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[ 7 mars 2025 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

La protection du migrant mineur non accompagné

Le fait de ne pas permettre au migrant s’affirmant mineur d’accéder aux conclusions de l’évaluation administrative et osseuse de son âge, de motiver insuffisamment les décisions, et de ne pas présenter clairement et exhaustivement les voies de recours dont il dispose portent atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 Conv. EDH). Bien que le cadre juridique français prévoie des garanties suffisantes, celles-ci n’ont pas été appliquées de manière effective, privant l’intéressé de la possibilité de contester les décisions le concernant.

CEDH, 16 janv. 2025, A.C. c/ France, n° 15457/20

Le requérant est un ressortissant guinéen affirmant être mineur et orphelin de mère. Il indique avoir quitté la Guinée en compagnie de son frère, dont il aurait perdu la trace au Maroc (pts. 4 et 5). À son arrivée sur le territoire français, il se déclare mineur isolé auprès des autorités. Le Code de l’action sociale et des familles (CASF) prévoit un mécanisme d’accueil provisoire d’urgence pour les mineurs isolés. Ce dispositif permet aux enfants étrangers présents sur le territoire, sans accompagnement d’un tuteur, parent ou représentant légal, de bénéficier de mesures de protection fondées sur deux critères : leur minorité (1) et leur isolement (2).

■ Accueil provisoire d’urgence. Le mineur présumé est d’abord placé en accueil provisoire d’urgence pour une durée de cinq jours. Durant cette période, les services départementaux examinent si l’individu est effectivement un mineur isolé et procèdent aux investigations nécessaires (art. L. 221-2-4 du CASF). Si la personne est évaluée comme majeure, elle est orientée vers les dispositifs de protection de droit commun. En revanche, si la minorité est confirmée, l’individu est pris en charge conformément au droit commun de la protection de l’enfance (art. 375-5 et suivants du Code civil).

En l’espèce, le requérant est placé en accueil provisoire d’urgence. Il fait ensuite l’objet d’un examen radiologique osseux destiné à déterminer son âge (art. 388 du Code civil). Les résultats de cet examen indiquent que « l’âge du requérant, sans que l’on puisse l’affirmer avec certitude, (…) [est] supérieur à 18 ans » (pt. 9).

Le procureur de la République prononce donc un non-lieu à la mesure d’assistance, sans fournir de motivation. L’accueil provisoire du requérant est suspendu par une décision du président du conseil départemental, dont la motivation est qualifiée de « stéréotypée » (pt. 180) et qui indique les voies de recours de manière incomplète et imprécise. Le requérant quitte l’hôtel où il résidait et affirme avoir été « livré à lui-même, sans ressources, hébergement, relations ou nourriture » durant le confinement (pt. 12).

Il saisit donc le juge des enfants afin de solliciter son admission à l’aide sociale à l’enfance, ainsi que le juge administratif dans le cadre d’un référé-liberté, afin que des mesures temporaires soient adoptées en attendant la décision du juge des enfants.

■ Référé liberté. Avec l’assistance d’un avocat, il introduit un référé-liberté. Cette procédure d’urgence permet de saisir le juge des référés lorsqu’une liberté fondamentale est menacée par une personne morale de droit public ou par une personne privée chargée d’un service public. Le juge, statuant sous 48 heures, peut ordonner toute mesure nécessaire pour préserver la liberté en cause. En l’espèce, le juge des référés rejette la requête (pts. 17 et 18). Le requérant saisit également la Cour européenne des droits de l’homme d’une demande de mesures provisoires.

■ Mesures provisoires. La CEDH peut, conformément à l’article 39 de son règlement, indiquer, à la demande d’une partie ou d’office, des mesures provisoires. Celles-ci sont conditionnées à l’existence d’un risque imminent d’atteinte irréparable à un droit protégé par la Convention. En l’espèce, la Cour européenne statue en faveur du requérant et ordonne que celui-ci soit nourri et hébergé jusqu’à la fin du confinement (pt. 118).

