témoigner en faveur d'un autre salarié, donnant ainsi une publicité à son opposition envers sa direction. Ainsi, selon les juges du fond, le licenciement ne reposait pas sur une atteinte à la liberté de témoigner du salarié.

Au visa des articles 6 (droit à un procès équitable) et 10 (liberté d’expression) de la Conv. EDH, cette décision est censurée par la chambre sociale, laquelle juge qu'en raison de l'atteinte qu'il porte à la liberté fondamentale de témoigner (garantie d'une bonne justice),  le licenciement prononcé en raison du contenu d'une attestation délivrée par un salarié au bénéfice d'un autre est atteint de nullité, sauf en cas de mauvaise foi de son auteur. Dit autrement, le témoignage en justice d'un salarié ne peut, sauf si sa mauvaise foi est caractérisée, constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement. Or, la mauvaise foi du demandeur au pourvoi n’ayant pas été caractérisée, l’annulation du licenciement litigieux aurait dû être prononcée. 

L'action en justice est souvent présentée par la doctrine comme l'exercice d'une liberté publique qui doit être garantie (v. S. Guinchard, Fr. Ferrand, C. Chainais). Cette analyse s'appuie notamment sur l'article 30 du Code de procédure civile qui affirme que « l'action est le droit, pour l'auteur d'une prétention, d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée. Pour l'adversaire, l'action est le droit de discuter le bien-fondé de cette prétention ».

Mais au-delà de la protection légitime accordée au demandeur et à son adversaire, encore faut-il permettre à toute personne impliquée dans une relation processuelle d'agir avec efficacité (v. S. Guinchard, Fr. Ferrand, C. Chainais). On peut songer, notamment, au témoin qui ne doit pas être exposé à des mesures de rétorsion pour avoir contribué à la manifestation de la vérité.

Cette exigence prend un relief particulier en droit du travail en raison du rapport hiérarchique plaçant naturellement les parties dans une relation asymétrique. À titre de représailles, l'employeur pourrait être tenté de licencier le salarié qui a témoigné contre lui et en faveur d'un collègue de travail. Un licenciement prononcé de ce chef n'est évidemment pas admissible. 

À diverses reprises, la Cour de cassation a alors manifesté son souci de sanctionner une telle rupture et l'arrêt rapporté se situe dans le prolongement de cette jurisprudence. Dans une première décision en date du 11 décembre 1991, la Cour de cassation a considéré qu'un cadre supérieur, dispensé d'exécuter le préavis de licenciement, pouvait témoigner dans un procès en faveur d'un concurrent de l'entreprise : son comportement ne constitue pas une faute grave (Soc. 11 déc. 1991). Un arrêt du 23 novembre 1994 affirmera plus nettement que « toute personne est tenue d'apporter son concours à la justice », et qu’en conséquence, « le témoignage en justice d'un salarié ne peut, sauf abus, ni constituer une faute ni une cause de licenciement » (Soc. 23 nov. 1994 ; v. égal. Soc. 6 juin 2007). 

En conséquence, le licenciement motivé par le témoignage est nul comme attentatoire à une liberté fondamentale (la liberté de témoigner se situant dans le prolongement de la liberté d'agir en justice).

La liberté pour le salarié de témoigner en justice contre son employeur connaît cependant une limite : la mauvaise foi. Un témoignage contenant des allégations inexactes sera sanctionné si le salarié n'ignorait pas le caractère mensonger de ses propos ou s'il a agi avec légèreté. Mais, dans la décision commentée, l'inexactitude du témoignage n’était pas démontrée. On rappellera que, la bonne foi étant présumée, la charge de la preuve de la mauvaise pèse sur celui qui l'invoque (C. civ., art. 2268).

Soc. 29 oct. 2013, n°12-22.447

Références

■ Soc. 11 déc. 1991, n° 89-42.000.

■ Soc. 23 nov. 1994, n°91-41.434.

 Soc. 6 juin 2007, n°05-43.996.

■ Ph. Théry, « Finalités du droit de la preuve », Droits 1996. 46.

 S. Guinchard, Fr. Ferrand, C. Chainais, Procédure civile, 31e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2012, n°72 s.

■ Code civil

Article 10

« Chacun est tenu d'apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité. 

Celui qui, sans motif légitime, se soustrait à cette obligation lorsqu'il en a été légalement requis, peut être contraint d'y satisfaire, au besoin à peine d'astreinte ou d'amende civile, sans préjudice de dommages et intérêts. » 

Article 2268

« La bonne foi est toujours présumée, et c'est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver. »

■ Code de procédure civile

Article 11

« Les parties sont tenues d'apporter leur concours aux mesures d'instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d'une abstention ou d'un refus. 

Si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l'autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d'astreinte. Il peut, à la requête de l'une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s'il n'existe pas d'empêchement légitime. » 

Article 30

« L'action est le droit, pour l'auteur d'une prétention, d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée. 

Pour l'adversaire, l'action est le droit de discuter le bien-fondé de cette prétention. » 

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 6 - Droit à un procès équitable 

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. 

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. 

3. Tout accusé a droit notamment à : 

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ; 

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ; 

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; 

e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »

Article 10 - Liberté d’expression 

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. 

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. » 

 

Auteur :M. H.


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