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[ 10 octobre 2013 ] Imprimer

Droit des successions et des libéralités

La protection de l’héritier réservataire au moment du divorce

Mots-clefs : Succession, Réserve héréditaire, Libéralité, Divorce, Réduction

Un héritier réservataire, légataire universel sous condition d’entrée en communauté, peut protéger ses droits successoraux lors de son divorce dès lors qu’il n’a pas renoncé à son action en réduction.

Une mère avait, de son vivant, institué son fils unique, marié, légataire universel à la condition que le legs entrât en communauté. Plusieurs années après, le fils contesta, lors de son divorce, le projet d’état liquidatif qui prévoyait d’inscrire, à l’actif de la communauté, l’ensemble des valeurs mobilières qu’il avait encaissées et, invoquant sa qualité d’héritier réservataire, demanda que cette inscription fût limitée à 50 % du montant de l’actif de la succession.

En appel, sa demande fut rejetée en raison de l’antériorité des opérations successorales de sa mère par rapport à sa procédure de divorce. En effet, s’il avait, au moment de divorcer, souhaité faire protéger son droit de réserve pour cantonner les effets du legs à la quotité disponible, il n’avait toutefois pas entendu user de cette faculté au moment de la liquidation de la succession, désormais close et par lui acceptée ; dès lors, il n’avait plus la possibilité de s’en prévaloir dans le cadre de sa procédure de divorce.

Se trouvait alors posée à la Cour de cassation la question de savoir si un héritier réservataire, légataire universel sous condition d’entrée en communauté, peut protéger sa réserve lors de son divorce. À cette question, la première chambre civile répond par l’affirmative et censure, au visa de l’article 913 du Code civil (dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 juin 2006), le raisonnement des juges du fond. Selon elle, il résulte de ce texte l’impossibilité qu’une disposition testamentaire vienne modifier les droits conférés par la loi aux héritiers réservataires et souligne qu’en l’espèce, puisque le légataire « n’avait pas mis les biens légués à la disposition de la communauté (…), il ne pouvait en être déduit qu’il eût renoncé au droit d’exiger le cantonnement du legs à la quotité disponible ».

Part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution à certains héritiers dits réservataires, s'ils sont appelés à la succession et s'ils l'acceptent (C. civ., art. 912), la réserve héréditaire a pour objet même de limiter le pouvoir de la volonté du de cujus de disposer à titre gratuit de ses biens de son vivant ou à cause de mort.

En soustrayant une certaine quotité de la succession à sa liberté de disposition, la réserve héréditaire assure une égalité minimale entre ses bénéficiaires (parents en ligne directe, descendants, conjoint survivant). C’est la raison pour laquelle la loi interdit qu’une libéralité puisse excéder la moitié des biens si l’héritier est, comme en l’espèce, un enfant unique (C. civ., art. 913). Et comme en témoigne l’arrêt rapporté, la règle s’applique également lorsque le legs profite à cet enfant et s’il est marié, à la communauté créée avec son conjoint, sans que la clause d’entrée en communauté puisse y déroger. Mais encore faut-il vérifier, ce que précise ici la Cour de cassation, que l’héritier réservataire n’a pas tacitement renoncé à son action en réduction en mettant effectivement les biens à disposition de la communauté.

En effet, la limitation inhérente à la réserve héréditaire n'est sanctionnée qu'a posteriori : la réserve étant une part de sa succession, la liberté de disposition du de cujus se mesure à ce qu'il laisse à son décès. Par conséquent, en cas de disposition excessive, la sanction encourue n'est pas la nullité (qui sanctionnerait le défaut d'une condition de validité de la libéralité concernée), mais la réduction pour atteinte à la réserve héréditaire.

Il en résulte que les libéralités, et tout particulièrement les donations effectuées du vivant du disposant, sont affectées d'une cause particulière de fragilité qu'il est impossible de mesurer précisément avant l'ouverture de la succession. En effet, il a toujours été entendu que la succession du disposant une fois ouverte, les héritiers réservataires peuvent conforter les droits du gratifié en renonçant à agir en réduction de la libéralité qu'il a reçue, quelle que soit l'étendue de l'atteinte portée à leur réserve. Le droit d'agir en réduction des libéralités excessives étant acquis aux bénéficiaires de la réserve en même temps que celle-ci, il n'y a alors aucune raison de leur interdire de renoncer à en demander la sanction, s'agissant d'une prérogative purement patrimoniale. Admis à renoncer entièrement à la succession de leur auteur, ils doivent à plus forte raison pouvoir renoncer simplement à agir en réduction des libéralités qui empiètent leur réserve héréditaire. Et comme cette faculté de renonciation n'a pas été spécialement régie par le législateur, elle obéit au droit commun des actes juridiques. Ainsi, en vertu du principe du consensualisme, sa validité n'est soumise à aucune forme obligatoire et peut donc être tacite à condition d'être certaine et non équivoque (v. par exemple, Civ. 1re, 25 oct. 1972. – Civ. 1re, 4 mai 1973. – Civ. 1re, 4 nov. 1975. – Civ. 1re, 6 juill. 1982). C’est ce que rappelle ici la Cour de cassation en niant l’existence d’une telle renonciation en l’absence de mise à disposition de la communauté des biens légués.

Civ. 1re, 11 sept. 2013, n°12-11.694

Références

■ Code civil

Article 912

« La réserve héréditaire est la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s'ils sont appelés à la succession et s'ils l'acceptent. 

La quotité disponible est la part des biens et droits successoraux qui n'est pas réservée par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités. »

Article 913 (dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 juin 2006)

« Les libéralités, soit par actes entre vifs, soit par testament, ne pourront excéder la moitié des biens du disposant, s'il ne laisse à son décès qu'un enfant ; le tiers, s'il laisse deux enfants ; le quart, s'il en laisse trois ou un plus grand nombre. »

Actuel article 913

« Les libéralités, soit par actes entre vifs, soit par testament, ne pourront excéder la moitié des biens du disposant, s'il ne laisse à son décès qu'un enfant ; le tiers, s'il laisse deux enfants ; le quart, s'il en laisse trois ou un plus grand nombre. 

L'enfant qui renonce à la succession n'est compris dans le nombre d'enfants laissés par le défunt que s'il est représenté ou s'il est tenu au rapport d'une libéralité en application des dispositions de l'article 845. »

■ Civ. 1re, 25 oct. 1972Bull. civ. 1972, I, n° 223.

 Civ. 1re, 4 mai 1973Bull. civ. 1973, I, n° 151.

 Civ. 1re 4 nov. 1975Bull. civ. 1975, I, n° 311.

■ Civ. 1re, 6 juill. 1982Bull. civ. 1982, I, n° 252.

 

Auteur :M. H.


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