Le juge des enfants rejette la demande initiale du requérant visant son admission à l’aide sociale à l’enfance. Toutefois, il obtient gain de cause en appel : la juridiction reconnaît sa minorité et ordonne sa prise en charge (Limoges, 21 janv. 2021, pt. 33).

Le requérant saisit ensuite la CEDH, affirmant que l’absence de protection dont il a fait l’objet pendant la contestation de sa minorité a porté atteinte à son droit au respect de la vie privée (art. 8 Conv. EDH).

■ Droit au respect la vie privée

La Cour de Strasbourg a adopté une interprétation large de la notion de vie privée. Celle-ci inclut notamment l’intégrité physique et psychologique de l’individu (pt. 151, v. CEDH 29 avr. 2002, n° 2346/02, Petty c/ Royaume Uni). En matière de vie privée, les États sont soumis à des obligations positives et négatives. Cela signifie qu’ils doivent s’abstenir de porter atteinte à ce droit (obligation négative), mais aussi le protéger de manière effective (obligation positive). L’obligation de protection est « d’autant plus importante » lorsque la personne concernée est « un mineur non accompagné évoluant dans un contexte de migration » en raison de sa situation de particulière vulnérabilité (ibid.). En outre, la CEDH rappelle que l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer dans toutes les décisions qui les concernent (v. CEDH gd. ch. 8 avr. 2021, n° 47621/13, Vavricka et autres c/ République Tchèque).

La Cour examine ensuite si la procédure d’évaluation de l’âge du requérant était, in concreto, assortie de garanties appropriées et suffisantes pour assurer le respect de son droit à la vie privée (pt. 172).

■ Examen de l’effectivité concrète des garanties procédurales

La Cour constate que le cadre juridique français offre des garanties procédurales suffisantes. Cependant, l’existence de garanties en droit ne suffit pas : pour être considérées comme suffisantes, ces garanties doivent avoir été concrètement mises en œuvre et avoir permis au requérant de contester les décisions des autorités nationales relatives à sa minorité (ibid.).

Or, les conclusions de l’évaluation administrative n’ont pas été mises à la disposition de l’intéressé. Il n’en a pris connaissance que par l’intermédiaire de la défense de l’administration lors du référé-liberté (pt. 178). De plus, il n’a pas reçu de copie de l’examen osseux, et aucune mention de la marge d’erreur inhérente à ce type d’examen n’a été portée sur le document communiqué. De surcroît, les décisions initiales du procureur de la République et du président du conseil départemental étaient soit dépourvues de motivation, soit fondées sur une motivation stéréotypée, tout en présentant les voies et délais de recours de manière incomplète et imprécise (pts. 179 et s.).

Il en résulte un « cumul de lacunes » (pt. 182) dans les informations portées à la connaissance de l’intéressé, alors même qu’il devait être considéré comme particulièrement vulnérable. Cette situation a eu pour effet de renverser sa présomption de minorité et de le priver de garanties procédurales suffisantes.

Par conséquent, malgré l’existence d’un cadre juridique interne suffisant, les autorités nationales ont, en l’espèce, manqué à leur obligation positive de garantir le droit du requérant au respect de sa vie privée.

La CEDH conclut ainsi à la violation de l’article 8 de la Conv. EDH.

Références :

■ Limoges, 21 janv. 2021

■ CEDH 29 avr. 2002, n° 2346/02, Petty c/ Royaume Uni : AJDA 2003. 1383, note B. Le Baut-Ferrarese ; D. 2002. 1596, et les obs. ; RDSS 2002. 475, note P. Pédrot ; RSC 2002. 645, obs. F. Massias ; RTD civ. 2002. 482, obs. J. Hauser ; ibid. 858, obs. J.-P. Marguénaud

■ CEDH gd. ch. 8 avr. 2021, n° 47621/13, Vavricka et autres c/ République Tchèque : AJDA 2002. 500, chron. J.-F. Flauss

 

Auteur :Egehan Nalbant


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